Christian Vandermotten et Julien Vandeburie

Territorialités et politique

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Par Amaël Cattaruzza

Cet ouvrage se fixe un objectif ambitieux : examiner « les rapports dialectiques entre le pouvoir, l’espace et la production de ce dernier, dans leur temporalités ». Les auteurs nous proposent ainsi une histoire mondiale de la territorialité, c’est-à-dire de l’organisation territoriale du pouvoir politique. Ils inscrivent d’emblée leur travaux dans la perspective de la géographie politique, et rejettent le terme de géopolitique qui leur semblent biaisés. Justifiant cette première assertion, ils consacrent leur premier chapitre à une relecture critique de la géopolitique classique, de Ratzel à Wallerstein ou Lacoste, en passant par les géopoliticiens américains (Mahan, Spykman, Brzezinski, Kissinger, Mackinder, Huntington). De manière à la fois chronologique et géographique, ils expliquent les différentes théories géopolitiques jusqu’à nos jours, en dévoilent leur complexité et en montrent leurs limites, dans leur incapacité à resituer leur sujet, les cadres politiques, dans le temps, non pas comme des données immuables, mais comme une construction sociale « intrinsèquement et dialectiquement liée à l’économique, au social et au culturel ».

Leur démarche se situe alors nécessairement dans une approche historique, prenant le temps long comme unité d’analyse, et associant finalement la géographie politique, à une forme de géohistoire globale « parce que la réalité est une, ce que masque un cloisonnement entre sciences ou entre subdivisions des sciences ». En toute logique, l’ouvrage se structure alors de manière chronologique. Le deuxième chapitre est consacré aux « territorialités antérieures à la mise en place du système-monde », partant de l’analyse des systèmes lignagers jusqu’aux formes de territorialité féodales (en passant par une étude des système romains, incas et grecques). Le troisième chapitre étudie la formation de l’Etat moderne et la mise en place du système monde, c’est-à-dire le passage de l’Etat féodal à l’Etat mercantiliste, puis l’expansion européenne mondiale sous la forme de la colonisation. Le quatrième chapitre se centre alors sur la question de la territorialité de l’Etat-Nation dans le centre et la semi-périphérie européenne. Après avoir décrit les différents types de construction et d’organisation de l’Etat-Nation dans les pays du centre, les auteurs analysent les spécificités de la formation de l’État-nation dans la semi-périphérie européenne. Remarquons qu’un long paragraphe est consacré aux constructions nationales tardives dans les Balkans et aux conflits balkaniques.

Après cette stimulante relecture de l’histoire de l’humanité par le prisme du territoire, les auteurs approfondissent leur approche théorique dans un cinquième chapitre en analysant les systèmes de légitimation électorale des États du centre. Ils s’inspirent alors de la notion de clivage partisan développée par Lipset et Rokkan pour mettre en perspective la formation historique des systèmes de partis ouest-européens et leur relative diversité actuelle. À travers l’étude geohistorique de la Belgique, Etat-Nation failli, le sixième chapitre est une application concrète de leurs analyses globales. Enfin, les auteurs proposent, dans les chapitres sept et huit, une synthèse de leurs recherches, par une typologie des États, et un ouverture, étudiant les nouveaux ordres et désordres mondiaux. Cet ouvrage est donc vivement recommandé aux lecteurs curieux cherchant des repères pour comprendre un monde de plus en plus complexe, et aux étudiants ou aux chercheurs en géographie, en sciences politiques ou en relations internationales souhaitant mettre en perspective leur sujet d’étude dans une vision territoriale plus globale.