Grèce : partir ou rester, le dilemme des jeunes

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Cumuler plusieurs petits boulots pour s’en sortir, rester habiter chez ses parents passée la trentaine… L’avenir est loin d’être rose pour la jeunesse grecque qui ressent toujours les contrecoups de la crise économique. Beaucoup de jeunes Grecs songent toujours à partir.

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Par Romain Chauvet

Athènes
Diego Vasquez | Pixabay

« La situation est vraiment mauvaise. Les politiciens se moquent des gens et des jeunes, ils ne savent pas ce que c’est que de vivre avec 800 euros par mois ou encore moins », lâche Antonis Katsiantonis, 28 ans. Comme bien d’autres jeunes, il est obligé de cumuler deux emplois en même temps afin d’arriver à toucher un salaire qui lui permet de vivre à Athènes.

Les jours de la semaine, il est sous-officier dans l’armée, les soirs et week-ends, entraîneur physique. « Si tu veux avoir un bon niveau de vie et faire des activités, un seul emploi n’est pas assez pour vivre à Athènes. Je ne pense pas que cette situation soit normale, mais le système est si mauvais que nous n’avons pas d’autres options ».

En Grèce, de nombreux jeunes doivent désormais cumuler plusieurs petits boulots pour s’en sortir. La situation est encore pire dans les grandes villes, comme à Athènes, où le coût de la vie y est plus élevé. Avec un taux de chômage de plus de 24% chez les moins de 25 ans, soit l’un des plus élevés dans l’Union Européenne, des loyers en forte hausse et des salaires qui stagnent (salaire minimum de 780 euros depuis le 1er avril), les trentenaires sont nombreux à vivre encore chez leurs parents.

Antonis Katsiantonis s’estime chanceux de pouvoir vivre dans son propre appartement et d’avoir son propre véhicule, même si pour cela, il doit travailler sans s’arrêter. Il est bien conscient qu’autour de lui la situation est difficile pour de nombreux jeunes. « Le système ne valorise pas tes compétences. Tu peux avoir un diplôme universitaire et te retrouver serveur dans un café, je ne dis pas que c’est mauvais, mais ça ne correspond pas à ce que tu avais étudié. C’est triste de voir tous ces gens qui ne peuvent pas exercer l’emploi qu’ils désirent vraiment », déplore le jeune homme.

Antonis Katsiantonis dans son appartement, à Athènes.

Plus de dix ans après le début de la grave crise économique qui a frappé la Grèce, les contrecoups se font encore ressentir. La situation s’est même aggravée depuis la guerre en Ukraine et beaucoup de Grecs n’arrivent plus à joindre les deux bouts, notamment avec la forte inflation de ces derniers mois.

Pour l’économiste Lois Labrianidis, la situation économique du pays reste fragile. Elle serait même en moins bonne posture que le laisse entendre le gouvernement sortant et les partis de l’opposition dans la campagne électorale. « Ce n’est pas vrai de dire que la situation économique est meilleure qu’avant. Le gouvernement et l’opposition idéalisent la situation ces dernières semaines en montrant une fausse image de la réalité. Il n’y a pas eu de conversations honnêtes sur les grands enjeux économiques auxquels nous faisons face », explique-t-il, citant comme exemples la dette qui reste importante, la hausse des prix ou encore le niveau de pauvreté.

La situation le désole, notamment en ce qui concerne la jeunesse, directement touchée. « Beaucoup de jeunes partent, c’est un gros problème pour notre économie, mais aussi pour notre société. Le chômage est élevé, les salaires bas et les conditions d’emploi mauvaises avec beaucoup de statuts précaires. Nous devons absolument changer cela si nous voulons les retenir ou les faire revenir. »

Comme bien d’autres de ses amis, Antonis envisage lui aussi de quitter un jour son pays pour avoir une meilleure qualité de vie. « J’ai réalisé en voyageant et en parlant aux gens, que dans la majorité des pays européens les gens ont un niveau de vie plus décent. Leur emploi couvre une bonne partie de leurs besoins. Ce n’est pas le cas ici et je pense même que c’est de pire en pire. ».

Nouveau départ

Marina Rigopoulou fait partie de ceux qui ont décidé de partir. Dans les prochaines semaines, elle s’envolera pour la capitale autrichienne dans l’espoir d’une vie meilleure. « Je suis tellement excitée ! J’envisage de rester à Vienne, c’est plus facile d’avoir une meilleure vie là-bas. Je n’ai plus d’avenir ici de toute façon », explique cette jeune Grecque de 25 ans.

Ces dernières années, elle cumule aussi deux petits boulots pour s’en sortir. Et même en vivant avec son copain, ce qui lui permet de diviser par deux le loyer et les frais, elle n’arrive pas toujours à boucler les fins de mois. « J’arrive à gagner environ 400 euros par mois, voire parfois si je suis chanceuse 500. Mais c’est très peu comparé à tout ce qu’on doit payer. La crise économique est toujours là, certes pas comme avant, mais elle est toujours bien présente. Que peut-on faire avec 500 euros par mois ? », se demande-t-elle.

Marina Rigopoulou

Après avoir fait des études d’histoire de l’art, elle se retrouve à travailler dans un restaurant en plus de son emploi à l’Opéra national lors de représentations. Des petits boulots qui ne sont pas dans son domaine d’étude et qui la frustrent lorsqu’elle voit la situation dans d’autres pays européens. Après de longues recherches pour voir où elle pourrait s’exiler, son choix s’est arrêté sur Vienne où elle est allée en vacances.

« C’est triste pour le pays, mais on ne peut pas avoir d’opportunités ici. Le gouvernement se soucie seulement de l’argent et du tourisme, pas de nous. Nous devons partir pour nous en sortir », déplore la jeune fille. Si Marina et Antonis affirment qu’ils iront voter aux législatives le 21 mai prochain, ils restent sceptiques quant à l’issue du scrutin. « Les partis sont tous les mêmes, ils promettent monts et merveilles et finalement on se rend compte à chaque fois qu’ils ne se soucient que de l’argent », explique Marina.

Pour Antonis, l’espoir de changement pourrait venir des petits partis qui se présentent dans l’ombre des trois principales forces en présence. Selon les derniers sondages, Nouvelle Démocratie obtiendrait 32,5% des intentions de vote et Syriza 26%. Avec 9% des intentions de vote, le parti social-démocrate Kinal-Pasok représenterait la troisième force politique du pays. « Je ne pense pas qu’un nouveau parti sera élu. Je prie pour des jours meilleurs mais je pense que le système est tellement corrompu et contrôlé par le haut que je ne vois pas comment cela pourrait changer », dit-il amer.

Ces élections, Marina les balaie d’un revers de main. Elle ne peut s’empêcher d’imaginer à quoi rassemblera sa nouvelle vie dans les prochaines semaines. Elle sait qu’elle partira la tête remplie d’espoir et sans grande envie de revenir un jour dans son pays natal. « Peut-être qu’à 60 ans si le soleil me manque, je reviendrai finir ma vie ici », conclut-elle en souriant.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.