Blog • La figure et l’œuvre d’un auteur istrien d’Italie

|

Ascension et descente du Mont Kal, de Scipio Slataper.

Un déménagement est toujours l’occasion de mettre de l’ordre dans sa bibliothèque, et voilà que parmi les Tomizza, Betizza, Sgorlon, Magri, naturellement présents dans la bibliothèque d’une famille issue de l’exode julien dalmate, apparaît le livre Il mio Carso de Scipio Slataper dans une édition de 1958 pour la collection « I quaderni dello Specchio », chez Arnoldo Mondadori editore. Edition revue par Giani Stuparich, ami et collègue de Slataper.

Le titre évocateur fait tout de suite penser pour quelle raison le roman est fini dans la bibliothèque de famille et en a suivi les pérégrinations lors des différents déménagements dans le nord d’Italie. Mais qu’est-ce que c’est le Karst pour un auteur comme Scipio Slataper qui dès l’incipit du roman autobiographique dit de ne pas être né au Karst, ni d’être né en Croatie, ni d’être né dans la plaine morave. Enfin avouant de n’être qu’un Italien voulant faire semblant d’avoir des souches originales, « barbares » dans le texte. C’est quoi le Karst alors pour Slataper ?

D’après un des critiques de Slataper pour l’auteur le Karst est une « expérience concrète » à opposer à « l’idée abstraite de l’origine du sang », tout ce qu’il y a dans le roman appartient à l’auteur, comme affirme plus avant le critique. Aussi le nom du protagoniste révélé vers la fin du roman, Scipio, justement.

L’auteur

Scipio Slataper nait à Trieste le 14 juillet 1888, de père slovène et mère italienne et meurt le 3 décembre 1915. Il fait ses études auprès de l’Institut d’Etudes Supérieures de Florence du 1908 à la soutenance de sa thèse sur Ibsen en novembre 1912. Pendant ses études il travaille à Florence pour la revue « La Voce », Il écrit des articles, des recensions, des essaies, des pamphlets politiques et de la correspondance. Bonne part de sa production a été publiée posthume. En septembre 1913 il se marie et il se rend à Hamburg pour y travailler en tant que lecteur de langue italienne auprès du Kolonial Institut, il travaille au texte de sa thèse pour en faire une monographie sur Ibsen, sortie en 1916. Au déclenchement de la première guerre mondiale rentre en Italie pour intégrer, comme volontaire avec les frères Stuparich Carlo et Giani, les grenadiers de Sardaigne, il est blessé à Monfalcon et une fois guéri il rentre sur le champs de bataille pour y mourir sur la Podgora.

Le livre

L’écriture du livre qui a été en gestation plusieurs années, à partir d’un esquisse de nouvelle appelé « Carsina » en 1908, jusqu’à la phase de rédaction qui va de 1911 à 1912. Le livre fut publié posthume par Stuparich dans une première édition en 1921. Une nouvelle édition suit en 1958 avec d’autres œuvres de l’auteur sous la direction de l’ami et camarade d’armes Giani Stuparich.

Tout est autobiographique dans le livre, l’enfance et adolescence dans une villa familiale à Trieste, les problèmes financières familiaux, les études au lycée où il attrape la fois irrédentiste pour l’annexion à l’Italie de Trieste, l’exhaustion nerveuse qui le porte à un séjour de convalescence dans le Karst, la rencontre avec les paysans slovènes, la critique à l’irrédentisme et le passage au socialisme humain, les études à Florence, la collaboration avec une revue. Autobiographique est aussi le suicide de l’amie éconduite qui est l’événement qui permet à l’auteur de boucler le roman.

Le poète

« […] le Karst est un pays de calcaires et de genévrières. Un cris terrible, devenu pierre. Des rochers gris de pluie et de lichens, tordus, fendus, aigus. Des genévrières arides. Des longues heures de calcaire et de genévrières. L’herbe est de soie. De la Bora, du soleil ».

Les descriptions de la nature du Karst sont idylliques, véritable œuvre d’un poète qui le peint avec des images lumineuses et tendres, mais aussi les gens du Karst sont décrites avec tendresse, les paysans travaillant dans leurs champs et engagés dans la vendange, les humbles bergers montagnards dans les bois sur les sommets de monts, en contraposition à la bourgeoisie commerciale et anonyme de la ville de Trieste qui fait de pendant au Karst dans les mouvements continus d’allées et retours entre Trieste et le Karst du protagoniste. La ville de Trieste avec ses activités multiples et celle où le jeune protagoniste ressent son inquiétude et l’ennuie sartrienne de ne pas s’y retrouver dans les mœurs et les coutumes dont il échappe pour Florence, sans pour autant y trouver du répit. L’ascèse du Mont Secchietta n’équivaut à celle au Mont Kal en Slovénie.

Le Karst est sublimé comme un Eden perdu et retrouvé plusieurs fois. Un abri pour la souffrance de l’âme, une première fois, la première ascension comme soins pour l’inquiétude de la jeunesse, la deuxième ascèse comme remède face au deuil et découverte de sa fraternité avec l’espèce humaine.

Ascèse et descente du mont

La symbolisme utilisé par Slataper d’ascèse et de descente du Mont Kal ressemble de près à la symbolisme d’un autre roman, « Le Mont analogue », de René Daumal, un autre écrivain poète, roman inachevé à cause de la mort de l’auteur en 1944. Dans une lettre de 1940 Dumal explique pourquoi il écrit ce roman où un groupe d’escaladeurs découvre en escaladant cette montagne mythique qu’est-ce que c’est l’être humain vraiment dans son essence la plus profonde, délivré de tout le superflu qui empêche l’ascèse e surtout prêt à aider ceux qui veulent eux aussi escalader en leur montrant le sentier en en laissant du feu dans les refuges, grâce au guide reçu par la population locale qui fait de trait-d ’union entre le haut et le bas.

Hélas, le roman de Daumal est inachevé et on n’en peut pas connaitre la fie, Slataper aussi n’est pas redescendu du Podogora, où il a trouvé la mort, pour nous faire de guide à nous ses lecteurs. Il ne reste qu’à conclure avec le titre en forme de question du roman de Daumal Et vous, qu’est-ce que vous recherchez ?