Blog • Le pragmatisme du Kosovo : une voie vers une paix durable

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Rain Rannu | Wikimedia commons

Le Kosovo, avec une population aussi importante que la ville hanséatique de Hambourg, a adopté dès le départ une politique étrangère intelligente et pragmatique. C’était nécessaire à sa propre survie et à sa progression. De plus, il n’a pas été exempt de compromis.

Les Albanais ont toujours été des gens pragmatiques au final. Très probablement, ils ont mieux démontré cette capacité sous la domination ottomane. À cette époque, beaucoup d’entre eux se sont convertis à l’islam pour obtenir une réduction d’impôts, tout en continuant à pratiquer le crypto-christianisme chez eux. Depuis lors, ils ont été confrontés à de nombreux défis et batailles. Pourtant, leur sens de la réalité est resté intact aujourd’hui.

Après son indépendance en 2008, le Kosovo a connu des hauts et des bas à l’intérieur comme à l’extérieur. Pourtant, il a continué à consolider son statut d’État et à être considéré comme un partenaire crédible aux niveaux régional et mondial.

Le Kosovo, régime de transition ou hybride, a entrepris des efforts significatifs affichant enfin leurs résultats, mais beaucoup de choses restent encore à améliorer. Dans l’indice de perception de la corruption de 2022, le pays a obtenu de meilleurs résultats (score : 41 ; rang 84) que la Serbie (score : 36 ; rang : 101). Selon l’enquête Global freedom house 2023, il a marqué, avec son partenaire difficile la Serbie, 8 points de moins et 7 points de moins que la Macédoine du Nord, l’Albanie et le Monténégro respectivement (60/100 points contre 68/100, 67/100 et 67/100). La Bosnie-Herzégovine, sans surprise, a été la moins performante avec 52/100 points.

Malgré son long isolement, ses promesses reportées et ses désillusions, comme le dernier changement de stratégie des États-Unis et de l’UE, le Kosovo est optimiste quant au potentiel de la région pour sa propre prospérité et celle de l’ensemble des Balkans occidentaux. Après tout, le renforcement de la coopération régionale et l’amélioration des relations avec leurs voisins sont des critères difficiles à remplir sur la route vers l’UE. En d’autres termes, il s’agit d’un élément crucial du processus de stabilisation et d’association (PSA).

Les Kosovars ont des sentiments plus élevés d’espoir à propos de la région, si on les compare à leurs voisins. Ils ne pensent pas aux conflits lorsqu’ils parlent de leurs voisins, mais ils ne considèrent pas non plus la coopération comme un caractère distinctif de leurs relations mutuelles. À cet égard, ils sont assez pessimistes suivis par la Serbie. Dans le même temps, cependant, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine voient d’un bon œil la coopération régionale.

En matière d’amélioration des relations intrarégionales par rapport à l’an dernier, les Albanais et les Kosovars ont tendance à tisser des liens plus étroits par rapport à leurs homologues régionaux. Au fil du temps, l’Albanie a été l’allié le plus proche du Kosovo et cela est resté inchangé jusqu’ en 2022. Pourtant, la décision récente du Premier ministre albanais Edi Rama d’envoyer un projet de proposition pour la création de l’Association des municipalités serbes (ASM) à Berlin et à Paris a inévitablement tendu les relations mutuelles des deux pays, compte tenu des réticences de son homologue Albin Kurti sur une telle association. « Nous n’avons pas peur de l’association, nous sommes vigilants car Belgrade utilise les municipalités du nord pour ne pas reconnaître le Kosovo », a déclaré le Premier ministre Kosovar.

Malgré les récentes relations tendues avec Tirana, les deux parties continuent d’entretenir des relations productives. On ne peut pas en dire autant de Belgrade. De plus, la raison d’être du lancement du dialogue facilité par l’UE en 2011 était de rapprocher les deux parties pour un accord de normalisation juridiquement contraignant entre les deux. À l’heure actuelle, cependant, nous sommes de nouveau dans une situation où tous les efforts passés ont été mis à rude épreuve. Pire que cela, Washington prend ses distances avec son ami des Balkans, tout en accusant Kurti de mener son pays dans l’impasse. Bruxelles a adopté la même attitude. Pourtant, le changement de stratégie américano-européenne envers le Kosovo ne s’est pas fait en quelques mois. Washington et Bruxelles ont toujours poursuivi des doubles standards. Mais ceux-ci sont devenus plus évidents, une fois confrontés à la menace croissante de l’influence russe, via son frère la Serbie, dans les Balkans occidentaux.

Malgré le récent accident, les Albanais et les Kosovars partagent un avis similaire, suivis juste après par les Serbes et dans une moindre mesure par les Macédoniens, les Monténégrins et les Bosniens, sur le fait que la coopération régionale peut contribuer à améliorer la situation politique, économique ou sécuritaire dans leurs sociétés respectives. Concernant l’adhésion à l’UE et ses effets sur l’économie, les Kosovars pensent que ce serait une bonne chose. Pourtant, ils sont dépassés par leurs confrères en Albanie et suivis par le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord et la Serbie. Quant à ce que signifierait personnellement l’adhésion à l’UE, les Kosovars ont répondu en plus grand nombre que leurs voisins qu’il s’agirait de la liberté de voyager, suivis respectivement de la Serbie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine du Nord, du Monténégro et de l’Albanie.

Le positivisme des Kosovars se démarque également quant à leur attente de voir leur pays rejoindre l’UE d’ici 2030, suivis de leurs voisins en Albanie, au Monténégro, en Macédoine du Nord et en Bosnie-Herzégovine, le pays le moins positif étant la Serbie. Quant à la satisfaction des citoyens à l’égard du gouvernement kosovar et du travail du Premier ministre, 2023 a enregistré une augmentation de 4,8 % et de 6,6% par rapport à novembre 2022.

Il ne fait aucun doute que le Kosovo a une position pro-UE inébranlable et que le processus d’intégration européenne est la pierre angulaire de la politique et de la prise de décision kosovares. Dans le même temps, cependant, une stagnation du dialogue facilité par l’UE et le report du processus de libéralisation des visas, qui devait être accordé d’ici janvier 2024, ont fait perdre patience à de nombreux Kosovars quant à la capacité de l’UE à tenir ses promesses. En particulier, en ce qui concerne le dialogue, de nombreux Kosovars le considèrent comme un « processus à huis clos ». Et les développements récents et le changement de stratégie de l’UE, alignée sur Washington, ont dévoilé le manque de sens politique et de transparence de leur part. De plus, de nombreux Kosovars (41%) pensent que l’adhésion ne se fera pas dans un avenir proche. Malgré cela, ils croient fermement que leur pays devrait continuer à s’aligner sur les principes et les normes de l’UE. En dépit des dernières tensions, le Kosovo s’est montré pragmatique à travers la position d’Albin Kurti, présentant un plan détaillé en 4 points pour la désescalade.

Au fil du temps, le Kosovo a sans aucun doute fait preuve d’un haut degré de pragmatisme. Il est resté fidèle à sa volonté de faire partie de l’Union européenne, à ses valeurs et à ses normes. De plus, il semble contradictoire et injuste que malgré ses avancées positives, Pristina ait été "punie" par la communauté internationale avec des sanctions suite à l’escalade dans le nord en juin dernier, alors qu’il n’en a pas été de même pour son voisin autocratique. Cela révèle évidemment la politique de « deux poids, deux mesures » et d’une approche discrétionnaire de non-droit ayant des conséquences négatives à long terme pour la stabilisation du Kosovo et de toute la région. Il sera donc nécessaire que les États-Unis et l’UE corrigent leurs positions dès que possible si l’on veut éviter des développements imparables, improductifs et défavorables. Mieux vaut tard que jamais.