Blog • Psaume 44 (Fayard), un roman de jeunesse de Danilo Kiš dense et terrible

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Danilo Kiš

Maria s’apprête à s’évader du camp d’Auschwitz-Birkenau avec son petit enfant et une co-détenue, Zhana. Nous sommes en novembre 1944, dans les derniers mois de la guerre. Les canons tonnent dans le lointain, annonçant la progression des libérateurs et l’effondrement proche des nazis. Mais c’est bien par son atmosphère crépusculaire et terrible, dense et lourde, que Psaume 44, un roman de jeunesse du grand écrivain yougoslave (1955-1989), frappe le lecteur. Publié en 1962 à Belgrade, l’ouvrage paraît pour la première fois en français, traduit par Pascale Delpech, et est suivi de La Mansarde, un texte inspiré de souvenirs bohèmes des années cinquante.

Psaume 44 accompagne les pensées et les tourments de Maria, la nuit précédant son évasion. La jeune femme se souvient notamment de sa découverte de l’antisémitisme dans son enfance, de ces phrases assassines dont la petite fille ne comprend pas d’abord la signification, des explications gênées de son père. Des images effroyables d’un massacre sur les bords du Danube dont elle fut témoin lui reviennent également en mémoire, tout comme sa volonté farouche de survivre. « Elle se souvenait qu’un sentiment insensé, que l’on pourrait qualifier d’espoir, ne l’avait jamais abandonnée, même ce jour-là, jusqu’au moment où elle s’était évanouie ».

Danilo Kiš insiste sur cette idée de l’invraisemblance, de la folie qu’il y avait à garder l’espoir en ces temps sombres. « Elle avait l’impression qu’elle s’était résignée devant tout ce qui arrivait, mais plus tard elle avait compris qu’en fait elle n’avait pas vraiment renoncé et que quelque chose de déraisonnable, que l’on peut appeler l’espoir, ne l’avait jamais complètement abandonnée ».

Tout cela est âpre, dur, empreint manifestement de souvenirs personnels de l’auteur, de récits familiaux entendus dans ses jeunes années, lui dont le père était juif et dont une partie de la famille a péri à Auschwitz.

Il y a des images magnifiques exprimées en quelques lignes, comme celle de ce convoi de prisonniers arrêté dans une gare, quand la nuit régnait sur l’Europe. « Elle reconnut les cris de détresse babéliens qu’elle avait elle-même entendus lorsqu’elle avait été transportée dans des fourgons semblables, ces cris désespérés qui se transformaient en un rauque chuchotement desséché : dans toutes les langues de l’Europe, le mot ’eau’ était prononcé comme s’il incarnait l’existence même, plutôt que l’élément premier des Grecs anciens et la substance essentielle de tout ce qui est vivant… »

Danilo Kiš s’est exprimé à plusieurs reprises sur Psaume 44 et n’a pas manqué de le critiquer, paraissant comme regretter un temps sa tonalité résolument tragique. Dans une très intéressante préface, Jean-Pierre Morel cite l’écrivain : « La faiblesse de ce livre de jeunesse, a-t-il dit un jour, ne réside pas tant dans cette intrigue trop forte, trop pathétique, que dans l’absence totale de la moindre distance ironique ». Quoi qu’il en soit, Psaume 44 complète l’œuvre accessible en français de l’auteur d’Un tombeau pour Boris Davidovitch.

Danilo Kiš, Psaume 44 suivi de La Mansarde, traduction de Pascale Delpech, Paris, Fayard, 2017, 424 pages

  • Prix : 19,00 
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