Blog • Blagovest Njagulov : « De la fiction à la réalité, la minorité macédonienne de Roumanie »

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Pour neutraliser l’influence du parti hongrois, les gouvernements roumains ont reconnu plusieurs « petites » minorités nationales dont celle des Macédoniens et, en 2007, le macédonien fut inclus en Roumanie dans la catégorie des « langues minoritaires ou régionales », ce qui constitua une première sur le plan international.

Pour l’historien bulgare Blagovest Njagulov, cette décision doit être mise en rapport avec les Aroumains, ce qu’il explique dans une longue étude dont Athanase Popov a traduit de larges extraits sous la forme d’une synthèse que nous reprenons ici [1]. Mais « les Aroumains sont un peuple fort ancien alors que la minorité macédonienne de Roumanie n’est que le fruit de l’opportunisme politique d’une partie de la minorité bulgare », estime-t-il.

Pour commencer, B. Njagulov raconte son étonnement, lors de sa visite au siège de l’Association des Macédoniens de Roumanie [Asociaţia macedonenilor din România] le 18 septembre 2008, au centre-ville de la capitale roumaine, devant la nombreuse assistance présente dans la salle. En réalité, il s’agissait de mannequins de vitrine habillés en habits traditionnels macédoniens offerts par Skopje. Il y rencontre Liana Dumitrescu, la députée de la minorité macédonienne, qui ne parle pas le macédonien… Il s’agit de la dernière-née des minorités nationales en Roumanie, apparue au tout début des années 2000 (p. 161). Le plus frappant, c’est le caractère tardif de cette revendication identitaire. Cela s’expliquerait par la création de partis représentant des minorités ethniques à partir de 1989. Les différents gouvernements roumains pratiquent une discrimination positive envers les groupes ethniques peu nombreux (p. 161). Ion Iliescu souhaitait neutraliser de la sorte l’influence du parti hongrois (pp. 161-162).

Le « business ethnique »

La représentation politique des minorités met en concurrence les différentes organisations d’un seul et même groupe ethnique et génère ainsi un « business ethnique ». Il existe un groupe parlementaire des députés des minorités ethniques (p. 162). La société civile s’est mobilisée d’ailleurs en Roumanie contre ce « business ethnique », en demandant que le nombre des députés soit revu à la baisse (p. 163). En 2008, la réforme du système électoral roumain met en place de nouvelles conditions pour les organisations représentant des minorités. Celles-ci, si elles ne sont pas déjà représentées au Parlement, doivent démontrer qu’elles sont d’« utilité publique » et qu’elles représentent au moins 15 % de la minorité en question d’après les chiffres du dernier recensement. Pour pouvoir prétendre à un siège de député, les organisations candidates aux élections doivent remporter au moins 10 % du « coefficient électoral national » (p. 163). Les réformes avantagent donc légèrement les organisations déjà représentées au cours de la précédente législature. Entre 2008 et 2012, 19 minorités sont représentées au sein d’un groupe parlementaire commun. Les Tchèques et les Slovaques sont représentés par le même député.

Au début de la transition démocratique, la minorité bulgare était représentée par deux organisations, en conflit pour le siège de député. Une partie de ses membres sont catholiques : ils ont conservé le bulgare, tandis que les orthodoxes sont davantage assimilés (ils s’auto-définissent le plus souvent comme Roumains lors des recensements). Depuis 2000, on compte quatre organisations représentant les Bulgares [2].

L’exemple bulgare est utile pour comprendre la problématique de la minorité macédonienne, poursuit B. Njagulov. En 1996-1998, Liana Dumitrescu était la conseillère juridique du député bulgare Florea Simeon. Elle deviendra par la suite députée de la minorité macédonienne. Qui plus est, avant d’entamer son engagement pour la cause macédonienne, elle avait été élue vice-présidente d’une des organisations bulgares, à savoir l’Union des Bulgares de Roumanie [Asociaţia bulgarilor din România], membre de la communauté « Bratstvo » [Fraternité]. Mais, comme les organisations bulgares du sud du pays avaient perdu leur député, le vide sera comblé au nom de la nouvelle minorité macédonienne de Roumanie (p. 164).

L’apparition des Macédoniens de Roumanie est directement liée aux relations entre la Roumanie et la République de Macédoine. Celles-ci sont bonnes, comme au temps de l’ex-Yougoslavie, excepté entre 1948 et 1964. Un traité bilatéral entre Skopje et Bucarest a été conclu en 2001 [3].

Au cours des années 1960, il fut question d’inaugurer une chaire d’études macédoniennes à l’Université de Bucarest, sachant que le bulgare y est enseigné depuis 1891. Certains slavisants roumains tels que Gheorghe Mihăilă s’y opposèrent, en faisant part de ses réserves à l’égard de la nouvelle langue littéraire macédonienne. Des lecteurs d’études macédoniennes commencent cependant à enseigner le macédonien à partir de 1975 à Craiova, ce qui s’accompagne de l’inauguration de la chaire de langue roumaine à Skopje. Jusqu’en 2010, l’enseignement y est dispensé par des lecteurs roumains (pp. 165-166). La minorité macédonienne « nouvellement formée » commencera à se manifester autour de Craiova en raison justement de la possibilité d’apprendre le macédonien offerte par l’université de cette ville.

Les Aroumains, "communauté roumaine" en République de Macédoine ?

La minorité macédonienne de Roumanie est une projection qui répond à la recherche de réciprocité dans les relations roumano-macédoniennes au sujet du traitement des minorités respectives. Les Macédoniens de Roumanie sont présentés comme le pendant des Aroumains. Cela est dû en partie au fait que les Aroumains sont souvent appelés « Macédoniens » en Roumanie (p. 167). Selon l’auteur, un tel rapprochement est abusif étant donné que les Aroumains sont un peuple fort ancien, alors que la minorité macédonienne de Roumanie n’est que le fruit de l’opportunisme politique d’une partie de la minorité bulgare.

Il est à noter que suite aux accords d’Ohrid de 2001, l’aroumain devient l’une des langues officielles de la commune de Kruševo, ce qui est un fait unique au monde (p. 169).

La diplomatie roumaine se montre reconnaissante envers Skopje pour la reconnaissance constitutionnelle de ce qu’elle appelle la « communauté roumaine », alors qu’il s’agit en réalité de la minorité aroumaine [reconnue d’ailleurs lors de la déclaration d’indépendance du pays sans rapport avec une quelconque requête roumaine]. Skopje attend en retour (et obtient) la reconnaissance d’une minorité macédonienne en Roumanie, formée à partir de la minorité bulgare.

La recommandation 1333 (1997) du Conseil de l’Europe au sujet de la culture et de la langue aroumaines recommande aux États balkaniques où vivent des Aroumains de signer la Charte européenne des langues régionales et de prendre des mesures pour préserver la langue et la culture aroumaines, qui se trouvent « dans un état critique ». La Roumanie signe la Charte en 1995, mais en raison de débats prolongés entre les représentants de la majorité roumaine et la minorité hongroise au sujet de la situation de cette dernière, le pays ne ratifie la Charte que douze ans plus tard, par la loi du 24 octobre 2007. Le 1er mai 2008, la Charte est entrée en vigueur en Roumanie. En vertu de la loi de ratification, les dispositions de la Charte s’appliquent à l’égard de 20 langues minoritaires expressément désignées. En l’absence de critère territorial, les langues en question sont réparties en deux groupes. En ce qui concerne dix d’entre elles, dont le macédonien, seules les dispositions générales de la deuxième partie de la Charte s’appliquent, ce qui en exclut l’usage dans les relations avec les pouvoirs locaux. De cette manière, la Roumanie devient le premier pays membre du Conseil de l’Europe où le macédonien accède à une reconnaissance internationale à titre de « langue régionale ou minoritaire » (p. 170). Le deuxième pays où le macédonien acquiert un statut similaire est la Bosnie-Herzégovine, où la Charte est entrée en vigueur le 1er janvier 2011.

Le traité bilatéral roumano-macédonien de 2001

Le programme de coopération entre le ministère de la Culture et des Cultes roumain et le ministère de la Culture de la République de Macédoine, initialement convenu pour 2005-2007, constitue le premier acte intergouvernemental qui évoque expressément l’existence d’une minorité macédonienne en Roumanie (p. 171).

Lors de sa visite à Skopje en 2008, Traian Băsescu déclare que la Roumanie est prête à financer l’enseignement du roumain pour la minorité aroumaine, comme si l’aroumain c’était exactement la même chose que le roumain, fait remarquer l’historien bulgare. C’est la logique de la réciprocité : les Macédoniens protègent les Aroumains, par conséquent la Roumanie consent à encourager la constitution d’une minorité macédonienne en Roumanie. De même, l’élection du premier député censé représenter la minorité macédonienne précède de dix mois seulement la signature du premier traité bilatéral roumano-macédonien en 2001 (p. 171).

Les plus grosses surprises viennent de l’historiographie : jusqu’à leur apparition officielle en 2000, les « Macédoniens ethniques » de Roumanie étaient entièrement absents de l’historiographie roumaine, et il en est de même pour l’historiographie macédonienne puisqu’il n’est pas question de Macédoniens en Roumanie dans les publications du professeur Kiselinovski sur les minorités datant respectivement de 2004 et de 2011. En règle générale, l’ethnogenèse précède l’affirmation et les revendications politiques, mais en l’occurrence le processus est inversé : d’abord le projet politique, l’ethnogenèse vient progressivement par la suite (p. 172).

Le « roman national » des Macédoniens de Roumanie

L’Association démocratique des Macédoniens slaves de Roumanie [Asociaţia democratică a macedonenilor slavi din România] aura même tenté de faire élire comme député un candidat qui déclarait publiquement qu’il n’avait pas d’origines macédoniennes et qu’on lui a proposé d’être candidat au dernier moment : Lili Dediu, surnommé par les médias « le patron des voleurs », aurait même déclaré publiquement qu’il ne comptait pas sur les voix des Macédoniens (qu’il était censé représenter !) (p. 175). De même, les activités parlementaires de la députée élue Liana Dumitrescu, décédée en 2011, n’avaient strictement rien à voir avec la défense des intérêts de la minorité qu’elle était censée représenter (p. 177).

Ces dernières années, les représentants de la minorité macédonienne de Roumanie ont ouvert le vaste chantier de l’écriture d’un roman national [4], qui passe aussi par une démonstration au sujet des « influences macédoniennes sur la langue roumaine », par exemple dans des régionalismes tels que lubeniţă [pastèque], opinci [sandales des paysans], cherpici [brique en torchis], praz [poireau], ilic [gilet], obor [marché aux bestiaux], livadă [verger], mots que l’on retrouve pourtant presque à l’identique non seulement dans des dialectes bulgares non macédoniens, mais aussi en bulgare littéraire pour la plupart (p. 180) [5].

Dans le domaine des lettres, les revendications passent par la recherche d’origines macédoniennes d’un poète comme Alexandru Macedonski (1854-1920). Pour les Bulgares, Macedonski a des origines bulgares. L’historien roumain Nicolae Iorga écrit en 1926 que le grand-père d’Alexandru Macedonski, Dimităr Macedonski, est un « Bulgare de Macédoine » (pp. 193-194). Pour les leaders de la minorité macédonienne de Roumanie, Macedonski était bien entendu macédonien.

En ce qui concerne les recensements, on constate que le nombre des Macédoniens de Roumanie est en constante augmentation : on est passé de 695 personnes en 2002 à 1264 personnes en 2011. Parmi les personnes qui déclarent avoir le macédonien pour langue maternelle, les chiffres indiquent le passage de 482 ‘’locuteurs natifs’’ en 2002 à 769 en 2011. La nation building fonctionnerait donc à merveille, fait remarquer B. Njagulov, tout en ajoutant : à moins que certains Aroumains ne se soient trompés à l’occasion des recensements. En effet, il se peut que certains d’entre eux n’aient pas compris de quels Macédoniens il était question au juste - puisque eux aussi sont souvent appelés macédoniens (p. 191). Ainsi, le développement de la minorité macédonienne pourrait commencer à se faire aux dépens de la minorité aroumaine, conclut B. Njagulov [6].

Post-scriptum  : De la réalité à la fiction ou Les effets délétères du mirage macédonien parmi les Aroumains

Tous les ans, la Journée nationale des Aroumains est fêtée à Bucarest comme dans d’autres villes des Balkans

Bien que son étude ne portait pas sur les Aroumains en particulier, B. Njagulov s’est montré fort inspiré en suggérant que “le développement de la minorité macédonienne pourrait commencer à se faire aux dépens de la minorité aroumaine ». En effet, moins de deux ans après le déroulement du recensement au cours duquel figurait pour la première fois l’option « macédonien », une requête fut déposée auprès du Conseil de l’Europe au nom de l’Association des Français aroumains. « Les derniers recensements de la population réalisés en Roumanie (2002) et dans la FYROM (2003) indiquent un nombre très restreint, non conforme aux réalités, des Aroumains », faisait-on savoir avant de demander l’adoption d’une résolution précisant que les Aroumains doivent être identifiés comme makedonarmâni [macédoniens aroumains] dans la Recommandation n° 1333/97. » [7] La requête resta sans suite et passa inaperçue pendant plusieurs années.

Dans le collimateur du département des « Roumains de partout »

Un tournant intervint peu de temps après, en 2005, avec la demande de reconnaissance de la minorité aroumaine déposée par la Communauté des Aroumains de Roumanie [Comunitatea aromânilor din România, en aroumain Fara armâneascâ dit România]. Elle fut rejetée net par les autorités, et on assistera à partir de ce moment à une campagne d’envergure contre ses initiateurs et partisans qui durera d’ailleurs jusqu’à nos jours.

Le département pour les Roumains dits d’« au-delà les frontières », puis « de partout » du ministère des Affaires étrangères et la Société de culture macédoroumaine [Societatea de cultură macedoromână] fondée à la fin du XIXe siècle, suspendue par le régime communiste et réactivée avec le soutien de l’Etat en 1990, étaient les fers de lance de cette campagne menée de concert, le ministre de tutelle et le président de la Société ayant signé des protocoles d’accord. Selon eux, les Aroumains des Balkans, et a fortiori de Roumanie, sont une branche du peuple roumain et parlent un dialecte du roumain. [8]. C’est dans ce contexte tendu – les partisans du statut de minorité étaient parfois accusés d’activités anti-roumaines - que la proposition concernant les makedonarmâni formulée dans la requête déposée au Conseil de l’Europe redevint d’actualité. Dans un article paru dans Bana armânească, la principale revue d’information et d’opinion rédigée en aroumain [9], trois auteurs, des noms faisant autorité dans les milieux favorables au statut de minorité nationale, plaidaient pour une nouvelle « appellation ethnique » des Aroumains, à savoir, makedonarmâni [macédoniens aroumains]. Dans ce même numéro de la revue était rendu public pour la première fois le contenu de la requête au Conseil de l’Europe citée plus haut.

Une nouvelle « appellation ethnique » pourquoi faire ?

Difficile de dire dans quelle mesure la récente reconnaissance de la minorité macédonienne en Roumanie a influencé cette initiative censée mobiliser les troupes lassées par les refus répétés des autorités d’accéder à leurs demandes. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette initiative et son succès. La plupart des Aroumains qui ont conservé leur langue sont issus des vagues de colonisation de la Dobroudja du sud entre 1925 et 1932 en provenance des anciennes régions administrées dans les Balkans par l’Empire ottoman, avant les guerres balkaniques. Aussi disaient-ils, et disait-on à leur propos, qu’ils venaient non pas de l’Empire ottoman, qui avait cessé d’exister, ni de la Bulgarie, la Serbie ou la Grèce qui venaient de lui succéder en 1913, donc des Etats trop récents, mais de Macédoine, en référence à la région géographique et historique, un nom qui plus est qui avait fait le tour du monde en raison des tensions et conflits qui venaient de secouer les Balkans. Aussi, étaient-ils désignés couramment comme macedoneni, ou encore dans le langage populaire makedoni [macédoniens]. Nombre d’entre eux, parallèlement à l’endonyme armân et rrâmân, ont fini par adopter également cet exonyme, non sans arborer une certaine fierté. La confusion entretenue par la proximité du mot utilisé en roumain pour les désigner, le mot aromân [aroumain] ayant été forgé sur le modèle de român [român], a joué également un rôle et il en va de même pour la nécessité ressentie par certains d’entre eux d’insister sur l’implantation géographique antérieure qui les différenciait des Roumains. Un curieux parallélisme peut être établi avec le néologisme non moins politique macedoromâni [macédoroumains] forgé en Roumanie, qui procède du même soin de situer géographiquement les Aroumains tout en cherchant à les identifier comme roumains.

Les contrecoups de la fiction macédonienne

Cela étant dit, sur un point très précis, l’initiative des auteurs de l’article n’était pas moins abusive, ce qui leur attira de nombreux commentaires ironiques. En effet, contre toute évidence et sans la moindre preuve, ils présentaient la nouvelle « appellation ethnique » comme étant celle des Aroumains depuis la nuit des temps. Assez vite, le mirage macédonien exerça malgré tout une réelle fascination dans les rangs des Aroumains favorables au statut de minorité, comme en témoigne le succès de la nouvelle trouvaille, makedonarmâni, intégrée désormais dans les appellations des émissions de radio, associations, forums, groupes sur Facebook, etc. Cependant, après avoir fait l’objet de nombreux commentaires ironiques, la nouvelle appellation finira par passer au second plan, tout au moins dans les instances représentatives, la priorité étant accordée à l’ethnonyme initial, le Consiliu makedonarmân par exemple redevenant Consiliu armân. Cet épisode ne laissera pas moins des traces. Ce qui circulait sous la forme de légendes transmises oralement, de métaphores littéraires formulées dans des recueils de poésies ou des essais plus ou moins fantaisistes sera désormais affiché par certains Aroumains comme des vérités historiques indissociables de leur identité. D’aucuns, en Roumanie surtout, se présenteront haut et forts comme les « vrais » Macédoniens, héritiers directs d’Alexandre le Grand, son père Philippe II, etc., locuteurs l’une langue ancestrale ayant précédé le latin, en invoquant des scenarii pseudo-érudits plus farfelus les uns que les autres. A sa manière, le nouveau « roman national » des Aroumains, alias makedonarmâni, se révélera tout aussi ridicule et déconcertant que celui de la toute récente minorité macédonienne de Roumanie.

Les tentatives de présenter, expliquer, clarifier publiquement les réalités forcément complexes et contradictoires des Aroumains de Roumanie comme des autres pays des Balkans, leurs souhaits de maintenir leur langue et leur culture tels qu’ils se sont manifestés depuis le début des années 1990, auront été profondément affectés par la fiction macédonienne. Si dans le cas des minoritaires macédoniens de Roumanie on est passé de la fiction à la réalité, comme le montre si bien B. Njagulov, dans le cas des Aroumains les nouvelles postures antiquisantes adoptées par certains d’entre eux et les assertions anachroniques débitées avec suffisance par d’autres ont contribué au travestissement en une fiction déconcertante de réalités somme toute facile à cerner, grâce aux données historiques et anthropologiques disponibles. Source de multiples confusions, la mythologie macédonienne des Aroumains de Roumanie se révélera de surcroît parfaitement contre-productive pour ce qui est des objectifs qu’ils s’étaient proposé d’atteindre, à savoir l’obtention des dérogations sur le plan scolaire et médiatique indispensables pour faire face aux dangers auxquels est exposée une minorité linguistique et culturelle comme la leur.

Notes

[1L’étude de Blagovest Njagulov est parue en bulgare dans Istoričeski pregled, LXVIII, 2012, n° 5-6, pp. 160-201, sous le titre « De la fiction à la réalité : la minorité macédonienne de Roumanie ». Chargé de recherches à l’Institut d’histoire auprès de l’Académie des sciences de Bulgarie, il a publié en français « Minorités, migrations et expérience ethnopolitique en Bulgarie » dans Hommes & migrations n° 1275 pp. 19-30. L’appareil de notes du texte traduit par Athanase Popov et le post-scriptum sont de Nicolas Trifon.

[2En Roumanie, 7.336 personnes se sont déclarées bulgares en 2011, la plupart localisées dans le Banat, département de Timiş.

[3Trois consulats honorifiques ont été ouverts par la Roumanie en République de Macédoine, à Bitola en 2007, à Kumanovo en 2012 et à Ştip en 2014, tandis que la République de Macédoine a ouvert des représentations à Ploieşti en 2009, à Timişoara en 2011, à Cluj-Napoca en 2016 et à Constanţa en 2016.

[4Pour ce qui est du « roman national », pour reprendre les termes de l’historien bulgare, de la minorité nationale macédonienne en Roumanie, on peut consulter en roumain Istoria minorităților naționale : material auxiliar pentru profesorii de istorie, Bucarest, 2008. La section concernant les Macédoniens a été rédigée par Liana Dumitrescu et les journalistes Laura Rogobete et Marijan Mihailov. Parmi les arguments cites, le seul qui pourrait éventuellement être retenu est l’arrivée en Roumanie d’un certain nombre de Macédoniens slaves parmi les réfugiés grecs de la guerre civile, mais la plupart d’entre eux sont rentrés en Grèce après la chute du régime des colonels.

[5On peut déduire de ce passage que pour l’auteur le macédonien n’est pas une langue à part mais un dialecte du bulgare littéraire.

[6Rappelons que, parmi ceux qui se sont déclarés macédoniens au recensement, beaucoup étaient localisés dans la Dobroudja où vivent de nombreux Aroumains.

[7Bana armânească, n° 1-2, 47/48 (2007).

[8Les zones peuplées par les Aroumains sont séparées des Roumains nord-danubiens par la Bulgarie et la Serbie et, si les deux langues, romanes, présentent de nombreuses similitudes structurelles, il n’y a pas intercompréhension spontanée font valoir ceux qui considèrent que les Aroumains sont un peuple à part et qu’ils parlent une langue à part.

[9Bana armânească, op. cit..