Blog • Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé : des tribulations truculentes, entre farce et désespoir

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Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé
Un livre de Savatie Bastovoi, traduit du roumain par Laure Hinckel
Éditions Jacqueline Chambon/Actes Sud

Retrouvez Laure Hinckel, la traductrice du roman, à l’occasion des 20 ans du Courrier des Balkans, à La Bellevilloise (19-21 rue Boyer, 75020 Paris), pour un après-midi littéraire le samedi 1er décembre à 14h.

Un vrai bijou venu de Moldavie ! Voilà un livre souvent tragique et féroce, mais aussi drôle et alerte, plongeant le lecteur dans l’infinie misère humaine de la Moldavie des années quatre-vingt-dix, encore empreinte de l’héritage soviétique.

Cette réalité effroyable, c’est celle d’un orphelinat sordide où vient de mourir un enfant handicapé, Nicolae, dont le visage est dévoré par les rats. Plongée dans l’horreur ! On apprendra plus tard que sa mère est partie en Italie, s’y est mariée, indifférente apparemment au sort de son fils qu’elle a confié à sa mère. Affolement de la direction de l’établissement, corrompue jusqu’à l’os et qui ne jure que par les fonds d’aide européens allègrement détournés. Le responsable de l’orphelinat, qui assiste à Chisinau, la capitale moldave, à un improbable colloque ayant pour thème « comment prévenir et lutter contre les discriminations », un comble, ordonne de cacher le cadavre dans un réfrigérateur, de peur que la presse n’ébruite l’affaire.

Savatie Bastivoi, Les Enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé, Traduction par Laure Hinckel, Éditions Jacqueline Chambon, Paris, 2018, 208 pages, 21 euros.

  • Prix : 21,00 
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Karlic et Serioja, deux pensionnaires de l’orphelinat, s’enfuient entretemps pour des tribulations pitoyables ou cocasses à travers le pays, bientôt rejoints par la jeune Aliona, qui vient d’être violée. Les deux compères vont chercher à la venger en faisant chanter l’un des violeurs. Karlic est handicapé et se déplace dans un fauteuil. Il a pour lui d’être retors et domine son compagnon de son ascendant. Il échafaude un plan diabolique. Karlic « savait que le violeur pouvait acheter sa liberté. Personne ne ferait l’effort de l’enfermer tant que ça ne rapporterait pas d’argent. C’est pourquoi, avant même que l’homme ne paie le policier du secteur, Karlic devait lui-même le soudoyer. Mais avec quoi ? Où trouver l’argent ? L’idée de Karlic était d’utiliser tout simplement l’homme qui méritait de se retrouver en prison. D’aller d’abord chez le violeur, de le faire chanter et une fois l’argent en poche, de se servir de cet argent contre lui pour le faire inculper. L’idée lui semblait tellement simple qu’elle devenait évidente ».

On frise la farce dans ce récit grimaçant. Tous les personnages ou presque de ce monde rongé par la violence et la corruption sont grotesques et cupides. Cela s’apparente à
un vilain cauchemar. Savatie Bastovoi chargerait-il le trait ? L’auteur est conscient que le lecteur pourrait se laisser gagner par le doute devant une telle réalité caricaturale. Tout cela reste néanmoins tragiquement vraisemblable, accompagné certes d’effets grossissants et nourri surtout par une expérience personnelle, lui qui a été interné adolescent dans un hôpital psychiatrique. Ce séjour qui lui a inspiré Un Valium pour Dieu l’a marqué de toute évidence à vie. C’est bien cela le miracle des Enseignements d’une ex-prostituée…, un mélange de réalisme cruel et truculent, sauvé par l’humour et accompagné de formidables rétablissements poétiques qui invitent le lecteur à souffler dans cette description de l’enfer. C’est le cas de ces quelques pages pleines de tendresse et de douceur, sur la pêche à l’écrevisse qu’aimait Nicolae et qui furent les seuls moments de bonheur de ce pauvre garçon abandonné de Dieu et des hommes.

Mais encore une fois, on rit souvent à la lecture des Enseignements d’une ex-prostituée… C’est bien le tour de force de ce livre très original, traversé de bout en bout par une profonde humanité et compassion pour les malheureux. L’auteur a puisé aussi son inspiration, c’est manifeste, dans l’expérience tragique de ses jeunes années, que la foi religieuse, souvent présente dans le récit, l’a aidé à surmonter. Bien des détails et des situations dans le parcours chaotique de ces pauvres hères sonnent vrai.

« On ne sait toujours pas si Nicolae a rendu l’âme avant que les oiseaux commencent leur chant plein de vie ou s’il est mort pendant. Peut-être qu’à l’instant de quitter le corps, l’âme de l’homme redevient aussi pure et bienveillante qu’au jour où elle y fut scellée par le bon Dieu, et qu’elle comprend alors le chant des oiseaux ? Qu’elle respire l’air de l’aube comme au premier matin du monde… »

Oui, ce livre est comme une prière pour les êtres humains.

Savatie Bastovoi est né en 1976 et vit actuellement dans un monastère en Moldavie. Il dirige la maison d’édition Cathisma, ainsi que la revue de spiritualité orthodoxe Ekklesia. Il enseigne également l’iconographie au séminaire de théologie de Chisinau. Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé est remarquablement traduit par Laure Hinckel.