Panait Istrati

Œuvres complètes de Panait Istrati

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Par Laure Hinckel

Les éditions Phébus publient dans leur collection Libretto les récits de Panaït Istrati. Se faisant, l’œuvre d’un des plus grands écrivains français du XXème siècle se trouve enfin réunie, - une première depuis l’édition Gallimard des années 60. On ne pouvait par exemple plus lire nulle part le manifeste extraordinaire d’indépendance et d’insoumission intitulé « Vers l’autre flamme - après seize mois passés dans l’URSS », publié par l’écrivain en 1929. C’est désormais possible en ouvrant le tome 3 des Œuvres d’Istrati qui sort ces jours-ci. On y trouvera l’illustration (à plus de 70 ans de distance) d’une liberté d’opinion aux conséquences douloureuses pour leur auteur -car avec ce brûlot Istrati s’attirera la haine d’une partie de l’intelligentsia française.
Que trouve-t-on encore dans ces deux mille pages réparties en trois volumes qu’il est toujours possible de lire dans n’importe quel ordre ou séparément sans rien perdre de son plaisir de lecture ?

Des récits brillants d’une sauvage détermination à dire la condition humaine dans toute sa fantaisiste diversité. Des personnages hauts en couleur (Codine, Sotir le cambusier, Kira, Cosma, l’oncle Anghel...) qui enflamment l’imagination et donnent des fourmis dans les jambes des lecteurs. Qui ne voudrait partir sur les traces des haïdouks ou courir avec les enfants, pourtant miséreux, à la poursuite des chardons dans un Baragan d’une poésie implacable ? Comme sur la joue du monde, ils cherchent dans la plaine immense et lisse une consolation introuvable. Vibrante d’une énergie tellurique poussant à tous les extrêmes, la plaine du Baragan parcourue par son « cher Danube » est aussi un personnage -mais étrange, impressionnant. Ce lieu donne des ailes à l’écrivain Istrati qui vagabonde tout autour de la méditerranée. Les lecteurs suivent, envoûtés.

Il faut rendre hommage à la passion qui anime Linda Lê, un écrivain qui s’est construit au-delà des frontières de son destin initial et que l’on retrouve ici en qualité de préfacière des Œuvres de Panaït Istrati. Elle livre dans sa préface et dans les fiches bio bibliographiques jalonnant cette édition toute sa ferveur d’ « istratienne » (oui, on dit comme ça !). Ensuite, il faut tout simplement se laisser prendre par la magie narratrice de Panaït Istrati : il avait choisi d’écrire en français (et comment !) en émaillant ses textes de vocables roumains (mâtinés de grec, de turc, d’albanais, de bulgare et même d’allemand mal compris) dont la force évocatrice est servie par son choix de les transcrire de manière phonétique. Ces mots à l’exotique musicalité sont merveilleusement enchâssés dans des phrases impeccables et les uns mettent en valeur les autres. Quel alliage !

Courez redécouvrir cet écrivain dont l’œuvre n’a pas pris une ride -les Roumains, pour vous réjouir encore de cette présence magnifique dans les lettres françaises, -les Français, pour descendre, en les lisant à voix haute à l’instar d’une Shéhérazade, dans le courant vivifiant d’une œuvre qui transporte ses lecteurs.

Sommaire des trois volumes :

Tome 1
Les récits d’Adrien Zograffi
Kira Kyralina
Oncle Anghel
Présentation des haïdoucs
Domnitza de Snagov
Le Jeunesse d’Adrien Zograffi
Codine
Mikhaïl

Tome 2
La jeunesse d’Adrien Zograffi
Mes départs
Les pêcheurs d’éponges
Vie d’Adrien Zograffi
La maison Thüringer
Le bureau de placement
Méditerranée (lever de soleil)
Méditerranée (coucher de soleil)

Tome 3
Les chardons du Baragan
Tsatsa-Minnka
Nerrantsoula
La famille Perlmutter
Pour avoir aimé la terre
Vers l’autre flamme : après seize mois passés dans l’URSS
Textes divers (parus en revue)