Blog • Séquence Danse Paris : Angelin Preljocaj au Centquatre-Paris

|

Angelin Preljocaj a rejoint les danseurs pour saluer le public, encore sous le coup de l’émotion, comme hypnotisé par les deux ballets : Ghost et Still Life dont ce dernier vient de se délecter. Une fois le spectacle terminé, nous échangeons quelques mots avec le chorégraphe d’origine albanaise, en passe de rejoindre la section chorégraphie de la prestigieuse Académie des beaux-arts, l’une des cinq académies composant l’Institut de France.

Dans le cadre du festival Séquence Danse Paris, la dernière soirée en ce dimanche de Pâques présente dans un même programme deux créations récentes du chorégraphe. Sa compagnie, le Ballet Preljocaj, est installée dans le Pavillon Noir, véritable carapace de béton et de verre entièrement dévolue à la danse au Sud de la France. Ghost, une pièce courte pour cinq danseurs, pétillant clin d’œil chorégraphique, met en résonance le célèbre Lac des Cygnes sur une musique de Tchaïkovski et la lecture qu’en fait Angjelin Prejlocaj. Still Life est une pièce envoutante pour six danseurs, scandée pat la musique d’Alva Noto et Ryuichi Sakamoto.

Still Life impressionnant de beauté et d’animalité.

C’est sans doute parce que j’ai revu la veille les collections permanentes du musée des Arts Premiers du quai Branly que je suis d’autant plus saisie par l’impression de sauvagerie qui irradie des danseurs plongés dans une semi-obscurité. Les contacts, les chocs entre les corps sont accompagnés d’une grande sensualité. Musiques, lumières, costumes... fournissent la texture qui donne du sens à la danse.

Mon cerveau est encore imprégné des masques, des cranes, des statuaires représentant des figures humaines et animales dans les coursives de ce grand vaisseau du bord de Seine où naviguent les cultures... Rites funéraires, bestiaires, panneaux sculptés polychromes, cranes... tout défile sous mes yeux qui suivent sur le plateau les corps en mouvement, d’une épure en Noir & Blanc. Il y a de l’argentic dans le spectacle qui défile devant nos yeux. Le public retient son souffle comme si une bête monstrueuse, peut-être la mort elle-même, se pâmait prise au piège de la pâleur glacée des bras et des jambes émergeant des justaucorps noirs des danseurs.

Gravité, sexualité, mort... ou les mystères de la vie.

Le matin du 21 avril, France 5 retransmettait le documentaire Danser l’invisible, de Florence Platarets (Fr., 2019, 50 mn) dans le cadre de l’émission Passage des arts. Le chorégraphe ouvrait son studio de travail à la réalisatrice autour des répétitions de sa nouvelle pièce "Gravité". A l’écran : le processus créatif, les ressorts, ses grandes aspirations... son obstination du mouvement et les influences dont il se nourrit. Ces zones obscures qu’il faut éclaircir. Ce voyage vers l’inconnu et vers les choses les plus belles qui sont celles qu’on ne voit pas...

Avec ce film et le spectacle au Centquatre-Paris, l’occasion était belle de me replonger dans le travail du créateur que j’avais découvert, au début des années 1990, quand il était venu pour la première fois à Tirana présenter Noces au théâtre de l’Opéra et du Ballet. Un moment inoubliable où se mêlaient beaucoup d’émotions et de découvertes pour un chorégraphe résolument contemporain mais néanmoins marqué par ses origines albanaises. Le public de la capitale albanaise était littéralement pris à la gorge par une extraordinaire cérémonie, une danse d’exorcisme des peurs ancestrales, scotché par la force et la virtuosité que dégageaient les danseurs sur la géniale partition de Stravinski.

Lors de sa création en 1989, le chorégraphe rapportait : « Aussi loin que remonte ma mémoire, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie : tradition des Balkans ou regard d’un enfant fantasque, je savais qu’autour de la mariée, toujours absente des convivialités, le mystère s’épaissirait à mesure que les demoiselles d’honneur s’occuperaient d’en faire cette monnaie d’échange qui passera d’une famille à une autre, et puis, qu’elle apparaîtrait au moment ultime, lorsque toutes les consciences embuées par une journée de douce ivresse, se tourneraient vers elle pour ne plus ignorer ce pressentiment du drame dont elle était le reflet voilé. Alors s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, elle verserait les larmes en s’avançant vers le rapt consenti. »

A deux mois du festival Danse Montpellier, du 22 juin au 6 juillet, de grands noms de la danse contemporaine sont déjà annoncés et, parmi eux, de nouvelles sensations sont à venir avec le Ballet Preljocaj.

Au Centquatre-Paris :

STILL LIFE

credit-photo-Klajdi-Karaj_20190421_215047

création 2017 - pièce pour 6 danseurs
chorégraphie : Angelin Preljocaj
musique : Alva Noto et Ryuichi Sakamoto
création sonore : 79D
scénographie et costumes : Lorris Dumeille
lumières : Éric Soyer
danseurs : Margaux Coucharrière, Verity Jacobsen, Simon Ripert, Redi Shtylla, Anna Tatarova, Cecilia Torres Morillo
assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
assistante répétitrice : Cécile Médour
choréologue : Dany Lévêque
directeur technique : Luc Corazza
régie générale / son : Martin Lecarme
régie lumières : Jean-Bas Nehr
régie plateau : Michel Pellegrino

GHOST

credit-photo-Klajdi-Karaj_20190421_211412

création 2018 - pièce pour 5 danseurs
chorégraphie : Angelin Preljocaj
danseurs : Mirea Delogu, Antoine Dubois, Nuriya Nagimova (Ballet Preljocaj), Anna Gueho, Alice Leloup (Ballet de l’Opéra National de Bordeaux)
musiques : E. Cooley & O. Blackwell, P.I. Tchaïkovski
création sonore : 79D
costumes : Marie Blaudie
lumières : Éric Soyer