Blog • « Istria Nobilissima », plus de soixante ans de production littéraire à Fiume

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Photo prise lors de la cérémonie par Daniela Grbac, Deborah Grbac est la première à gauche.

Revenir sur le déploiement des trois dernières éditions (2020-2023) du Concours « Istria Nobilissima » est l’occasion de faire le point sur les évolutions récentes des lettres en langue italienne dans les régions de l’Istrie, du Quarner et de la Dalmatie.

Le 19 mars dernier, les gagnants de trois éditions du Concours « Istria Nobilissima » ont été réunis dans le salon des bals du Palais Modello au centre de la ville de Rijeka, pour participer à une cérémonie particulière pour son envergure de consigne des prix. Le concours chaque année célèbre la littérature et les arts de la communauté de langue italienne vivant en Istrie, le Quarner et la Dalmatie. Les prix sont délivrés par l’Unione italiana en collaboration avec l’Università popolare di Trieste.

Un nombreux parterre d’auteurs et d’artistes, toutes les formes d’expression artistique étant concernées par le concours, ont défilé sur l’estrade au bonheur des photographes et des journalistes présents pour couvrir l’événement. La cérémonie, qui n’avait plus été organisé depuis la pandémie, a duré deux heures, réservant une place aussi à deux exécutions de piano de la part de deux artistes lauréates du prix.
Parmi les auteurs nommés plusieures fois : Doriana Segnan, absente, mais dont un message a été lu aux participants, Giacomo Scotti avec ses 94 ans d’âge et Tiziana Dabović.

Un défilé de déjà-vus

Segnan, Scotti, Dabović, toute une litanie de noms qui ont été répété entre trois et deux fois par les présentateurs. L’expressions d’une communauté close sur soi-même ? Plutôt le témoignage d’une communauté unie et participative, à laquelle, grâce à des initiatives dans les écoles, se sont ajouté des jeunes gens, des étudiants des écoles de langue italienne en Istrie lauréats en solo ou représentant toute leur classe de provenance. D’ailleurs la cérémonie a été l’occasion pour la célébration d’un autre prix, le prix Antonio Pellizzer décerné à la fin de leurs carrières à des professeurs qui se sont distingués dans leur profession.

Les autres visages nouveaux ont été ceux des auteurs de la catégorie provenant de la région istro-quarnerine ou dalmate et habitant à l’étranger. Ces auteurs principalement de Trieste, dans les dernières trois éditions venaient aussi de Milan, Rome et Lucca, distribués en Italie là où dans le passé il y a eu des champs des réfugiés, ou là où les hasards de la vie ont emmené ces italiens « autres », qui n’avaient pas été bien accueillis dans l’Italie déjà prouvée par la guerre.

D’ailleurs, entendre énoncer les noms des gagnants a été comme relire le livre récemment paru de Gianna Mazzieri Sanković et Corinna Gherbaz Giuliano, Un tetto di radici. Lettere italiane : il secondo Novecento a Fiume. D’autant plus qu’une des deux auteures, Mme Mazzieri Sanković, était elle aussi présente à la cérémonie ayant gagné un pris lors de l’édition 2022.

Le livre traitant de la production littéraire en langue italienne à Fiume pendant le dernier siècle, pour cette raison quelqu’un des représentants de cette littérature étaient là, étant donné que le prix a été historiquement surtout une occasion pour reconnaître cette littérature et lui donner un endroit à parution, l’anthologie des œuvres lauréates du prix. Les anthologies pour les années de 2017 à 2019, venant de paraître, elles étaient à disposition.

L’écrivain du contre-exode, ou l’écriture de contestation

L’on ne s’attendrait pas de rencontrer dans le cercle de la communauté des Italiens restés, un écrivain du contre-exode, Giacomo Scotti. Toutefois, il y est bien, dans la mesure où il a quitté son pays de naissance l’Italie pour la République socialiste fédérative de Yougoslavie, sans savoir exactement où il se serait retrouvé. Avec son grand âge et son intense activité littéraire, il est le représentant des lettres dans la ville de Fiume de la seconde partie du dernier siècle. L’auteur dans sa production en parcouru les styles en passant du « réalisme socialiste » de ses premiers écrits à la poésie intimiste de sa dernière production littéraire.

Il est aussi l’écrivain contesté, à cause de ses écrits journalistiques et de ses essaies. Ceci est arrivé plusieurs fois et par différents régimes politiques (soit de la Yougoslavie, que de la nouvelle née Croatie), ainsi que par des mouvements politiques différents (soit à gauche, qu’à droite), soit dans ses deux patries qu’à l’étranger,

Journaliste, essayiste, écrivain de traditions et de la culture locale qu’il essaie de transmettre, pour le prix, il est surtout poète, poète de la mer, des lieux qui l’ont accueilli et des affections familiales.

L’écrivaine de l’exode, ou la récupération de l’identité perdue

A côté de la courante des écrivains du contre-exode, il y a un courant littéraire féminine, intimiste et autobiographique, entièrement dédié au drame de l’exode et à la souffrance de l’éloignement et de la perte, qui débute avec Marisa Madieri, la première écrivaine de cette longue lignée qui arrive jusqu’à nos jours.

Une écriture féminine vouée au témoignage, pour Madieri sous forme de roman-journal intime, et à la transmission surtout des mémoires familiales qui trouve toutefois un ample écho dans le drame commun à plusieurs dans la région de l’exode et qui constitue un « instrument » pour récupérer sa propre identité personnelle.

Marisa Madieri a dû partir pour Trieste avec la famille toute jeune et dans ses ouvrages elle a développé, nous disent Mazzieri Sanković et Gherbaz Giuliano, une production d’investigation des profondeurs de l’âme, d’élaboration des traumatismes vécus et de leur transmission à travers l’écriture. Hélas, Marisa Madieri, engagée aussi dans le bénévolat, meurt tôt et laisse très peu d’ouvrages, deux romans, Verde acqua et Maria, ainsi qu’un recueil de contes La conchiglia e altri racconti.

La reconnaissance d’une appartenance

C’est en participant au concours et en emportant un prix pour la catégorie auteurs habitant à l’étranger que je me suis reconnue dans une courante littéraire, dont je ne savais pas de faire partie, ayant toujours eu des doutes sur mon style personnel en langue italienne et ayant utilisé aussi d’autres langues pour m’exprimer à l’écrit. Ma première surprise a été surtout celle d’être enfin reconnue par une communauté de langue italienne, un véritable retour à la maison.

Même si je ne le savais pas, l’écriture étant sortie toute seule un jour d’isolement en période de Covid, en croyant d’écrire pour moi-même et pour la famille à la limite, je me suis retrouvée dernière d’une lignée d’auteures qui m’avaient précédé. Mais, a y bien penser la culture de la communauté italienne à Fiume a fait toujours partie de mon éducation et culture personnelle. Enfant j’ai lu le livre de contes istriens recueillis par Giacomo Scotti (Storie istriane) et plus tard j’ai lu Verde acqua, par simple curiosité, parce que Madieri était la femme du célèbre écrivain Claudio Magris.

J’ai aimé Verde acqua et lorsque j’avais lu le livre j’avais pensé qu’avec l’auteure j’avais en commun l’amour pour cette couleur, la couleur de la mer face à la ville de Rijeka, ville natale à nous deux, mais en réalité nous avions beaucoup plus en commun moi et elle. Le style de Madieri est défini par Mazzieri Sanković et Gherbaz Giuliano comme caractérisé par un « ton posé » et la motivation pour mon prix Istria Nobilissima a été « pour la politesse dont est marqué le sens de la douceur ». Maintenant je sais que l’on partage non seulement un style sobre et poli, mais aussi une courante littéraire et je l’ai découvert un jour de mars à Fiume.

NB : Le conte « Dieci febbraio » de l’auteure de cet article sera prochainement publié dans le recueil de l’anthologie des œuvres du Prix Istria Nobilissima.