Blog • Le Monténégro à la croisée des chemins : il ne faut pas manquer le virage !

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Les élections parlementaires du 30 août au Monténégro représentent un tournant potentiel pour ce pays. Peu importe qui formera le prochain gouvernement, le paysage politique semble avoir changé pour de bon.

L’élection s’est déroulée dans un contexte de tensions importantes entre le parti au pouvoir, le DPS, et l’Église orthodoxe serbe du pays. Dans un mouvement sans précédent, une loi fut adoptée en décembre 2019 (la soi-disant Loi sur la Religion) permettant à l’État de saisir les biens de l’Eglise à moins que celle-ci ne puisse démontrer leur propriété historique.

Sans surprise, la loi a provoqué des manifestations généralisées dans le pays où environ un tiers de la population est ethniquement serbe et la majorité des croyants appartient à l’Église orthodoxe. Le problème a été rapidement endossé par l’opposition et a constitué le ciment autour duquel l’Alliance Pour l’avenir s’est construite.

Le DPS a également été accusé de corruption et vilipendé pour ses tendances autocratiques, une grande partie de la campagne de l’opposition se concentrant dès lors sur la figure tutélaire du leader politique principal de longue date du pays, l’actuel Président de la République, Milo Djukanovic.

Le DPS réfute ces accusations et a mené campagne pour l’élection autour d’une plate-forme pro-monténégrine. Le DPS soutient par ailleurs toujours que les partis d’opposition à l’origine des accusations sont les responsables d’un coup d’État pro-russe déjoué en 2016, lesquels cherchent activement à saper l’identité et l’indépendance du pays en souhaitant le replacer dans la sphère de contrôle de la Serbie et de la Russie.

Le dénouement a pris la forme d’une élection âprement disputée avec un taux de participation record de 75%. Le parti au pouvoir, le DPS, a obtenu 35,2% des voix, soit 30 des 81 sièges en jeu. L’Alliance Pour l’avenir sort des urnes légèrement en retrait avec 32,7% des voix et 3 sièges en moins, la coalition « La Paix est notre Nation » terminant en troisième position avec 12,5% des voix.

Alors que, comme souvent aux lendemains d’élection, chacune des parties se sont déclarées vainqueurs - le DPS arguant être toujours le premier parti, l’Alliance pour l’avenir estimant avoir solidement sapé la position du parti au pouvoir, devenant par conséquent les mieux placés pour former un nouveau gouvernement - le verdict est selon nous on ne peut plus clair.

La stratégie du DPS consistant à créer une « culture de la guerre » et à exacerber les divisions créées de toutes pièces s’est retournée contre ses auteurs, n’ayant réussi qu’à galvaniser les partisans de la liberté religieuse. La thèse d’une opposition anti-OTAN et anti-UE, sorte de Cheval de Troie des Russes et des Serbes semblait peu crédible.

L’opposition, en revanche, a compris que les Monténégrins étaient moins préoccupés par ce qui les diviserait supposément que par l’élection de représentants en capacité d’en finir avec la corruption et de garantir une bonne gouvernance.

Ainsi, nous imaginons trois scenarii possibles pour un nouveau gouvernement.

Premièrement, un parti au pouvoir affaibli parvient néanmoins à mijoter une coalition instable, mais sans mandat électoral fort, bâtie sur une stratégie politique et un programme défectueux, qui devra prendre des décisions très difficiles s’il souhaite restaurer sa position dominante auprès de l’électorat. Au sortir de cette élection, le DPS ne semble plus être le parti naturel du gouvernement au Monténégro.

Le deuxième scénario verrait naître une coalition dirigée par l’Alliance Pour l’avenir. Si cette variante n’aurait pas d’implications négatives importantes pour la politique étrangère du Monténégro, elle devrait, comme le DPS dans le scénario précédent, lutter durement pour mettre en œuvre son programme de politique intérieure.

La troisième option, la plus probable et qui recueille nos faveurs, serait que les partis d’opposition forment un gouvernement « technocratique » plus large. Le principal avantage de ce scenario serait de maximiser les possibilités de réformes juridiques et institutionnelles en vue de résoudre le problème de la corruption et d’accroître la capacité fonctionnelle de l’État.

Un gouvernement technocratique aiderait également le Monténégro à relever le défi démocratique. Bien qu’un transfert pacifique du pouvoir implique une démocratie relativement saine, il ne pourrait masquer la campagne négative et les irrégularités de vote qui ont eu lieu. Freedom House a récemment affirmé que le Monténégro n’était plus une démocratie mais un « régime hybride ».

Un gouvernement technocratique peut offrir au Monténégro le meilleur espoir de répondre avec succès à toutes ces problématiques et, ce faisant, poursuivre souplement le processus d’adhésion à l’UE que personne ne remet en cause.

Quel que soit le scénario choisi, cette élection a indiscutablement ébranlé l’ordre politique établi au Monténégro. Cela ressemble fort à un tournant décisif.