Blog • Les langues des Balkans dans l’édition francophone

|

A la veille de l’ouverture de l’édition 2018 du Salon du livre de Paris, quels sont les auteurs traduits du roumain, bulgare, grec, albanais, serbo-croate et slovène et quelles sont les principales maisons d’édition qui les ont publiés ces dix dernières années ? Un tour d’horizon à partir de la base de données bibliographiques Electre.

Au Salon du livre de Paris
DR

Les peuples des Balkans font souvent parler d’eux. Ils fascinent parfois, inquiètent d’autres fois et agacent surtout avec leurs querelles qui risquent à tout moment de dégénérer. Certains écrivains s’emparent de leurs destins fantasques, des historiens cherchent à mettre un peu d’ordre dans leur Histoire, les politistes font des pronostics plutôt sombres sur leur avenir. Mais qu’ont-ils à dire eux-mêmes dans leurs propres langues si nombreuses pour un territoire aussi exigu et qui de surcroît ont tendance à se multiplier ? La petite part que représentent les traductions à partir de ces langues dans la production éditoriale francophone permet de trouver un début de réponse. Pour faire le point sur cette « petite part » nous ferons appel aux informations fournies par la base de données bibliographiques Electre (Livres Hebdo) qui s’adresse aux libraires, bibliothécaires, éditeurs, documentalistes et journalistes.

Précisons d’emblée que ces informations d’ordre statistique ne présentent qu’un intérêt indicatif et surtout comparatif. Elles permettent cependant d’appréhender selon un certain nombre de critères un champ d’une rare complexité, celui de l’édition, dans lequel, par définition chaque livre est différent de tous les autres.

Les auteurs et les maisons d’édition, quelques chiffres

La période considérée s’étend du 1er janvier 2008 au 15 mars 2018, soit la date d’ouverture du Salon du livre à Paris. Seuls les nouveaux titres – y compris les nouvelles éditions, les passages en poche et les numéros de périodiques à thème - des ouvrages traduits en français disponibles en France, Belgique et Suisse ont été retenus. 152 titres sont donc parus au cours de cette dernière décennies en roumain, 35 en bulgare, 314 en grec, 43 en albanais, 111 en serbo-croate et 37 en slovène. Pour saisir la signification de ces chiffres il faut les rapporter au nombre des locuteurs des langues, ceux du roumain (en Roumanie et en République de Moldavie) étant plus nombreux que ceux du grec, la même chose valant pour ceux du bulgare par rapport à ceux du slovène.

En prenant comme critères le nombre de titres parus chez les différents éditeurs de chaque pays, puis le nombre de titres correspondant à chaque auteur on peut établir pour chaque langue deux types de classements.

Pour le roumain, 7 titres de Matei Vişnec sont parus, 5 de Flavia Cosma, 4 de Norman Manea, Doina Ioanid, Emil Cioran, Mircea Eliade et Mircea Cărtărescu, etc. Les éditions Non Lieu ont publié 20 titres, L’Harmattan 17, Gallimard, J. Chambon, Ed. des Syrtes et Caractères 5, etc.

Pour le bulgare, 3 titres de Gheorghi Gospodinov sont parus, 2 de Stefka Nikolova, etc. Les éditions Elitchka ont publié 8 titres, Intervalles 4, Rafael de Surtis 2, etc.
Pour le grec, 16 titres de Giannis Ritsos sont parus, 14 de Petros Markaris, 8 de Dimitris Dimitriadis, etc. Les éditions Miel des anges ont publié 32 titres, L’Harmattan 27, Cambourakis 7, etc.

Pour l’albanais, 10 titres d’Ismail Kadare sont parus, 2 de Fatos Kongoli, Luan Rama et Ekrem Basha, etc. L’Harmattan a publié 10 titres, Fayard 8, Non Lieu 4, etc.

Pour le serbo-croate, 4 titres d’Igor Kordey et Darko Macan sont parus, 3 d’Ivo Andrić, Miljenko Jergović, Branimir Šćepanović, Emir Kusturica et Dražen Katunarić, etc. L’âge d’homme a publié 12 titres, M.E.O. 9, El Manar 8, etc.

Pour le slovène, 6 titres de Drago Jančar sont parus, 3 de Boris Pahor et Lojze Kovačič, etc. Les Editions franco-slovènes ont publié 8 titres, Libretto 5, Phébus 3, etc.

Les limites de l’approche statistique

Les informations obtenues moyennant ces critères doivent être envisagées avec circonspection. Indépendamment de leur valeur, les cinq plaquettes de poésies de Flavia Cosma parues dans un tirage confidentiel n’ont pas la même signification que les quatre romans de Mircea Cărtărescu parus chez P.O.L. et Denoël. Il en va de même dans bien d’autres cas. La position de choix occupée par Petros Makraris, auteur de 14 polars, ou les auteurs de BD Igor Kordey et Darko Macan s’explique par le fait qu’ils s’inscrivent dans des genres très prisés en France. On devrait aussi préciser, par exemple, qu’Elitchka est une maison d’édition qui n’a publié en tout et pour tout que les 8 titres d’ouvrages pour la jeunesse traduits du bulgare signalés ici ou encore rappeler que la l’énorme production éditoriale de l’Harmattan est inégale, partiellement à compte d’auteur et à diffusion restreinte.

Le succès des traductions du grec

De par leur volume, les traductions à partir du grec se détachent du lot. Ceci peut s’expliquer de diverses façons : ce pays a été sur le devant de la scène politique ces dernières années, il constitue une destination touristique prisée, il compte deux prix Nobel, Odysséas Elytis et Georges Séféris, dont 6 et 3 titres ont été traduits, l’attrait pour l’Antiquité... A cela il faut ajouter une aide extérieure substantielle : Miel des anges, 32 titres parus depuis la fondation en 2013 de cette maison d’édition, bénéficie du concours de plusieurs fondations privées et institutions officielles grecques et françaises. L’autre maison spécialisée dans les traductions à partir d’une seule langue, les Editions franco-slovènes (8 titres), a été fondée la même année par Zdenka Stimac, qui est elle-même traductrice. Editeur généraliste, Non Lieu, dont un bon quart des titres couvre le domaine balkanique, et roumain en particulier, à édité pendant cette période deux revues à thème : Lettres roumaines et Seine et Danube, également recensés par Electre. Leur parution a été cependant suspendue. La rareté des revues rendant compte des débats d’idées et de la vie littéraire dans les pays de cette région de l’Europe demeure un sérieux handicap notamment pour la promotion de nouveaux auteurs.

Du serbo-croate au serbe, croate...

La dislocation de la Fédération yougoslave a bouleversé le paysage linguistique de la région. Le serbo-croate a littéralement éclaté. La page de titre des ouvrages recensés par Electre comme traduits du serbo-croate peut désormais comporter la mention serbe (29), croate (26), croate-bosniaque (1) monténégrin (2) ou encore pas de mention du tout (16) et évidemment serbo-croate (37), notamment dans les reprises mais pas seulement. Précisons, si besoin est, que souvent les mêmes personnes signent les traductions du serbe et du croate. Les ouvrages des auteurs kosovars portent souvent la mention « traduit de l’albanais (Kosovo) ». Pour des raisons techniques, les livres traduits du macédonien recensés dans la base Electre n’ont pas pu être interrogés, nous renvoyons donc le lecteur à la liste établie en octobre 2017 par l’Institut français de Skopje.

L’essentiel des traductions, quelle que soit la langue, concerne le champ littéraire et en particulier les récits, nouvelles, romans, d’une part et la poésie d’autre part, le reste ne représentant que moins d’un cinquième. C’est donc par la fiction romanesque et la métaphore poétique que les auteurs des Balkans racontent leur monde, au point que l’on pourrait se demander si les choses sérieuses ne sont pas réservées d’office au français ou à l’anglais. En effet, s’agissant par exemple des auteurs roumains, il y a beaucoup de chances que les noms de Cioran ou de Mircea Eliade viennent à l’esprit. La plupart de leurs livres avaient été écrits directement en français. Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, sont recensés dans la base Electre 24 livres dont 6 en poche du Slovène Slavoj Zizek, traduits tous de l’anglais : un record absolu par rapport aux auteurs que nous venons de passer en revue.

A l’intérieur des classes Philosophie, Sciences humaines, Arts ou Histoire, les traductions recensées pour chaque langue, quand il y en a, se comptent sur les doigts d’une main. Quelques exemples. Sur les 4 livres traduits du grec relevant des sous-classes Economie et Politique, 3 sont de Yanis Varoufakis, un auteur qui n’est pas un inconnu en France. Pour les très rares ouvrages d’Histoire, toutes langues confondues, la biographie de Tito par Jože Pirjevec qui vient d’être traduite du slovène aux Editions du CNRS mérite d’être signalée en particulier.

La traduction étant dans bien des cas plus qu’un métier, un sacerdoce, on ne saurait finir sans dire un mot sur les traducteurs. Ils sont nombreux alors nous en citerons un seul, celui de Marina Vrinat-Nikolov qui a traduit du bulgare pas moins de onze romans dont ceux, très beaux, de Gheorghi Gospodinov. Enfin, pour aller au-delà des données statistiques dont le caractère réducteur a de quoi exaspérer plus d’un amateur des lettres balkaniques, un mot pour rappeler le succès plus que mérité des romans de Miljenko Jergović parus chez Actes Sud et saluer les efforts déployés par la maison d’édition Gaïa pour la traduction des auteurs du Sud-Est européen.