LGBTQI+, fiertés des Balkans (2/5) | Portfolio • La métamorphose d’Elena, femme trans de Bosnie-Herzégovine

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Elle s’est toujours « sentie femme », même si le prénom sur sa carte d’identité indiquait le contraire. Elena a donc décidé d’entamer sa transition pour changer de sexe et se rend régulièrement à Belgrade pour préparer l’opération. La photographe Jeanne Frank la suit durant cette métamorphose.

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Texte et photos Jeanne Frank

Elena est née « Rade », à Sarajevo, en 1951. Elle y a toujours vécu. Elle vient d’une famille d’ouvriers assez pauvre, mais explique « n’avoir jamais manqué de rien ».

« Toute ma vie, je me suis sentie femme », confie-t-elle. La mère d’Elena a toujours regretté de ne pas avoir de fille. Dès l’âge de quatre ans, elle habillait son petit garçon avec des jupes. Adulte, Elena prend conscience de sa féminisation. « Je suis une femme dans un corps d’homme. » Elle revêt ses habits de femme à l’abri des regards, se changeant dans les halls d’immeubles ou au coin des rues. Être une personne transgenre en Bosnie l’empêche de vivre librement.

Elena a plusieurs fois été victime d’agressions transphobes. Ces attaques sont courantes dans les Balkans. Elena pense que la religion y est pour beaucoup. Elle a également été menacé de mort : « Les paroles sont tellement blessantes à mon égard que je préfère me taire à ce sujet ».

Elena vit dans le quartier de Dobrinja à quelques kilomètres de l’aéroport de Sarajevo. Dans l’appartement qu’elle partage avec Rada, avec qui elle est mariée depuis 45 ans, Elena ne s’habille jamais en femme. Mais elle fait chambre à part dans une petite pièce de 5m2. Rada la soutient dans sa transition, mais leur relation n’est plus que strictement amicale.

Rada et Elena ont un fils, David, 33 ans. Celui-ci a toujours soutenu Elena dans ses choix, tout comme Rada.

Ce n’est qu’il y a cinq ans qu’Elena découvre l’existence des personnes transgenres, via l’histoire du célèbre mannequin bosnien Andreja Pejić, premier top model transgenre à faire la couverture de Vogue US. Elena apprend également qu’il est possible de se faire opérer pour changer de sexe. « La Bosnie-Herzégovine manque cruellement d’informations sur les droits des personnes transgenres et nous sommes victimes de discrimination. » Depuis 2009, la loi permet en principe à celles et ceux qui ont changé de sexe de modifier leur état civil (genre, nom et numéro d’identification personnel). Ce qui est loin d’être le cas dans la réalité.

Ainsi après s’être fait diagnostiquée F64.0, « troubles de l’identité sexuelle », Elena demande la citoyenneté serbe et entame sa transition pour changer de sexe. Ces opérations chirurgicales ne sont pas pratiquées en Bosnie-Herzégovine. Du reste, le personnel médical n’y est pas formé.

Les personnes transgenres n’ont donc d’autre choix que d’effectuer leur changement de sexe à l’étranger. Sur sa carte d’identité, il est toujours inscrit son « deadname », son nom de naissance, Radoslav, et le sexe masculin.

Depuis 2016, Elena suit un traitement hormonal qui ne peut être administré qu’en Serbie, car il reste rare et très onéreux en Bosnie-Herzégovine. Plusieurs fois dans l’année, elle se rend à Belgrade afin de voir son psychiatre et le médecin qui pratiquera son opération.

Lors de son dernier voyage, son psychiatre lui a annoncé qu’elle était prête pour l’opération. Mais pour le moment Elena n’a pas les moyens de la financer. Le voyage de Sarajevo à Belgrade lui coute environ 40 euros, une somme importante pour Elena, qui ne touche qu’une maigre retraite. En attendant, elle note minutieusement son traitement sur un carnet.

Dans la salle d’attente, Elena rencontre souvent d’autres personnes transgenres avec qui elle échange aussi bien de ses doutes, que des conseils de maquillage.

Lors des deux premières années de sa transition, Elena dormait dans les parcs de Belgrade.

Depuis le début de sa transition, Elena a pratiquement perdu tous ses amis. Aujourd’hui, ses connaissances sont surtout virtuelles, des rencontres sur des réseaux sociaux transgenres.

Après son rendez-vous médical, elle passe sa journée seule à errer dans les rues de Belgrade ou au chaud dans les boulangeries et les transports en commun, en attendant de reprendre le bus pour Sarajevo.

Après sa transition, Elena ne sait pas si elle restera en Bosnie-Herzégovine. Elle aimerait continuer à vivre auprès de sa femme et de son fils. Mais celle-ci envisage le divorce. Peut être qu’Elena fera une demande d’asile dans un pays où elle a des amis virtuels, en rêvant de pouvoir un jour porter une robe blanche et de vivre librement.