Blog • Vers les horizons familiers, récits de voyage d’une amoureuse des Balkans

Ce récit relate le road trip de Renaud Larivière, designer-illustrateur et moi-même, Fanny Monod, écrivain-compositrice, partis dix jours sur la route des Balkans. Nous avons fait ce voyage pour ouvrir nos horizons, et nourrir notre livre interactif de science-fiction, Maïzoona, et rejoindre mon amoureux macédonien en voiture. Passant par Zadar, Sarajevo, Belgrade et Skopje, nous partageons avec vous nos impressions, captures graphiques et sonores, à la rencontre de ces cultures et lieux fabuleux.

Zadar, Croatie, 30 juin 2015

Première étape de notre virée balkanique. Après une soirée de rêve à Vérone, un rendez-vous manqué à Rijeka et quelques circonvolutions dans l’arrière-pays croate par défaut de GPS, nous voici à Zadar. Petite ville en bord de mer de la Croatie, Zadar peut être atteinte soit en longeant les côtes, ce qui donne des paysages terriblement magnifiques, soit par la voie rapide, en s’enfonçant dans les terres. En quittant Rijeka, j’avais donc bien hâte de partager ces images avec mon collègue, les ayant en mémoire depuis un bus trip à l’itinéraire similaire réalisé l’an passé.

Malheureusement, ce ne fut pas le cas. En milieu d’après-midi et après déjà cinq heures de route, nous nous trouvions à errer de nationales en autoroutes, les signalisations nous étant hélas peu évidentes. La fatigue et la frustration commençaient à entamer notre bonne humeur, lorsque nous avons humé une fraîcheur bienvenue. Dans ces monts escarpés et fournies de forêts, nous avons ainsi trouvé des échos auvergnats. De ces routes sinueuses, vertes et vides, nous avons goûté la sensation de liberté, sur fonds de souvenirs de Savoie, sans parler de ces plaines colorées, qui rayonnaient sous la lumière du soleil couchant. Plus le temps s’étendait, plus ces horizons, auparavant lointains et mystérieux, prenait un air familier. Un sourire m’imprégnait lorsque je me disais qu’ils le seraient de plus en plus. En effet, je quittais la riche France pour rejoindre la Macédoine et celui qui fait battre mon cœur. J’emmenais dans mon périple sous prétexte de voyage pour la création mon ami et collègue, Renaud Larivière. Ce trajet, il y avait donc de fortes chances que je le refasse souvent.

Route de Croatie
© Fanny Monod

Je pars pour peut-être vivre en Macédoine. C’est un fait qui troublait beaucoup nos hôtes de Zadar, comme beaucoup d’habitants d’Europe de l’Est d’ailleurs, qu’ils y soient encore ou pas. Pour moi, française, c’est toujours étonnant que mon pays soit vu comme un Eldorado, alors que je n’y trouve pas moi-même assez de contentement pour ne pas rêver d’autres horizons. Délire de riche ? Peut-être. Plus le temps passe, plus je vois les conditions de vie ici, en particulier de travail, et plus j’admets qu’effectivement nous avons de la chance. Mais, selon moi, il y a des choses ici qui manque à la France. Certes, je comprends la réaction de nos hôtes, quitter un pays d’abondance où la vie est confortable pour un autre plus dur, où la galère s’inscrit dans l’ADN culturel, c’est vraiment une drôle d’idée. « Pourquoi ne l’emmènes-tu pas en France ? » me demande-t-on. « Pourquoi ne pars-tu pas la rejoindre ? » lui assène-t-on. Parce que ce n’est pas si évident ? Par principe, je n’écarte aucune piste. Également, je pense qu’avec Internet, nos rapports aux territoires ont changé, au-delà des crises, et reposent désormais sur la volonté de ceux qui les vivent, dans leur capacité à s’organiser. Ensuite, parce que je m’y sens bien.

Dans les Balkans, en tout cas dans les endroits que j’ai pu traverser, il flotte dans l’air un je-ne-sais-quoi qui nourrit nos esprits créatifs : des décors, une atmosphère. C’est pourquoi nous nous y rendons. Pour moi, avec ma voiture, et pour Maïzoona.

Les détours nous auront au moins appris une chose : notre trop grande confiance et dépendance à la technologie, en particulier envers les services d’un géant américain, et ce qu’elle provoque en nous, colère, injustice, impuissance, lorsque nous sommes abandonnés par elle. Également, il serait bon de noter la naïveté dont nous avons fait preuve en nous rendant dans des zones inconnues, sans vraiment chercher à les connaître. J’aime l’idée qu’un territoire se mérite, malgré les obstacles, même si en pratique cela nous occasionnerait quelques frais d’essence et de fatigue supplémentaires.

En tout cas, nous voici à Zadar. Je pensais amener Renaud vers la « Célébration au soleil » qui se trouve face à la mer, mais nous avons tant discuté avec nos hôtes que l’heure tardive nous a conduits à un raisonnable repos. C’était sans regrets. Raconter nos histoires, d’amours, de création, montrer notre travail, surtout les dessins de Renaud, et échanger entre yeux qui pétillent, qu’ils soient croates ou français, valait largement de se priver d’une session touristique nocturne. Cela m’a donné envie d’écrire pour relater notre première étape et la relier à son objet : découvrir, créer, partager.

Demain nous irons à Sarajevo, et je ne doute pas que les émotions seront au rendez-vous. Une bonne nuit de sommeil s’impose.

Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, 2 juillet 2015

Hier fut une journée calme. En matinée, nous avons visité Zadar, effectué les prises de sons nécessaires de l’orgue marin pour Maïzoona, pris quelques photos, un déjeuner face à la mer et rejoint l’appartement. Nous avons retrouvé nos hôtesses qui s’étaient tout du long pliées en quatre pour que nous nous sentions à l’aise, un au revoir ému, et nous étions partis pour la Bosnie.

Route de Croatie
© Fanny Monod

Autant la Croatie nous accueillait dans une ambiance balnéaire sans réel effort de notre part, probablement un effet du tourisme occidental ambiant, autant la Bosnie nous effrayait un peu. Et là, je m’interroge sur l’utilisation générique de « la Bosnie », ou « la Croatie », comparée à l’extrême brièveté de nos séjours. Je compte donc sur le lecteur critique pour relativiser mes propos. La Bosnie, disais-je, nous paraissait beaucoup plus hostile à notre venue. Tout d’abord, les très nombreuses recommandations de prudence dont nous avions été l’objet, que ce soit par des Bosniaques ou Croates, nous avait considérablement refroidis dans notre délire d’aventure. Puis, par la guerre que nous savions encore hanter les murs.

Arrivés au poste de frontière, la procédure a été en effet plus longue et moins conviviale que d’habitude, mais nous étions loin des fouilles de véhicules et bakchich à donner qui étaient annoncés. Nous nous sommes ensuite engagés sur l’autoroute, où nous avons payé un droit de passage, pour en sortir environ 15 minutes plus tard. Une déviation nous avait en effet emmenés sur une petite route à la rencontre des villages. A ce moment, nous entrions plus profondément dans cette Europe de l’Est fidèle aux images de la télévision, celle que nous redoutions, mais que, au fond, nous attendions. J’ai alors ressenti ce léger malaise qui m’avait traversée lors de ma première venue dans les Balkans, arrivée en Albanie. Une sorte de « Wouaw, ah oui, c’est différent » et « Oh, mon dieu, c’est la misère, un peu ». Mais étrangement, j’avais bien aimé. Comme un nouveau souffle, un authentique qui manquait, jusqu’à relâcher les tensions et réentendre battre mon cœur. Peut-être parce que ne plus de croiser les mêmes enseignes, martelant sans cesse les mêmes messages aux valeurs consuméristes fait un bien fou. Peut-être parce qu’ici le rapport au temps se fait plus doux. Inutile d’être pressé, et encore moins stressé, car de toutes façon il faut attendre (sur les routes, les bus, les personnes...). Et également un rapport à soi qui paraît moins violent, moins flagellant (« Here, we don’t kill our mind », m’ont dit plusieurs Albanais et Macédoniens). Ou parce que découvrir d’autres façons de vivre confirme cette intuition que, oui, d’autres voies sont possibles, dont l’on peut s’inspirer, afin d’en explorer d’autres, et d’en inventer encore.

Donc différent, enfin.

Chez mon collègue, l’effet était également très présent. D’habitude si prolixe, il gardait le silence, attentif. Nous sentions que nous étions hors de notre zone de confort, peu à l’aise face à cette nouvelle réalité, et précisément dans les sensations recherchées.

Je pense que le point ultime est quand nous avons croisé notre premier mur criblé de balles. N’ayant jamais vécu la guerre autrement que dans les livres, nous prenions conscience de ces conflits passés dont les stigmates se trouvaient encore dans le présent. Et saisies dans l’instant suivant, que les personnes que nous croisions là portaient ces stigmates dans leur présent. Tout à coup, je me sentais honteuse de débarquer ainsi sans manières, avec mes yeux voyeurs. C’était facile pour nous de travers ces territoires, de commenter les décors, de nous amuser des édifices en cours et de supposer sur les cultures et les modes de vie. Mais finalement, qui étions-nous pour supposer quoi que ce soit ? Avions-nous la moindre idée de ce que ces populations vivaient encore aujourd’hui ? Lorsqu’il n’y a pas un mur, un quartier pour rappeler qu’ici des gens se sont déchirés, sont morts, ont tout perdu ? Même si c’était avec un regard plein d’amour pour ces espaces que nous cherchions à connaître, notre naïveté me semblait frôler l’indécence. Nous avons néanmoins continué quelques commentaires idiots, mais plus discrètement cette fois.

Après une demi-heure dans les collines, la route nous a emmenés le long du fleuve, dans des gorges à la beauté époustouflante, où la conduite est un régal et qui plus est, saine avec les autres chauffeurs. Chacun va à son rythme, sans oppresser celui qu’il veut doubler. Le seul élément de vigilance était d’être conforme au code de la route. Heureusement, les autres automobilistes nous faisaient des appels de feux pour nous signaler la présence de la police, nous réduisons alors notre vitesse et traversions sans encombre.

Arrivés en banlieue de Sarajevo et en recherche de notre logement déniché sur une plate-forme collaborative bien connue, plusieurs chocs. Le premier fut l’état d’extrême délabrement des immenses immeubles qui encadraient notre route. Le deuxième fut l’incroyable quantité de murs criblés de balles ou d’obus qui ornaient les bâtiments. Le troisième fut le champ de tombes blanches sur le flanc de collines qui nous accueillait face à nous lorsque nous nous enfoncions dans le quartier. Les tripes se remuèrent, et nous nous disions que le séjour sera certainement moins glamour qu’à Zadar ou Vérone.

Sarajevo
© Fanny Monod

Après quelques pertes d’orientations, sauvés par d’adorables bosniaques tendant une direction secourable, nous avons rejoint notre hôte. Nous avons parlé un peu du trajet, des paysages, et de notre envie de partir visiter Sarajevo en soirée. Le « It’s a nice city » émis avec grande sincérité nous mis la puce à l’oreille. Nous risquions d’être surpris.

En effet, arrivés en ville, et passée la session tramway digne d’un Mad Max, nous sommes arrivés dans une ville superbe, pleine de joie, de couleurs et de sourires. Nous nous y sommes sentis tout de suite à l’aise et nous laissant portés par la foule, de ruelles de pierre aux axes luxueux.

Après quelques visites enjouées, nous avons atterri dans un restaurant où le maître des lieux nous a accueillis en français. Je m’étais déjà faite cette réflexion l’an passé, la nationalité française est quand même un sésame pour bien des portes. « Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as, de cette liberté d’aller où tu veux et que nous n’avons pas », m’avait dit un jour mon amoureux macédonien. Non, je ne me rends pas compte. Et je sens bien qu’il y a quelques choses d’injuste. De ce que j’ai pu voir, les diplomates français ont bien œuvré à partir de la deuxième moitié du 19 ème siècle, tant dans les accords bilatéraux aux frontières, que par l’implantation de la langue français dans une large couronne autour de la métropole. Et c’est plus facile pour nous, habitants de cette riche et estimée nation, d’aller et venir, accueillis par des sourires. Cela me semblait trop quand je découvrais ces cultures et ces peuples, à quelques centaines de kilomètres de nos foyers. Sans cracher sur ce confort, j’interroge juste sur le pourquoi de tels honneurs.

En tout cas, nous avions retrouvé une allégresse qui nous avait quittés depuis la Croatie, oscillant entre surprise du décalage face à des a priori sur les Balkans, et confirmation qu’il y a effectivement ici quelque chose qui nous échappe et s’apprivoise. Pour ma part, puisque ce sera peut-être mon foyer, je prendrais le temps d’apprendre les règles et comprendre les usages, comme il paraît juste lorsque l’on n’est pas chez soi.

Belgrade, Serbie, 5 juillet 2015

Nous venons de séjourner deux jours et demi chez mon ami qui travaille à l’Institut Français de Belgrade. Déjà, avoir un point d’ancrage en terrain amical nous avait fait du bien. Ensuite, nous avons découvert une ville extraordinaire ! La route était plutôt longue et l’arrivée bouchonnante nous avait ramené aux désagréables aléas des grandes villes. J’étais assez désolée de l’heure supplémentaire par rapport à l’horaire annoncé, mais fusât une réponse sans appel « Voyons, Fanny, tu es dans les Balkans, tu arrives bien quand tu arrives ». J’adore.

Après un repas maison, comprenant entre autres le délicieux Ajvar, nous sommes partis visiter la ville sous des néons colorés mettant en valeur le patrimoine architecturale. Pour Renaud, c’était un régal. Dans ces grandes arcades, ces immenses bâtiments institutionnels et commerciaux, ces glorieux édifices religieux, nous avons trouvé une grandeur qui force le respect et impose l’humilité. « C’est le but » nous renseignât mon amie. Et le tout sans le fatras des grandes villes habituellement parcourues. Ici, moins de diversité ethnique et religieuse telles que nous l’avions rencontrée à Sarajevo. Par contre, une vie riche et dynamique, qui nous a fait aimer la ville dès les premiers instants. J’en suis venue à me demander si j’allais trouver autant de stimulation à Skopje, capitale de la Macédoine, que j’avais déjà effleurée l’hiver dernier.

Quelques sessions touristiques plus tard, avec tour du parc de la forteresse, dérives en fonction des envies, suivies le lendemain de la visite du musée de Nicolas Tesla, et la ville nous avait totalement conquis. Le soir, nous avons goûté un délicieux dîner bien peu dispendieux en comparaison de nos tarifs français, mais trop cher selon notre hôte, puis la découverte d’un incroyable café au sein d’un grand jardin au cœur de la ville. C’est ce genre de lieux de détente que j’aimerais rencontrer à Montpellier... Je me dis que si mes parents visualisaient ce type d’endroits, ils appréhenderaient certainement beaucoup moins mon immersion dans les Balkans. Nous avons alors entamé une discussion sur les a priori relatifs à la région. Notre hôte nous avait déjà fait part de son étonnement quant aux recommandations que nous avions tant intégrées par rapport à la Bosnie. « Ils aiment se faire peur », avait-elle commenté. Un étonnement qui est allé grandissant lorsque j’ai rapporté les remarques que j’ai pu recevoir, de la part de mes proches, à l’annonce de mon départ pour la Macédoine. Des fantasmes horribles et disproportionnés qui interrogent : pourquoi cette réputation ? Certes, la vie y est rude, les conflits récurrents, ou du moins latents, mais ont-ils vraiment plus de blâmes que nous occidentaux qui imposons notre vision et affamons la moitié de la planète ? Il y aurait beaucoup à dire. La raison me semble donc essentiellement tenir à une très grande ignorance de ces cultures. D’où mon intérêt à écrire, donner à voir sur les Balkans, et l’ailleurs en général.

En partageant ma connaissance des Balkans avec mon amie, je réalise que se faire une idée de ce qu’ont vécu ces pays est difficile. Entre les documentaires visionnés, la lecture d’articles de presse, les guides et les échanges avec mon amie qui pratique ces territoires de l’intérieur depuis plusieurs années, les versions ne sont pas vraiment concordantes. Chaque histoire apparaît comme une pièce d’un puzzle complexe où la réalité de chacun tantôt diffère, tantôt se superpose à celle des autres. Il semble idiot de prétendre à dessiner précisément les tenants et aboutissants qui ont menés aux événements de la région. Pourquoi ce phénomène et pourquoi est-ce différent dans nos pays où semble régner un certain consensus sur l’Histoire ? Il semble que nous possédons de minutieux rapports écrits officiels, grâce (ou à cause) d’un pouvoir central fort et d’une certaine stabilité géopolitique ayant traversé les siècles. Et en même temps, si l’on interroge les mémoires régionales, iront-elles dans le sens de l’Histoire de France telle qu’apprise à l’école ? Dans les Balkans, il est peut-être simplement plus visible la différence entre ce qui est rapporté par les publications institutionnelles (qui sont plurielles) et ce qui est vécu par les populations (plurielles également). Pour l’étranger de passage, il ne lui reste qu’à négocier entre ces différentes versions, sans espérer trouver le dernier mot.

Le lendemain, nous avons visité le musée de la Yougoslavie, afin de nous éclairer un peu. Nous avons croisé des discours dont nous avons vite compris la partiale impartialité, et dont les multiples représentations des horreurs de la guerre commise par les troupes de l’Axe nous ont retourné les tripes. Instructif et perturbant, donc.

Au fur et à mesure que j’appréhendais les différentes zones des Balkans, je relativisais ce que j’avais pu rencontrer en Macédoine. A la fois le différent l’était beaucoup moins quand je le retrouvais en Bosnie ou en Serbie, et autant l’indigence de ce pays comparé à ses voisins me sautait au visage. Il me semblait mieux comprendre les rapports complexes entre grand frère serbe et benjamin macédonien qui nourrissait parfois les discussions de réactions étranges à mes yeux. Mais par crainte d’énoncer des énormités, je ne m’étendrais pas plus sur le sujet.

Nous sommes à présent en départ pour Skopje, avant-dernière étape de notre périple, sur le territoire de la nation de mon cœur. Une joie douce me prend à l’idée de retrouver ce pays dont j’ai une profonde affection, un peu biaisé certes, mais sincère, tant pour sa capitale, ses espaces et ses habitants qui ont tant à offrir.

Ohrid, Macédoine, 11 juillet 2015

Face à la mer, je reprends le clavier. Enfin, la mer. Le lac. Il est si immense, si bleu, si ancien (le plus vieux d’Europe !), et scintillant sous un soleil d’or, qu’il inspire les mêmes tranquillité et poésie que la grande bleue.

Nous avons passé trois jours à Skopje et cela fait presque quatre jours que nous sommes à Ohrid. Le temps semble encore plus lent ici que lors du reste de notre voyage. Le paysage époustouflant du lac d’Ohrid accompagne notre quotidien, l’amenant loin des courses effrénées dont nous avons l’habitude. Le logement où nous sommes à présent n’ayant pas internet, ajouté à de considérables factures téléphoniques, nous amène à laisser nos terminaux dans les sacs. Ils s’oublient dans un coin de poche, plutôt qu’à s’imposer, sonores et immanquables sur les tables, au milieu des conversations. En plus, nous passons beaucoup de temps de qualité avec nos hôtes, à grand renfort de rakia et de langage universel. L’instant s’invite et nous l’apprécions à sa mesure.

Revenons à Skopje. Contrairement aux autres villes que nous avions pu traverser, l’attente était différente. Plusieurs facteurs créaient l’enjeu : il s’agissait de la capitale de mon pays de cœur, j’y étais déjà venue, et nous venions de traverser deux capitales majeures des Balkans.

Quand nous sommes entrés dans la ville, nous avons pu remarquer l’aspect rudimentaire des rues et bâtiments. Le GPS nous a emmené dans un quartier a priori pavillonnaire mais à l’allure en construction. Cet aspect est assez généralisé à l’ensemble de la ville et peut s’expliquer par le plan d’aménagement initié par les autorités en 2010 et toujours d’actualité. Vaste chantier devant doter la ville d’un patrimoine disparu lors du tremblement de terre de 1963, il génère des bâtiments au style inclassable et de nombreux monuments à la mémoire de figures historiques. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, disons simplement que pour le touriste de passage, les choix architecturaux sont surprenants, non sans rappeler le style pseudo antique du quartier Antigone à Montpellier. Néanmoins, au milieu des bulldozers et des palissades, nous avons pu apprécier une ville avec du caractère et ayant beaucoup à dire. La réflexion que nous nous sommes faite avec Renaud est que le patrimoine est riche et touchant, n’ayant rien à envier à d’autres lieux très prisés et qui gagnerait à être mieux mis en valeur.

Un bon exemple de cela est le Musée d’Art contemporain de Skopje. Il est extrêmement riche et concerne essentiellement la période 1950-1980, allant de la peinture impressionniste aux nouveaux arts multimédias, en passant par la sculpture et la photographie. La grande surprise a été de retrouver de nombreuses œuvres de maîtres que je n’avais encore jamais eu la chance d’apprécier, tels Fernand Léger, Victor Vasarely, André Masson, Christo ou Pablo Picasso. Ces œuvres ont été des dons des artistes, suite au tremblement de terre et à la mobilisation de la communauté internationale. Nous avons donc parcouru avec émotion cette effervescence culturelle, comptant les gardiens et agents d’entretiens pour seuls compagnons, au milieu des œuvres alignées.

Ce qui nous a également sauté au visage est le culte du corps. Dans les rues de la capitale, et aussi dans les rues d’Ohrid quelques jours plus tard, les affiches et écrans de télévision exhibent, sans se lasser, des corps parfaits dans des postures suggestives. De quoi être un peu mal à l’aise, même si en France nous ne sommes pas en reste sur l’utilisation à outrance de l’image de la femme. Lors de discussions avec mon compagnon, je me suis rendue compte que l’on est loin du même phénomène. Ici, on attend de la femme qu’elle soit belle, mais elle l’est très rapidement, quelque soit son physique, du temps qu’elle l’incarne en elle-même. Les images publiques sont plutôt des fantasmes, et non une perfection à atteindre.

Également, c’est la première ville où nous avons rencontré une très forte concentration de populations tziganes, ce qui donne à la ville un air très cosmopolite. D’ailleurs, les enseignes l’indiquent. Tous les panneaux sont en macédonien et en albanais, et pour certains, en macédonien, en anglais, en allemand et en français. C’est à mon avis pour cela, qu’en France, le terme macédoine désigne une grande variété de fruits ou légumes dans un même plat, symbolisant la diversité culturelle de ce pays.

La ville semble s’avancer timidement vers un dynamisme moderne et international, comme l’ont pu le démontrer un jeune groupe de tambours roumain, même si le public ne répondaient pas tout à fait aux sollicitations du chef d’orchestre.

J’en ai profité pour graver dans mon dos quatre nouveaux symboles sous forme d’un lion-singe, grâce à un tatoueur talentueux contacté via un réseau social célèbre. La Macédoine devient un souvenir qui compte sur ma peau.

Nous savourons à présent la beauté tranquille d’Ohrid, mais aussi de Sveti Naum, étonnant site touristique à la frontière avec l’Albanie, où travaille mon compagnon. Même si le tourisme est présent, il n’est pas envahissant, de quoi nous laisser en profiter.

Lundi prochain nous fêterons mon anniversaire, une nouvelle ère commence.