L’Histoire slavo-bulgare enjoint aux Bulgares de ne pas avoir honte d’être bulgares, d’être fiers de leurs origines et de chérir leur langue et leur Histoire. Est-ce pour autant un texte universel ? Sans doute, la pertinence d’un tel message n’étant pas tributaire de la nation à laquelle on s’adresse. Les Bulgares aiment à penser qu’il y aurait un certain atavisme proprement bulgare, une véritable malédiction qui se serait abattue sur eux. Mais c’est une perception biaisée de la réalité, car de nombreuses autres nations connaissent des comportements et complexes analogues. De plus, dénoncer un comportement de façon acharnée produit souvent des conséquences inattendues et est de ce fait à proscrire. Ce sont souvent les voleurs qui crient au voleur. Ce sont souvent les nationalistes qui prétendent que le nationalisme est inexistant chez eux.
On peut ne pas aimer ses conationaux tout en étant nationaliste. C’est même très répandu dans les Balkans et ailleurs : le discours alarmiste sur la perte des repères nationaux est souvent produit non pas par ceux qui s’efforcent de préserver le patrimoine culturel, mais bien par ceux ont un projet politique adossé à celui-ci, qu’ils instrumentalisent pour parvenir à leurs propres fins.
L’Histoire slavo-bulgare contient deux trames narratives contradictoires. Récit historiographique (parfois hagiographique) qui s’inscrit dans le style des chroniques médiévales, c’est à la fois un appel à la préservation de la dignité et à l’identité face aux cultures jugées plus prestigieuses et une fanfaronnade sur la grandeur passée des Bulgares par rapport aux autres peuples slaves (et par rapport à la situation actuelle ?). Le lecteur d’aujourd’hui peut ou bien adhérer à l’une des deux thèses contradictoires (petitesse versus grandeur des Bulgares), ou bien estimer qu’une déconstruction est nécessaire, car on ne peut pas se définir uniquement par son passé. S’enfermer dans le passé empêche de vivre pleinement dans le présent. Ou bien, on pourrait se dire qu’un peuple durablement enfermé dans la petitesse n’a pas pu être capable de tant de grandeur passée, que cela relève en partie du mythe. À moins qu’il ne soit tout simplement préférable de ne pas se livrer à un tel exercice périlleux de hiérarchisation des cultures ? Ne sommes-nous pas tous des êtres humains ? Toutes les interprétations sont possibles. C’est ce que permet la lecture attentive des textes classiques, qu’il faut sans cesse réinterpréter.
En lisant Paisij de Hilendar, on est frappé de constater que pour l’auteur, les Bulgares ne sont jamais que des Slaves et rien d’autre, qu’ils n’ont jamais été autre chose que des Slaves. Aucune mention d’origines thraces ni asiatiques. La vérité historique importe peu : le fait est que d’un point de vue sociologique, durant tout leur Éveil national, les Bulgares n’entrent jamais en contact avec les théories en vogue à l’heure actuelle sur le prétendu caractère non slave de la culture bulgare.
L’Histoire slavo-bulgare est achevée l’année où paraît L’Émile de Rousseau : en 1762, les deux œuvres présentent un lien intertextuel quant à la réflexion sur le rôle de l’éducation. Les deux œuvres s’inscrivent dans le siècle, l’esprit et le contexte des Lumières, lesquelles ont contribué à la démocratisation des sociétés, mais aussi à l’émergence des nationalismes au siècle suivant.
Lire Paisij de Hilendar, c’est avant tout important pour tordre le cou aux idées reçues et s’abstraire de la déformation du message de départ, sorti de son contexte par la critique.
Le 10 juin 2023 aura lieu la première discussion publique en France sur le sujet en langue française. Venez nombreux !