La Macédoine du Nord et l’intégration : « l’UE a perdu toute sa crédibilité »

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Skopje s’attendait à se voir ouvrir le chemin de l’UE après avoir réglé son vieux conflit avec la Grèce en 2018 et engagé les réformes demandées. Mais le blocage de la France puis le véto bulgare sont venus doucher ces espoirs. Entre le scepticisme des citoyens et un processus d’intégration qui « devient ridicule », quelles perspectives reste-t-il ? Décryptage.

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Propos recueillis par Laurent Geslin

© Laurent Geslin / CdB

Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.


Zoran Nechev est directeur du département de l’Union européenne au sein de l’Institute for Democracy et membre du BiEPAG.

CdB : Comment expliquez-vous les résultats catastrophiques de l’Union sociale-démocrate de Macédoine (SDSM) aux municipales du 31 octobre dernier ?

Zoran Nechev (Z.N.) : Comme souvent, les résultats des élections municipales sont la conséquence d’une frustration au niveau national. Deux raisons expliquent cette défaite : Zoran Zaev a tout misé sur l’international, espérant l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Union européenne (UE), ce qui n’a pas été le cas et il n’a pas non plus tenu son agenda de réformes au niveau national. Quand la Bulgarie a posé son veto, à l’automne 2020 le gouvernement social-démocrate a été désorienté, il ne savait plus comment avancer. Cela ne doit bien sûr pas tout excuser, ce n’est pas la première fois que la Macédoine du Nord est bloquée dans des négociations avec ses voisins.

La crise engendrée par la pandémie de Covid-19 a aussi ralenti le processus de réformes au niveau national. La réforme de la justice a certes été entamée, mais il y a des cas concrets où le système judiciaire n’a pas réagi de la bonne manière. Certaines affaires ont été mises de côté, et la mise en application des réformes législatives n’est jamais venue. Les citoyens macédoniens ont ressenti le sentiment d’impunité qui anime les dirigeants de la coalition actuelle, comme cela avait déjà été le cas durant les mandats de Nikola Gruevski.

CdB : La position de Zoran Zaev semble de plus en plus fragile : il apparaît toujours dépendant des partis albanais et notamment de l’Union démocratique pour l’intégration (BDI)...

Z.N. : Sa situation était déjà très fragile avant les municipales. Le Premier ministre est apparu à la télévision très vite après l’annonce de la défaite de son parti pour annoncer sa démission. Le VMRO-DPMNE a voulu déposer une motion de censure contre le gouvernement, mais cette initiative s’est arrêtée aussi vite qu’elle avait commencé. En raison d’une défection de dernière minute, le VMRO-DPMNE n’a pas eu assez de députés pour lancer la procédure et a dû renoncer. Zoran Zaev semble donc bien parti pour rester au pouvoir. Mais sa position va continuer d’être très fragile et je pense que de nouvelles élections législatives auront lieu au printemps 2022, ou un peu plus tard, le temps de voir si des opportunités s’ouvrent avec le nouveau gouvernement bulgare.

Le BDI a perdu Tetovo, qui était son principal fief, tombé aux mains de Besa. Je pense que nous verrons vite se constituer des coalitions pré-électorales entre les partis albanais et macédoniens. Le SDSM s’alliera encore au BDI, et le VMRO-DPMNE à Besa et à l’Alliance pour les Albanais. Nous verrons une bataille entre deux blocs réunissant des partis albanais et macédoniens lors du prochain scrutin, ce que nous n’avons jamais vu dans l’histoire du pays. Mais même si les sociaux-démocrates remportent les prochaines législatives, je ne crois pas que Zoran Zaev prendra à nouveau la tête du gouvernement.

CdB : Est-ce que les citoyens macédoniens croient encore à l’intégration européenne ?

Z.N. : Ils sont bien sûr très sceptiques. Après la résolution du conflit avec la Grèce sur le nom, tout le monde pensait que le chemin vers l’UE était ouvert et que l’avancée des négociations dépendrait surtout de la façon dont la Macédoine du Nord mettrait en œuvre les réformes et l’accord de Prespa. Mais ce n’est pas le cas et le blocage bulgare est apparu subitement. Il est donc désormais difficile de se présenter à des élections avec des promesses concernant l’UE. C’est peut-être ce qui est le plus problématique. Les gens ont le sensation que certains États membres de l’Union ne font qu’extorquer des choses aux pays candidats des Balkans occidentaux. Et de fait, cela devient ridicule. Nous avons été bien plus loin que les critères de Copenhague. Certaines capitales européennes se sont longtemps cachées derrière les Grecs. Nous nous attendions bien sûr à ce que des point soient discutés avec les Bulgares, mais pas au point de nous voir opposer un veto.

Le blocage de la Macédoine du Nord donne en outre de très mauvais signaux à l’ensemble de la région. Plus personne ne pense que quelque chose va bouger sur la question de l’intégration. De fait, c’est la crédibilité de l’UE qui a été perdue. Angela Merkel a fait ce qu’elle a pu, elle aurait pu peut-être faire plus, mais elle a poussé. Beaucoup de gens dans les Balkans voient au contraire le blocage de 2018 et la modification des conditions d’accession voulue par le Président français Emmanuel Macron comme un signe négatif pour de futures intégrations.

Je ne veux pas y croire, je pense que la nouvelle méthodologie était aussi une réponse d’’Emmanuel Macron à ce qu’il avait vu en Serbie, et qu’il n’avait pas aimé. Mais ce qu’il est important de noter, c’est que si cette nouvelle méthodologie a été poussée par la France, c’est à la France de montrer qu’elle peut produire des effets positifs. Et la meilleure façon de le montrer est d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, pour prouver que cette méthodologie marche. Intégrer les pays des Balkans occidentaux sans volonté politique est impossible.

CdB : L’initiative Open Balkan peut-elle être utile à la Macédoine du Nord ?

Z.N. : L’accord sera utile s’il est mis en œuvre, mais cela dépendra surtout des clauses qu’il contiendra. Pour l’instant, Open Balkan ne veut pas dire « transparent Balkans ». Car les documents qui ont été signés ou qui ont circulé entre l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie ne sont pas publics. Ils sont impossible à trouver, cet accord est donc difficile à commenter. Mais si les termes de l’accord respectent les critères européens, je ne vois pas pourquoi quiconque devrait s’en méfier. Ce processus doit dans tous les cas rester inclusif pour les pays qui voudraient le rejoindre plus tard.

CdB : Est-ce que l’on peut attendre une approche plus positive de la Bulgarie envers la Macédoine du Nord, après les troisièmes élections législatives de l’année ?

Z.N. : Je suis optimiste, comme toujours, sinon je ne travaillerais pas sur l’intégration des Balkans occidentaux à l’UE. Le prochain gouvernement sera une coalition, il faut donc attendre de voir qui la composera. Au moins, l’exécutif précédent, qui bloquait toute discussion, n’est plus au pouvoir. Et certains partis d’extrême-droite qui en faisaient partie ne sont même plus au Parlement. C’est donc déjà un changement positif, et cela prouve que les citoyens bulgares veulent eux aussi avancer.