Blog • Une voie européenne moderne de normalisation disparaît avant même de prendre vie

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Conseil européen, octobre 2023
© Union européenne / Newsroom

Le 27 octobre, le Kosovo et la Serbie se sont réunis séparément à Bruxelles avec les dirigeants de la France, de l’Italie et de l’Allemagne. La discussion a tourné autour du Statut européen pour la création de l’Association des municipalités à majorité serbe (ASM) au Kosovo et de leur volonté de le mettre en œuvre.

Le projet de statut présenté englobe une manière européenne moderne d’aborder la question sensible de la protection des minorités, conformément aux meilleures pratiques et normes européennes. La troïka a souligné que l’accent devrait être mis sur la mise en œuvre complète de l’accord, sans conditions préalables ni retards. Concrètement, la France, l’Italie et l’Allemagne ont appelé le Kosovo à lancer la procédure visant à établir l’Association des municipalités à majorité serbe, comme le prévoit le statut, et la Serbie à reconnaître de facto le Kosovo. De plus, ils ont souligné que l’absence de progrès dans la normalisation des relations impliquerait que les deux parties risquent de perdre d’importantes opportunités.

C’est la première fois qu’une reconnaissance de facto apparaît dans un document de l’UE. Mais il semble également que Bruxelles menace à nouveau le Kosovo d’accorder des concessions (ASM) à la Serbie. Des mots différents et un langage différent ont été utilisés à maintes reprises pour signifier la même chose : la Serbie obtient son ASM et le Kosovo doit le mettre en œuvre. La formulation utilisée lors de la récente réunion de Bruxelles est étrange. Il semble plutôt que l’UE fasse pression sur le Kosovo pour qu’il crée l’ASM, alors même que Belgrade n’a pas encore été sanctionnée pour son implication dans l’attentat de Banjska le 24 septembre dernier.

Une véritable remise à zéro du dialogue n’aura lieu que si l’Occident change une fois pour toute sa politique d’apaisement envers la Serbie. La récente déclaration commune ne va pas dans cette direction. Où sont les sanctions contre Belgrade ? Que signifierait dans la pratique la reconnaissance de facto ? Où sont les garanties que la Serbie ne transformera pas l’ASM en une deuxième Republika Srpska ? Tout reste dangereusement ouvert. Bruxelles devrait commencer à nommer les choses telles qu’elles sont et agir en conséquence. Elle devrait enfin cesser d’échanger la démocratie contre le dialogue. La manière européenne moderne ressemble davantage à un réétiquetage d’un ancien modèle, alors que ce qu’il faut plutôt, c’est un changement urgent de paradigme.

Alors que la troïka se réunissait à Bruxelles et présentait au Kosovo et à la Serbie un plan moderne de normalisation, deux jours plus tard, lors de la réunion, Belgrade a déclaré qu’elle n’accepterait pas la reconnaissance du Kosovo et son adhésion à l’ONU. Elle a refusé de signer les documents présentés par la troïka, estimant qu’ils faisaient référence à l’acceptation de la reconnaissance de facto du Kosovo. À ce stade, il semble que le modèle européen moderne ait disparu avant même de prendre vie.

Reste maintenant à voir comment les choses vont évoluer. Il est possible que le Kosovo subisse de toute façon des pressions pour mettre en œuvre l’ASM et la Serbie continuera probablement à être apaisée comme cela s’est produit jusqu’à présent. Pourtant, cela ne fera que créer de nouvelles frictions. La mise en œuvre de l’association de facto impliquera également une expansion de l’influence russe au Kosovo, la légalisation d’institutions parallèles serbes actuellement illégales au Kosovo et un prélude à une séparation ultérieure.

Quiconque croit que la création de l’association des municipalités serbes du Kosovo permettra à la Serbie de reconnaître le Kosovo est soit cynique, soit naïf. Ces deux poids, deux mesures ne sont pas seulement moralement répréhensibles, elles sont vouées à l’échec et contre-productives à long terme.

Il est difficile d’espérer un quelconque changement politique majeur dans les relations entre le Kosovo et la Serbie tant que ce qui s’est passé à Banjska n’est pas considéré comme un événement inédit. Ou bien tant que le grand obstacle à la normalisation est perçu comme la création de l’ASM, alors que rien n’est dit sur d’éventuelles mesures punitives contre la Serbie. Entre-temps, les enquêtes contre la Serbie sont toujours en cours et, une fois terminées, l’UE décidera des mesures à adopter.

Le Kosovo devrait s’abstenir de signer un nouvel accord si la Serbie n’est pas punie pour son implication dans l’attaque de Banjska et si elle ne reconnaît pas le Kosovo comme un pays indépendant et souverain. Apaiser les pacificateurs sera fatal au Kosovo et à la région.