Roumanie : l’ingénieur-artisan qui transforme les voitures thermiques en électriques

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Ici, on convertit des Porsche ou les 4x4 Defender en véhicules électriques. C’est le pari fou, et réussi, de Marc Areny, un ingénieur français passionné d’innovation, installé depuis dix ans en Roumanie. Reportage dans ses ateliers de Piteşti, tout près des usines Dacia Renault.

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Par Benjamin Ribout

© Benjamin Ribout / CdB

C’est dans une ancienne caserne de pompiers en périphérie de Piteşti que Marc Areny a monté en 2017 son entreprise, baptisée EV Romania. Depuis cette ville de 150 000 habitants près de Bucarest, l’ingénieur originaire de Perpignan surfe sur la vague de l’électrique en convertissant des véhicules thermiques de manière artisanale – et les bureaux spacieux et confortables d’EV Romania baigne toujours un peu dans l’ambiance bidouille des débuts.

Un autre Français, Paul Baquet, est venu rejoindre Marc Areny en 2019 : il était le quatrième salarié, mais trois ans plus tard, la société en compte 20. Paul a tout laissé en France pour rejoindre Marc. Dans ses cartons, une imprimante 3D qui sert aujourd’hui à « imprimer des conduites d’air pour une batterie de Wolswagen ID3, mise dans un châssis de Nissan LEAF pour aller dans un e-NV200, le minibus Nissan électrique », explique-t-il d’une traite.

Aux côtés d’employés derrière leur ordinateurs dans un environnement de start-up, se mêlent moteurs, batteries et divers autres composants. Paul est aux manettes. Il est venu ici pour faire du développement de nouvelles solutions technologiques. « Souvent, il s’agit de systèmes sur lesquels nous n’avons aucune documentation, nous sommes pionniers », explique-t-il, avec excitation. Il fait tourner un gros moteur Tesla X, reliés à de nombreux fils et câbles. « L’ensemble va aller dans une Porsche, puis dans d’autres véhicules. »

Marc Areny.
© Benjamin Ribout / CdB

L’esprit DIY (Do it yourself) baigne toujours l’âme de l’entreprise. Ça aurait pu être dans dans n’importe quel domaine, mais Marc Areny voulait faire des « choses uniques et qui n’existent pas ». Un goût du challenge et de la technologie, et un flair : l’ingénieur a vite saisi le potentiel de l’électrique et de la Roumanie, pays où l’homologation des véhicules est bien moins compliquée qu’en Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, Marc peut « vendre du rêve » à ses clients. « C’est souvent des gens qui veulent se démarquer et qui ont les moyens d’avoir une voiture électrique de luxe, parce qu’ils veulent quelque chose d’unique », explique-t-il. Forcément, la note est salée mais, pour ces passionnés aisés, l’essentiel est ailleurs.

Marc slalome entre les véhicules sur la dalle en béton de l’ancienne caserne. Aux côté de la mythique Porsche 964, il nous montre un Buggy, lui aussi convertit à l’électrique. C’était pour le rallye Aïcha des Gazelles du Maroc, en 2017. « On a fait une conversion en 15 jours, un record pour nous. Le véhicule n’a pas concouru, il était là pour effectuer des tests et valider la mise en place de la nouvelle catégorie E-Gazelles sur le rallye », se rappelle Marc, les yeux pétillant au souvenir des virées dans les dunes du désert marocain. Aujourd’hui, trois professeurs universitaires de la petite ville de Petroşani, à plusieurs centaines de kilomètres de Piteşti, sont venus prendre le Buggy pour le montrer à leurs étudiants. Le véhicule voyage ainsi régulièrement pour promouvoir l’électrique. Les gars observent Paul qui le teste devant la caserne. Ils n’en reviennent pas du couplage, bien plus nerveux qu’avec un moteur thermique. Le buggy démarre en effet en trombe – un vrai petit bolide.

Autre modèle en cours de conversion : un 4x4 Defender, auquel l’équipe a mis un moteur Tesla. Là encore, un modèle bien plus performant que l’original, selon Marc. Les clients, qui sont au Kenya, vont ainsi pouvoir « balader les touristes pour leur safari photo avec un Defender électrique », explique Marc.

Au départ de son aventure entrepreneuriale, Marc caressait l’idée de convertir en électrique la voiture roumaine de monsieur Tout-le-Monde, la Dacia Logan. Le potentiel est là, pense-t-il à l’époque, « notamment parce que tous les chauffeurs de taxi roumains conduisent une Logan ». Le problème : en plus du kit de conversion, plutôt cher, l’homologation pour rouler sur route est très chère et n’est pas accessible à tous les portefeuilles. Marc réalise surtout que la production en série est une toute autre affaire, d’autant qu’il a un sérieux concurrent, tout proche : Dacia Renault, dont l’usine de Mioveni, à une dizaine de kilomètres d’EV Romania, sort son modèle électrique, la Dacia Spring, pour moins de 20 000 euros. Prudent, le Perpignanais change son fusil d’épaule en misant sur des « modèles exceptionnels ». Il met toutefois un point d’honneur à se faire la main sur une Dacia Logan, qu’il convertit pour 16 000 euros, en plus de l’achat à 5000 euros. Celle-ci est encore aujourd’hui le véhicule de l’entreprise et des employés, « pour promouvoir la démarche », précise-t-il.

Cette philosophie du « modèle exceptionnel » colle aussi mieux à la démarche artisanale projet. « Entre le moment où une voiture rentre ici avec son moteur thermique ou juste sous la forme de châssis et le moment où elle sort, il peut se passer un an », estime Marc, pour qui « sortir dix modèles par an, c’est déjà beaucoup ». Comme ce n’est pas de la production en série, les équipes sont constamment en train de chasser des pièces, des moteurs et composants. « On a à peu près tout ce qui se fait sur le marché, nos composants viennent des quatre coins du monde, notamment de pays où le marché de l’électrique est très développé », explique-t-il. Cela a permet de réutiliser des choses qui autrefois partaient directement à la poubelle. Cette mode de la conversion via la récup’ est partie, sans surprise, des États-Unis, où « il n’y a aucune règle qui interdise de mettre n’importe quelle moteur dans n’importe quelle voiture », explique Paul Baquet. En Roumanie aussi, apparemment, on est plus libre. « C’est vrai, rien ne t’interdit de mettre un moteur Tesla dans une Smart, tant que tu respectes puissances et masses. » Beaucoup de clients d’EV Romania utilisent leurs véhicules, parfois débridés, sur des circuits privés ou off road, ce qui n’empêche pas l’entreprise de faire aussi des kits destinés à l’homologation pour la route, avec moteur certifié, même si cela reste cher – pour l’instant.

Une « cave un peu particulière »

Dans cette aventure où le plaisir reste primordial, les batteries occupent une place centrale. « C’est même notre spécialité », estime Marc. Or, là aussi, le marché d’occasion est en pleine explosion et Marc a eu le nez creux. L’ingénieur ne fait pas que les mettre dans ses voitures. Il nous emmène sous la dalle de béton, pas peu fier de nous montrer sa « cave un peu particulière », selon ses mots. Beaucoup de machines, de branchements et de fils à chevaucher. Ces packs de batterie, Marc s’en sert pour stocker de l’énergie et être entièrement autonome. « Ça alimente mon atelier, le chauffage, je charge aussi mes voitures. Tout fonctionne via le solaire chez moi. Là, vous voyez, ça tourne plein pot, on produit notre énergie, on stocke le surplus et on en consomme une partie en direct », explique-t-il. Marc estime à 2000 euros par mois ce que serait la facture d’électricité dans son entreprise sans cette installation. D’après lui, ce montage d’environ 70 000 euros, il devrait le rembourser en à peu près cinq ans. Cerise sur le gâteau, il offre une seconde vie à ces batteries, « au lieu qu’elle soient broyées, ce qui en soi est énergivore ». À la place, l’ingénieur estime pouvoir tripler leur durée de vie.

À l’heure des problèmes d’énergie, il est de plus en plus sollicité pour ce type de système qui fonctionne sur la base de batteries en lithium seconde main, 50% moins chères. « Quand je suis allé sur un événement à Bucarest avec notre Buggy il y a trois ans et que j’ai montré notre pack de batteries dessus, à l’époque, personne ne comprenait. Aujourd’hui, tout le monde en veut... », s’amuse-t-il.

Retour à l’étage. Marc fait défiler sur un grand écran ses clients qui ont, dans toute l’Europe, déjà acheté sa solution. « Là, on a un élevage de cochons sauvages en France, ça c’est une station de charge pour voitures électriques en Belgique, là une ferme au bord de la mer Noire... » On y voit ce que chacun consomme en direct, stocke, revend au réseau ou encore utilise pour tout autre chose. « Il y en a même un qui utilise l’énergie qu’il produit pour faire du minage de bitcoins », explique Marc, qui y voit un immense potentiel pour du stockage d’énergie industriel et semi-industriel, notamment pour des hôtels ou l’industrie du textile, des sablières ou autres entreprises qui retraitent les matériaux et utilisent des concasseurs et pompes électriques.

Autre clientèle, le résidentiel et les personnes qui sont hors de tout réseau électrique, ou celles qui ne veulent tout simplement consommer que leur seule production pour ne dépendre de personne. Une tendance présente un peu partout. C’est à un ami roumain que Marc a vendu son tout premier pack de batteries équipé de panneaux solaires, le tout monté sur une remorque mobile. Cinq ans après, la remorque se trouve toujours à une dizaine de kilomètres de Pitesti, au bord des lacs de pêche de Levi. Marc nous y emmène en Logan électrique. Torse nu, Levi - musicien dans la vie - est en train de faucher avec un voisin venu lui donner un coup de main, avec sa charrette et son cheval.

« Voila le miracle », dit d’emblée Levi en nous montrant la remorque, premier prototype de Marc qui tourne toujours à plein régime. Entre ses amplificateurs de guitare, les congélateurs, le frigos à bières, le lave-vaisselle, la pompe à eau pour le puits, l’éclairage extérieur autour des lacs, Levi en consomme du courant. Mais il ne voulait rien devoir au réseau. « De véritables escrocs », lâche-t-il, remonté, quand il montre les pylônes qui passent sur son terrain. « C’est eux, les voleurs, qui passent chez moi et ils n’ont jamais rien voulu me donner. Au contraire, il voulait que ce soit moi qui les paie ». Pour lui, être autonome, ne rien devoir à personne et encore moins « à la mafia au pouvoir ». À l’heure où les factures énergétiques grimpent en flèche, c’était « une évidence ». L’installation a un coût - 10 000 euros - mais pour lui, cette indépendance les vaut largement. Une version pour petite maison existe aussi, moins chère – 4000 euros.

Pour Marc, ce type de solutions a aussi l’avantage de toucher au porte-monnaie. « Pour les Roumains, faire des économies est important », estime-t-il. À ceux qui pensent que ces batteries se dégradent, Marc répond qu’après 6 ans d’utilisation, la batterie de Levi a eu une dégradation de seulement 0,5%.

C’est le sens de la demande. Petit à petit, on va vers l’électrique, je m’adapte.

Sur le retour, vers la caserne, le téléphone sonne en permanence. Des Roumains, des étrangers, tout le monde se renseigne sur les conversions de Marc, qui fait aussi de la consultance. « Pour les personnes attachés à leur véhicule, par exemple une Beetle, cela fait sens si tu peux la convertir, car il y a un lien sentimental qui rentre en compte », estime l’ingénieur. Or, dans certains pays, certains véhicules thermiques seront interdits de rouler dans quelques années. D’autres veulent des détails au sujet des panneaux. « Les gens ici sont vraiment curieux et ouvert à la technologie », estime Marc.

Alors que rien ne le destinait à venir en Roumanie, il est aujourd’hui profondément attaché à sa région d’adoption. Ce Catalan d’origine s’éclate à Piteşti et continue de voir les choses en grand. Sa dernière lubie : fabriquer une grande remorque de stockage d’énergie de 150 kWh, équipée là aussi de panneaux solaires et de batteries pour équiper un gros événement, type festival, là où c’est compliqué d’avoir des générateurs. « Ok, il y a toujours des matériaux mais au moins on ne consomme pas de carburant et le bilan énergétique est plus intéressant. Et c’est aussi le sens de la demande. Petit à petit, on va vers l’électrique, je m’adapte. » Le prototype est déjà en train d’être monté dans la cour, aux côtés d’un bateau qui, avant, servait à promener les touristes dans le Delta du Danube. Eh bien lui aussi va passer à l’électrique.