Rusmir Mahmutćehajić

Une réponse bosniaque : Modernité et tradition

|

Par Anouche Topalian

Rusmir Mahmutćehajić est originaire de Stolac. Depuis 1997, il est Président de l’ONG Forum International Bosnie. Si son parcours universitaire l’a conduit vers les sciences dites dures, les mathématiques et la physique appliquée, Rusmir Mahmutćehajić n’en reste pas moins très impliqué et engagé dans l’histoire et le devenir de son pays.

Enseignant dans diverses universités, il est également Premier ministre de la Bosnie-Herzégovine en 1992. En 1994, il démissionne ne partageant pas les voies politiques du moment.
Comme chercheur, ses travaux de publication s’orientent tant vers l’épistémologie que vers la philosophie, la religion et la politique.
Il publie alors plusieurs ouvrages s’attachant à mettre en lumière l’unité bosniaque dans la diversité.

« Une réponse bosniaque : modernité et tradition » s’inscrit alors dans la continuité de cette réflexion : interroger deux modèles, l’un traditionnel et l’autre moderne. En effet, l’auteur nous propose dés la préface de savoir comment le destin de la Bosnie peut servir de paradigme et de contre- paradigme á la condition humaine. (p.10)

Aussi, cet ouvrage est un essai abouti des différents travaux de recherche de l’auteur. Son contenu est riche non pas tant de faits historiques ou de références bibliographiques, ce qui en fait sa richesse c’est davantage son analyse réflexive et philosophique qui ouvre aux lecteurs „modernes“ des portes nouvelles.
Détaché de tout préjugé pour aborder le sacré, chaque lecteur se retrouve alors dans cette réponse bosniaque, à la rencontre de la modernité et de la tradition.

Ce livre tente de manière générale de différencier la vision moderne du monde à celle traditionnelle permettant à une réponse bosniaque de prendre forme au fur et à mesure de leurs rencontres. (p.12)

La réflexion de l’auteur qui se partage en douze chapitres nous offre des éléments de cosmologie, d’anthropologie et de psychologie qui différent de l’approche moderne traditionnelle.

C’est ainsi qu’on lit avec intérêt et objectivité les paroles sages, traditionnelles et religieuses du chanteur de Stolac :

On dit qu’à Stolac, une vielle ville dans le Sud de la Bosnie, un garçon demanda á un chanteur vieillissant et révéré de lui enseigner son art. Mais le chanteur dit : « Personne ne peut t’enseigner mieux que les vents et l’eau, les oiseaux et les animaux. Ils te conduiront á écouter, ce qui est le plus haut de tous les arts. Peut-être que par eux, tu connaitras le Silence. Le Silence n’est limité par rien, mais tout ce qu’il n’est pas en est le symbole. Tout ce que je pourrai t’enseigner te distrairait d’écouter. Et t’éloigner dans cette voie, te conduirais loin de la paix et de la quiétude de l’esprit sans laquelle l’homme perd la connexion avec la perfection primordiale. La violence contre Dieu et soi-même n’est rien d’autre que s’égarer dans cette voie. » (p.231, 232).

Par ailleurs, l’objectif de Rusmir Mahmutćehajić dans « Une réponse bosniaque : modernité et tradition » , est de prévenir les causes qui ont conduit à la destruction de la Bosnie-Herzégovine, de ses habitants mais aussi de sa mémoire collective, de sa tradition plurielle.

Tone Bringa écrit : « Ni l’identité respective d’un Bosniaque, d’un Croate ou d’un Serbe ne peut être comprise en référence unilatérale à l’Islam ou au Christianisme mais chaque identité Bosniaque, Croate et Serbe doit être considérée dans la spécificité bosniaque qui résulte d’une longue histoire rattachée tant à l’Islam qu’au Christianisme. »

Dans cette même perspective, ce qui conduit la réflexion de Rusmir Mahmutćehajić est la volonté de démontrer cette Unicité dans la diversité qui compose la tradition bosniaque. Il rappelle que les religions ont évolué en interdépendance pour former une société distincte et une culture plurielle et ouverte. Dans le même temps, l’auteur dénonce alors de manière virulente les actions de ceux qui ont voulu détruire cette singularité. En effet, l’ouvrage critique ouvertement les fondements mêmes du nationalisme qui ont conduit à la guerre contre la Bosnie-Herzégovine.

A la fois protagoniste et auteur, son analyse est tantôt particulière, tantôt globale. Mais la justesse de l’auteur permet alors de dénoncer les causes de la tragédie bosniaque sans jamais tomber dans le cynisme ou la démission.

La trame de cet essai est alors d’affirmer l’interdépendance entre l’expérience bosniaque contextualisée et une réflexion philosophique générale sur la paix. L’auteur part de la Bosnie pour nous amener à une réflexion sur nous-même et sur l’ensemble de l’ordre mondial. La Bosnie, comme point de départ, comme axe central. La Bosnie sous les projecteurs, et la Bosnie comme introspection de sa propre impuissance, de son propre renoncement.

Aussi alors que la Bosnie-Herzégovine doit redoubler d’efforts pour atteindre les normes européennes, l’auteur ne manque pas de nous rappeler que par son héritage pluraliste, tolérant et ouvert, elle pourrait tout autant servir d’exemple et être reconnue comme un modèle d’intégration.

« Si l’on cherche une réponse à la question de la violence intercommunautaire et de l’obstruction en Bosnie, ce qui d’une façon ou d’une autre concerne tout le monde, l’enquête devrait se diriger vers tous les horizons externes comme internes. »
(p 234,235)

Alors que cette esquisse n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions qu’elles soulèvent, sa lecture nous amène à considérer sur un même pied égalité les sciences sociales, la théologie et la compréhension du divin comme des outils de réflexions complémentaires et nécessaires à une approche objective de l’expérience bosniaque.

Ainsi, cet ouvrage est d’importance tant pour des raisons politiques que philosophiques et théologiques et s’adresse á la fois á un public averti qu’au lecteur novice sensible de près ou de loin a l’histoire et au devenir de la Bosnie-Herzégovine.

Achetez en ligne ce livre