Milena, Clara et Ana, trois destins de femmes que séparent plusieurs décennies mais finalement liées l’une à l’autre par les beautés de l’écriture et de la fiction, tel est l’étonnant et séduisant cocktail de Triptyque en ré mineur, que nous propose la romancière Sonia Ristić.
Milena est une jeune scénariste des années soixante-dix, qui revendique une « vie formidable » à Belgrade, une « ville plutôt moche à première vue mais qui a en vérité un charme fou ». Certes, elle écrit « sur commande » dans la Yougoslavie titiste tout en rêvant de concevoir un jour un texte puissant et personnel. Elle tente de convaincre son « amant américain », Sam, de venir la rejoindre pour vivre ensemble. Pourquoi serait-ce à elle finalement de quitter sa ville pour les Etats-Unis et non pas le contraire, n’en déplaise à Sam l’Américain, écrit-elle dans ses échanges épistolaires.
Les tourments et les tentations de la fiction
Milena rencontre un jour une vieille dame excentrique, à l’esprit vagabond, Clara, qui termine sa vie dans un hospice de Belgrade. Elle lui raconte sa jeunesse à Berlin, au début des années 1930, dans la République de Weimar agonisante devant la montée du nazisme. Issue d’un milieu juif aisé, elle aime une jeune ouvrière, Lily. Milena comprend vite qu’elle tient là une magnifique histoire qui lui permettra d’écrire le grand livre auquel elle aspire, d’autant plus que les errances de la mémoire de Clara lui offrent des pistes en direction de la fiction.
Ana enfin, une jeune romancière d’origine serbe, reçoit en 2020, un jour de confinement à Paris, un mystérieux colis contenant les lettres de Milena à Sam. Les échos entre leurs deux vies lui sautent aux yeux, tout comme l’influence décisive des événements sur leurs deux destins. « Je suis elle, ou elle est moi, je ne sais plus. Elle est moi si j’étais née une trentaine d’années plus tôt. Elle a vécu la vie que j’aurais dû vivre, si la guerre ne l’avait pas fait dérailler ». « Je m’oublie en Milena, je disparais », confie-t-elle un peu plus loin.
Venez rencontrer Sonia Ristić aux IVe Rencontres littéraires du Courrier des Balkans, le 4 février au Centre Marius Sidobre, à Arcueil (94110). Discussion autour du livre à 15h30, animée par Virginie Symaniec.
Quand la fiction et le réel se mêlent, favorisés par les oublis de la mémoire, les questions restées sans réponse, les témoignages avortés, le désir de création romanesque et l’envie impérieuse d’écriture s’engouffrent dans cet entre-deux. Pour raconter, pour sauver de l’oubli,... Seul ce qui est écrit a existé.
« Ça y est, Milena est en moi, écrit Ana, à force de la lire, la traduire, la réécrire, elle est devenue un personnage que j’ai enfanté et dont j’aI une connaissance intime. »
Triptyque en ré mineur est une ode aux mille chemins de la fiction qui s’ouvrent à l’écrivain, comment ils se dessinent peu à peu entre réel et imaginaire, telle une savante gestation aux surprises innombrables. C’est sans doute là l’un des aspects les plus réussis de ce livre.
Sonia Ristić est née à Belgrade en 1972. Elle s’est installée à Paris en 1991 et a publié plusieurs romans en français. Elle a contribué récemment à l’ouvrage collectif Filles de l’Est, femmes à l’Ouest (ed. Intervalles) où plusieurs écrivaines évoquent leurs parcours entamés derrière le rideau de fer et leurs craintes ou désillusions depuis la chute du Mur.