Blog • Bucarest : les beaux-arts s’exposent au palais Cotroceni

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Le nom en cascade de l’exposition ouverte à la fin mai à Bucarest, dans une aile du palais dans lequel est logé le Président Klaus Iohannis, est déjà tout un programme : « Ici/là-bas : artistes de Roumanie et de la diaspora : esthétique de l’éternité maintenant ».

Ana-Maria Altmann, commissaire de l’exposition

Peu prisé par un public de plus en plus las des cérémonies nationalistes, le centenaire dit communément de la Grande Roumanie fêté en grande pompe tout au long de cette année a favorisé aussi l’organisation de manifestations culturelles de qualité dont on ne peut que se réjouir étant donné le peu d’attention accordée par l’Etat roumain à la culture depuis un bon moment. Rappelons, si besoin est, que les ministres de tutelle changent avec une telle rapidité que la réalisation de programmes conséquents à moyen et long terme n’est guère envisageable, sans parler du budget, plus que modeste, alloué à ce poste. Les rares initiatives privées d’envergure, qui relèvent d’ailleurs souvent de fondations et d’instituions occidentales, ne sauraient pallier cette défaillance.

Aussi, on ne peut que se féliciter de l’exposition organisée récemment par l’Administration présidentielle et le Musée du palais Cotroceni, sis justement dans le palais où réside le président de la République. Inaugurée fin mai, elle sera ouverte au public jusqu’au 15 juillet.

Son nom en cascade, qui est aussi celui de l’album édité par la même occasion, c’est tout un programme : « Ici/là-bas : artistes de Roumanie et de la diaspora : esthétique de l’éternité maintenant ».

Telle qu’elle a été conçue par la commissaire (curator) Ana-Maria Altmann, l’exposition est tout sauf une énième incantation de la roumanité dont les politiciens roumains se montrent si friands, en public tout au moins. Bien au contraire, nous avons droit à un siècle de créations artistiques dont la thématique véhiculant le soi-disant spécifique roumain est rigoureusement absente. Dans son message, Klaus Iohannis le fait savoir à sa façon : « En regardant ces dix décennies d’art roumain, nous pouvons admirer la modernité qui, depuis un siècle, a lié la Roumanie par la culture au destin de l’Europe. » « L’exposition est avant tout la démonstration que les artistes roumains ont été et restent en permanence en connexion avec le phénomène artistique européen et international malgré les temps compliqués et les barrières en tout genre auxquels ils ont été confrontés », écrit pour sa part Liviu Sebastian Jicman, le directeur du Musée, dans l’introduction de l’album.

Plutôt que de chercher à retenir les œuvres censées être les plus représentatives ou plutôt réputées telles des courants et écoles artistiques roumains, ce qui aurait été vain puisque seulement trente artistes sont exposés avec une œuvre chacun, le choix a été délibérément subjectif et guidé davantage par les moments forts dans la vie des idées et des sensibilités qui ont marqué les lendemains de la Grande Guerre, l’entre-deux-guerres et surtout la séparation survenue en 1945-1947 en sorte que l’on peut parler d’un avant et d’un après cette date qui marquent le paysage politique, culturel et artistique roumain.

Un siècle de créations artistiques roumaines dans une aile de l’ancien palais des Pionniers

Ana-Maria Altmann assume parfaitement ce choix ad hoc. Parmi les œuvres présentées : une toile peinte en 1922 par le maître du réalisme critique Octav Băncilă, le « Château de Bran » (1924) d’une peintre moins connue du grand public, Elena Popea, « Concentration » (1989) par Horia Bernea, le fondateur du Musée du paysan roumain, Lumière ordonnée (2006) par Constantin Blendea, « WTC 9/11 » (2012-2014) par Cristina Passima, qui collabore aussi au Courrier des Balkans. La section « Graphique » est bien représentée avec notamment la gravure « Codex » (1962) de Victor Brauner et une lithographie de la série « Le temps de la mascarade » (1989) de Geta Brătescu, « La parade » (1950), lithographie couleur de Marcel Iancu ou encore « Le coffre profane » (1980), aquarelle signée par Sorin Dumitrescu. Parmi les sculptures, citons : le bronze (1985) de George Apostu, et celui, intitulé « Claudine », de Idel Ianchelevici (1909-1994), « Colonne, ciel et lumière » (bois) du disciple de Brâncuşi Ovidiu Maitec (1925, Arad-2007, Paris).

En matière de préoccupations artistiques et sur le plan stylistique il n’y a pas de différence majeure entre ceux et évoluent à l’étranger et ceux qui sont restés en Roumanie. Cela est vrai fans une certaine mesure aussi pour la période de la guerre froide. Même le fait de naviguer entre l’Est et l’Ouest semble une tradition bien implantée chez les artistes roumains depuis plus d’un siècle.

Enfin, en parcourant le circuit de cette exposition dans une partie des locaux de ce que fut jadis la résidence royale érigée par l’architecte français Paul Gottereau pour le compte du roi Carol Ier puis le palais des Pionniers entre 1949 et 1976, avant de devenir la résidence des présidents de la République, on ne peut s’empêcher de penser au fort décalage dans le rapport à la modernité qui a pu persister malgré tout dans ce pays entre une petite minorité et l’ensemble de la population tout au long du siècle qui vient de s’écouler.