En juillet 1939, l’Institut de science de la presse de l’Université de Paris a publié dans sa revue trimestrielle “Cahiers de la Presse” l’étude approfondie d’André Ravry sur les journaux albanais et leurs éditeurs/rédacteurs, qui s’intitule tout simplement “La presse albanaise”.
La période étudiée débute au milieu du XIX siècle (période correspondant à la Renaissance nationale albanaise) et s’étend jusqu’à l’invasion de l’Albanie par l’Italie fasciste en 1939.
L’auteur y a apporté de nombreux détails qui permettent à titre d’exemple de connaitre le nom :
du premier éditeur d’un journal pour les albanais en langue italienne ;
de l’éditeur qui publia le premier journal en langue albanaise ;
de la première revue albanaise d’érudition ;
du premier périodique publié sur le sol albanais ;
de plusieurs journaux albanais édités en Italie, Roumanie, Egypte, Bulgarie, Serbie, Suisse, Turquie et aux Etats-Unis… ;
du journal albanais publié dans une capitale d’un pays d’Amérique du Sud ;
des journaux locaux albanais (à Gjirokastra, Shkodra, Korça, Elbasan, Manastir, Janina…) ;
du journal albanais devenu un quotidien en Amérique du Nord ;
du premier journal quotidien en albanais et en Albanie ;
de la seule femme albanaise dirigeant une revue littéraire illustrée ;
du premier journal satirique, etc.
Voici l’étude complète :
“Il n’y a pas de nationalité albanaise – a dit un jour Bismarck. Le Chancelier de fer se trompait de beaucoup, car si l’on admet que les éléments d’une nationalité sont l’unité de langue, la conscience d’une solidarité historique, le souvenir de souffrances et de gloires communes, la conformité d’intérêts, la communauté de civilisation, il faut reconnaître que rien de tout cela n’a jamais manqué aux Albanais.
En réalité, l’Albanie, à l’intérieur de frontières politiques, parfois un peu arbitrairement tracées, présente une unité géographique, ethnique et linguistique plus grande que bien d’autres pays, et les Albanais, depuis l’antiquité, n’ont jamais cessé de lutter contre les envahisseurs étrangers (Goths, Avares, Bulgares, Hérules, Gépides, Slaves, Turcs), pour maintenir cette unité, conserver leur langue et leurs coutumes.
L’histoire de ce petit pays (sa superficie est à peu près égale à celle de la Belgique) n’est en effet qu’une longue suite de luttes pour la conquête de l’indépendance politique ; mais ce n’est qu’au XX siècle que l’Albanie put enfin se libérer de tout joug étranger.
En ce qui concerne la presse imprimée, c’est seulement au milieu du XIX siècle que des Albanais résidant hors du pays commencèrent à y avoir recours, un peu – comme cela s’est produit pour plusieurs autres peuples opprimés – pour maintenir entre leurs compatriotes des liens qui menaçaient de se relâcher et entretenir chez eux le sentiment national, mais aussi – et surtout – pour attirer l’attention des autres nations sur leur pays et proclamer son droit à vivre comme Etat libre et indépendant.
Il résulte de ceci que beaucoup de périodiques, albanais par leur esprit et leurs tendances, albanais aussi en la personne de leurs rédacteurs, ont été écrits en langues étrangères : italien, français, grec, anglais, etc.
La première tentative en ce sens remonte à 1848. Le 23 février de cette année parut à Naples, « pauvrement imprimé sur du mauvais papier avec de vieux caractères », le premier numéro de l’Albanese d’Italia (L’Albanais d’Italie), publié, en italien, par le patriote albanais Girolamo de Rada, qui le rédigeait, le composait et l’imprimait lui-même, d’abord seul, puis avec l’aide d’un étudiant abbruzzin : Nicola Castagna.
De Rada avait cru que l’Italie serait disposée à soutenir sa cause et, tout de suite, il posa la question de l’indépendance de l’Albanie ; mais les événements ne tardèrent pas à lui montrer qu’il était encore trop tôt, dans l’état où se trouvait alors l’Europe, pour soulever un tel problème. Il cessa donc, après quelques numéros, la publication de son journal, et se retira dans son pays natal pour y attendre des jours meilleurs.
Les années passèrent... La Russie et la Turquie se firent la guerre. Le traité de San- Stefano (3 mars 1878), qui mit fin aux hostilités, donna à la Bulgarie, constituée province autonome, toute l’Albanie orientale ; en le traité de Berlin, destiné à adoucir. - pour les Turcs - les rigueurs de San-Stefano, enleva aux Albanais Kurshumli et Vranja au profit des Serbes... Une ligue de défense nationale se forma alors, dont l’effort s’intensifia surtout dans les colonies albanaises à l’étranger Roumanie, en Italie, en Egypte, aux Etats-Unis, les Albanais se groupèrent ; une floraison d’ouvrages imprimés naquit de toutes parts, la Bible fut traduite en albanais, des journaux éditèrent partout.
Le premier en date vit le jour en 1882 à Athènes, rédigé à la fois en grec et en albanais et intitulé : Phônê tês Albanias = Zëri i Shqipërisë (La Voix de l’Albanie). Le fondateur, un Grec nommé Anastasio I. Kullurioti, poursuivi par le gouvernement grec en raison de cette propagande albanaise qu’il faisait à Athènes, transporta son journal à Bucarest, puis, comme les persécutions continuaient, se réfugia à Argirocastro, mais là, les autorités turques, sur l’ordre du consul de Grèce, l’arrêtèrent et le conduisirent à Corfou où il fut emprisonné. Une fois libéré, il retourna à Athènes et, pendant quelque temps, y publia de nouveau son journal ; arrêté une seconde fois, il finit par mourir en prison, probablement empoisonné.
En 1883, « un comité de notables albanais » entreprit de publier à Corigliano Calabro (Italie) une revue mensuelle en italien et en albanais : Fiamuri Arbërit (Le Drapeau de l’Albanie), dont le premier numéro parut le 20 juillet. En réalité, ce périodique était dû aux sacrifices personnels de G. de Rada, qui en était à la fois directeur responsable, rédacteur et administrateur.
L’Autriche, la Turquie et la Grèce qui, pour des raisons diverses, étaient intéressées au maintien de l’Albanie dans sa situation d’alors, interdirent chez elles la circulation du journal ; privé ainsi de la majeure partie de ses abonnés, celui-ci sombra sous l’indifférence des Albanais d’Italie qui le trouvaient ennuyeux à lire et d’une “ingrate sécheresse de forme”. Le dernier numéro connu porte la date du 15 novembre 1887, publié à Cosenza.
En 1884 parut à Constantinople la première revue albanaise d’érudition : Drita (La Lumière), publiée par la société littéraire du même nom et dont la direction fut confiée à Pietro Poga, avec la collaboration de Naim Frashëri et J. Vreto. Après le troisième numéro, le nom de la revue fut changé pour celui de Diturja (La Culture), sous lequel elle parut encore neuf fois.
Le 31 mars 1887, Palerme vit naître Arbri i rii (La Jeune Albanie), revue mensuelle dirigée par Franç. Stassi Petta et Giuseppe Schiro et rédigée en albanais et en italien. Les deux jeunes directeurs, malgré leur foi et leur courage, ne purent faire vivre leur œuvre au delà du troisième numéro.
Nous avons dit que le Fiamuri Arbërit de Rada avait cessé de paraître à la fin de 1887. L’année suivante, le patriote Nicola Naço, “qui symbolisait la réaction de l’Albanie contre l’insolente domination des Grecs”, fonda à Bucarest, pour le continuer, le journal Shqipetari (L’Albanais), rédigé en albanais et en roumain. En 1895, une édition roumaine séparée fut publiée sous le titre d’Albanesul ; l’édition albanaise paraît avoir vécu jusqu’en 1903.
En suivant l’ordre chronologique, nous arrivons maintenant au premier périodique publié sur le sol albanais. Ce fut une revue religieuse mensuelle : Elçija i Zêmers Jesu Krishtit (Le Messager du Cœur de Jésus-Christ), fondée par les soins des pères jésuites de Scutari en mars 1891.
La publication de ce périodique en territoire albanais à une époque où, par ordre du sultan Abdul-Hamid, tous les ouvrages en albanais étaient interdits, s’explique par le fait que Scutari, à l’abri de ses séminaires, était resté un grand centre de culture générale contre lequel les autorités turques n’avaient jamais osé sévir.
En 1895 eut lieu à Corigliano Calabro, sous la présidence de G. de Rada, le premier congrès linguistique albanais ; la création d’un périodique y fut décidée et, l’année suivante, parut Ili i arbreshëvet (L’Etoile des Albanais), dont la rédaction fut confiée à l’archiprêtre Antonio Argondizza. En 1897, ce journal fut remplacé par la Nazione albanese, revue bimensuelle en italien qui subsista jusqu’à la mort de son rédacteur, Anselme Lorecchio, survenue le 22 mars 1924.
Le 25 mars 1897 parut à Bruxelles le premier numéro de la grande revue Albania, de Trank Spiro Beg (Faik Konitza), rédigée en albanais et en français, et un des plus importants périodiques qui aient existé, voués à la cause albanaise. A partir de 1899 et pendant environ trois ans, elle donna un supplément politique intitulé Albania e Vogël (La Petite Albanie). Albania fut transférée en 1902 à Londres, où elle continua de paraître jusqu’en 1909.
Dans les années qui suivirent, des périodiques albanais furent encore créés un peu partout – mais toujours à l’étranger – et certains d’entre eux eurent une réelle importance. Nous citerons, entre 1897 et 1908 :
En Italie : l’Albania letteraria (1897), bimensuel rédigé par un groupe de jeunes Italo-Albanais à Corigliano Calabro ; la Nuova Albania (1898-1904), organe bimensuel du comité politique albanais de Naples ; Flamuri i Shqipërîs (Le Drapeau albanais), revue mensuelle italo-albanaise fondée le 1er janvier 1904 à Naples par le professeur Giuseppe Schiro, la Gazzetta albanese (1904) ; Laimtari i Shqypenies (Le Héraut d’Albanie), qui parut à Rome (1905) en italien et en albanais ; Shpnesa e Shqypeniis (L’Espérance de l’Albanie), dont la publication commença le 10 septembre 1905 à Raguse, en albanais, italien et croate, et qui vécut deux ans.
En Roumanie : Shqipëria (L’Albanie), bimensuel publié de 1897 à 1899 en albanais, grec et roumain par les soins de la colonie albanaise de Bucarest avec pour devise : “L’Albanie aux Albanais” ; l’Indépendance albanaise, fondée à Bucarest en 1898 par Dervish Hima et transférée l’année suivante à Rome avec le titre de Zani Shqipënisë (L’Echo d’Albanie) ; Yll’i Shqipërisë (L’Etoile albanaise), organe des Albanais nationalistes de Bucarest (1898-1900), qui, quoique rédigé en albanais, publiait aussi des articles en français et en grec ; Përlindia Shqipëtare (La Renaissance albanaise), biheddomadaire entièrement écrit en albanais sauf l’article de tête qui était en français (premier numéro à Bucarest le 15 mai 1903).
En Egypte : Bashkimi i Shqipetarevet (L’Union de l’Albanie), bimensuel rédigé en albanais et en français (Le Caire, septembre 1900) ; Besa-Besën (La Parole donnée), fondé au Caire en octobre 1900 ; Besa (La Foi), revue mensuelle parue également au Caire de 1904 à 1915.
En Bulgarie : Drita (La Lumière), publié à Sofia deux fois par mois de 1901 à 1908.
En Serbie : Albanija (1905), trimensuel édité à Belgrade en albanais et en serbe.
A Trieste (alors en Autriche-Hongrie) : Dashamiri, revue bimensuelle fondée le 14 novembre 1907 et écrite en dialecte ghègue.
En Suisse : Albania, revue rédigée en albanais et en français (1905).
En Turquie même ne put paraître qu’un seul périodique Shqyptari, annuaire de la société “Bashkimi” (l’Union) de Scutari, fondé en 1904, qui donna pendant plusieurs années, dans chacun de ses fascicules, un résumé des événements de l’année précédente.
Les Albanais d’Amérique, de leur côté, créèrent, pendant cette période, deux journaux, l’un en Amérique du Sud la Questione albanese, dont le premier numéro parut le 1er février 1905 à Buenos-Ayres ; l’autre en Amérique du Nord : Kombi (La Nation), bimensuel fondé à Boston le 9 juin 1906 et qui fut remplacé le 1er janvier 1909 par Dielli (Le Soleil).
Le mouvement jeune-turc de 1908 sembla, d’abord, promettre des jours meilleurs au nationalisme albanais, si durement opprimé jusque-là. Aussitôt après la promulgation de la Constitution, on vit apparaître, dans les confins de l’Empire ottoman, des journaux albanais.
Ce furent, entre autres : à Corcia (Korça) : Korça (15 décembre 1908) ; à Salonique : en 1908, Lirija, (La Liberté) ; en 1909, Diturija (La Culture), et Lidhja orthodhokse (La Ligue orthodoxe). A Monastir : Bashkimi i Kombit (L’Union de la Nation), créé vers la fin de 1909 par les soins de la société « Shoqërî Botonjëse Literare » (Société des Publications littéraires) et rédigé en albanais et en turc ; Drita (La Lumière), fondé en 1910 ; Kombi (La Nation), fondé en 1911. A Elbassan : Tomorri \ organe de l’Ecole normale de cette ville, fondé le 25 mars 1910 et imprimé à Monastir sur les presses de la société “Bashkimi i Kombit”. A Janina : Zgjimi i Shqipërisë (Le Réveil de l’Albanie), organe bihebdomadaire de la société “Bashkimi”, créé en 1909. A Scutari : en 1910, Koha (Le Temps), qui devint, dès le second numéro, Bashkimi (L’Union).
A Constantinople même, furent publiés : en 1909, Shqipetari ; en 1911. E. Vërteta (La Vérité).
Hors de Turquie, on créa d’autre part, dans le courant de 1909 à Sofia, Shqypeja e Shqypënis (L’Aigle de l’Albanie) ; au Caire, Rrufega (La Foudre) et Shkopi (Le - Bâton).
Mais bientôt la situation s’assombrit de nouveau ; le mouvement naissant fut étouffé, la plupart des journaux albanais furent suspendus et beaucoup de leurs rédacteurs emprisonnés. D’autres feuilles naquirent alors à l’étranger Liri e Shqipërisë (L’Indépendance albanaise) à Sofia ; Trumbeta e Krujës (Le Clairon de Kruja) à Saint-Louis (Etats-Unis) ; Zëri i Popullit (La Voix du Peuple) à New-York ; Atdheu (La Patrie) en Roumanie ; Fiala e t’in’zoti (La Parole du Seigneur) à Piana dei Greci (Italie) ; la Rivista dei Balcani (Revue des Balkans) également en Italie, tout cela dans le courant des années 1911 et 1912. Dans le même temps, le Dielli, de New-York, devenait quotidien.
Les tentatives d’ottomanisation complète du pays poursuivies par les Jeunes-Turcs précipitèrent les choses. Un plan d’insurrection générale fut élaboré et, en 1912, les Albanais s’emparèrent d’Uskub et menacèrent Monastir. Pour arrêter ce mouvement, qui devenait sérieux, et limiter les dégâts, le gouvernement turc promit de reconnaître l’autonomie albanaise sous certaines conditions. De grands espoirs étaient de nouveau permis, mais la guerre balkanique vint tout remettre en question.
Après la défaite des Turcs, l’Albanie se trouva presque entièrement occupée par les Monténégrins, les Serbes et les Grecs. Au plus fort de cette occupation, le 28 novembre 1912, un petit groupe de patriotes albanais, débarqué d’un vapeur autrichien à Vallona, hissa le vieux drapeau de Skanderbeg et proclama l’indépendance du pays ; un vieil homme d’Etat, Ismaïl Qemal bey Vlora prit la présidence de ce gouvernement provisoire.
Le moment était bien choisi la nouvelle expansion des nations balkaniques vers l’Adriatique inquiétait à la fois l’Italie et l’Autriche, et toutes deux, pour parer au danger possible tout en réservant l’avenir, s’entendirent pour faire proclamer “l’Albanie aux Albanais”.
Une conférence diplomatique se réunit à Londres, qui accepta, le 20 décembre 1912, la création d’une Albanie autonome sous l’autorité d’un prince européen élu par le peuple. Le choix se porta sur le prince Guillaume de Wied qui fut élu, le 3 décembre 1913, prince souverain – “mbret”, selon le vieux titre – et débarqua à Durazzo le 7 mars 1914.
Pendant ces deux années, qu’était devenue la presse albanaise ? Tous les anciens journaux – à l’exception de quelques-uns publiés à l’étranger – avaient disparu, mais, dès le milieu de 1913, d’autres avaient surgi pour les remplacer, nés cette fois sur la terre albanaise enfin libérée. C’étaient : Konkordia, journal politique hebdomadaire d’Argyrocastro ; Ushtimi i Krujës (L’Echo de Kruja), publié à Durazzo ; Besa Shqyptare (La Foi albanaise), résurrection, le 18 mai 1913, sous un nouveau titre, du journal des « Bashkimi » de Scutari, et dont quelques numéros portèrent le titre de Zàn’ i Shkodres (La Voix de Scutari) ; Përlindja Shqipëtare (La Renaissance albanaise), journal politique bihebdomadaire de Vallona, fondé par D. Berati le 6 août 1913, mais qui disparut dès le 14 mars 1914 ; Xgjimi (Le Réveil), revue mensuelle de Corcia, qui commença le 1er octobre 1913 et cessa également en mars 1914. Jusqu’au troisième numéro, elle fut imprimée à Bucarest, en attendant que les Grecs aient évacué Corcia.
Il faut y ajouter encore : Taraboshi, le premier quotidien albanais, fondé à Scutari le 26 septembre 1913 par T. Tocci, et qui parut à peu près régulièrement jusqu’à la fin de novembre 1914 puis reparut, après une longue interruption, en 1921 ; et Hylli i Dritës (L’Etoile de la Lumière), revue mensuelle de grand format fondée sur le désir du Supérieur des franciscains de Scutari en octobre 1913.
Pendant le court règne – sous le nom de Guillaume Ier – du prince de Wied, deux journaux seulement firent leur apparition en Albanie : Populli (Le Peuple), qui parut à Vallona du 4 avril au 19 août 1914 et fut transféré à Scutari quand Vallona tomba aux mains des insurgés ; et Zana (La Voix), revue littéraire illustrée bimensuelle, dirigée par Mme Lulo Malësori, imprimée à Bari (Italie) et publiée de juin à août 1914 à Durazzo.
Ce fut ensuite la grande guerre, la fuite du souverain et l’occupation de l’Albanie par les troupes belligérantes. La question albanaise se trouvait une fois de plus posée devant le monde et l’on vit de nouveau des feuilles albanaises pousser nombreuses hors des frontières du petit Etat. C’est en Amérique que le mouvement eut le plus d’ampleur ; y virent successivement le jour : The Albania Era (Denver, puis Chicago, 1915), Illyria (Boston, 1916), Perparimi (Le Progrès) (Watertown, Mass., puis New-York, 1916), Yll’ i Mëngjezit (L’Etoile du Matin) (Boston, 1917), Shqiperia (New-York, 1918), The Adriatic Review (Boston, 1918).
A Lausanne fut fondé en 1915 l’Albanie, “organe bimensuel de défense des intérêts albanais”, et à Rome, en juillet 1918, Kuvendi (La Tribune libre) hebdomadaire politique italo-albanais.
En Albanie même, en dépit de difficultés sans nombre, de courageux patriotes réussirent à mettre sur pied quelques nouveaux périodiques : Posta e Shoqnies (La Poste de la Société), hebdomadaire politique publié pendant quelques mois à Scutari à partir du 5 décembre 1916 ; Gazeta e Korces (Gazette de Corcia), journal d’abord quotidien puis trihebdomadaire, qui vit le jour à Corcia le 12 octobre 1916 et existait encore récemment, après avoir subi plusieurs éclipses ; Zoja Shkoders Drita Shqypnis (La Dame de Scutari), périodique catholique publié à Scutari d’avril 1917 à juillet 1919 ; Kopështi Letrar (Le Jardin des Lettres), revue littéraire mensuelle qui parut à Elbassan d’août 1918 à juillet 1919.
Quand les hostilités furent terminées, d’autres journaux furent encore publiés, pour rappeler aux nations qui négociaient les conditions de paix et refaisaient la carte de l’Europe que l’Albanie entendait n’être pas oubliée : Agimi, Koha e Re (Le Temps nouveau) et Populli (Le Peuple), publiés tous trois à Scutari au début de 1919 ; Opinga, Xgjimi i Shqiperisë (Le Réveil de l’Albanie), revues fondées à Paris la même année ; Shqiperia e Rë (La Nouvelle Albanie), de Bucarest ; la Rassegna italoalbanese, de Palerme, etc.
La paix vint enfin. Le 9 novembre 1921, la Conférence des ambassadeurs confirma définitivement les confins de l’Albanie et, le 21 janvier 1925, la république fut proclamée.
Les journaux allaient pouvoir désormais se développer normalement, mais sans attendre jusque-là, de nouvelles feuilles avaient déjà poussé, comme champignons un lendemain de pluie : on en compte plus de soixante, nés entre 1920 et 1925, souvent, il est vrai, pour mourir à la fleur de l’âge. Nous ne citerons, parmi les plus importants. que Demokratia, le grand hebdomadaire d’Argirocastro (1925), Ushtimi i Vlorës (L’Echo de Vallona), Zekthi, premier journal satirique albanais (Corcia, 1922), ainsi que le journal officiel Fletorja Zyrtare, fondé à Tirana en 1922 sous le titre initial de Dit e Rë (Le Nouveau Jour).
Le 1er septembre 1928, la royauté fut rétablie et le président de la République en exercice, Ahmed bey Zogou, monta sur le trône sous le nom de Zog Ier. Le nouveau souverain, qui avait vécu longtemps à Constantinople et à Vienne, connaissait l’importance de la presse et en favorisa autant qu’il put le développement. Les journaux, du reste, avaient une mission à remplir dans le jeune Etat : imposer aux tribus vivant dans les montagnes, chez qui la vendetta n’appartenait pas encore au passé, l’autorité du gouvernement central. Leur influence devait être d’autant plus grande que, l’habitude de lire n’étant encore que peu répandue dans le pays, le journal était – et est encore – l’unique nourriture intellectuelle de la population sachant lire. En raison précisément de ces conditions particulières, le gouvernement albanais estima qu’il valait mieux avoir peu de journaux, mais bons, que beaucoup, mais médiocres ; la loi du 24 janvier 1931 voulut que tout éditeur de journal eût 25 ans révolus et possédât un diplôme d’études secondaires ; une caution de 5.000 francs-or fut en outre exigée. Les dispositions de cette loi, de plus de 60 articles, portant une grave atteinte à la liberté de la presse et aggravées encore par deux décrets du 1er février 1937, eurent pour résultat de faire disparaître un nombre considérable de feuilles. Il ne resta plus que les « grands » journaux, assis sur des bases solides : à la veille de l’occupation de l’Albanie par les Italiens, le chef-lieu de chacune des dix provinces avait son journal, souvent son quotidien.
Les revues, d’autre part, étaient nombreuses, mentionnons parmi les plus lues : la revue littéraire Minerva, la revue pédagogique Normalisti, d’Elbassan ; la revue scolaire Vatra e Rinis ; l’organe religieux des musulmans Zani i Nalte (La Voix du Ciel), etc.
Dans un pays de 1.200.000 habitants, les feuilles périodiques ne sauraient évidemment pas prétendre à des tirages très élevés, surtout si, comme c’est le cas, ce pays a conservé un caractère rappelant celui des pays d’Orient, où le journal imprimé trouve un concurrent redoutable dans la « presse parlée » telle qu’elle se pratique dans les cafés et les bazars. Du moins pouvait-on constater que les journaux pénétraient rapidement dans les villages les plus reculés et l’on voyait souvent, dans ces derniers temps, de jeunes paysans, qui avaient porté leurs produits au marché de la ville, reprendre le chemin de leurs montagnes avec une provision de journaux de toute la semaine.
L’occupation de l’Albanie par les Italiens a eu pour conséquence de faire disparaître tous les journaux albanais indépendants, notamment Drita, le grand quotidien de Tirana, qui a été remplacé par Fashizmi, « organe du parti fasciste albanais », dont le premier numéro porte la date du 25 mai 1939. La sixème page de ce journal est rédigée en italien, les autres en albanais. Il est le seul quotidien qui existe encore Albanie.
Les quatre journaux paraissant une ou deux fois par semaine sont Littorio Coritca, Le 7 Avril (date de l’occupation), publié à Argirocastro, La Gazette des Chemises noires (Valona) et La Jeunesse fasciste (Scutari). Ils sont tous des organes du parti fasciste et sont imprimés en langues italienne et albanaise.”
André Ravry
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Publié en langue albanaise : https://www.darsiani.com/la-gazette/nje-studim-i-ralle-francez-per-shtypin-shqiptar-te-viteve-1848-1939/