Thierry Mudry

Guerre de religions dans les Balkans

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Thierry Mudry vient de publier un des ouvrages les plus importants de ces dernières années sur les Balkans. L’idée d’une « guerre de religions » a, en effet, souvent été avancée comme pseudo-explication des conflits yougoslaves des années 1990.

Par Jean-Arnault Dérens

Se basant sur une impressionnante érudition, remontant dans le temps long du développement historique de la péninsule, notamment les périodes toujours mal connues de l’implantation du christianisme et de l’arrivée des Slaves dans les Balkans, n’hésitant pas à tenter des comparaisons avec d’autres régions, comme l’Irlande, l’auteur avance une hypothèse centrale : les conflits contemporains sont moins inter-religieux qu’intra-confessionnel.

Les réformes du catholicisme, de l’orthodoxie et de l’islam, avec l’imposition de schémas organisationnels et dogmatiques conformes à la norme générale vont précipiter les conflits. Remplaçant un sacré largement syncrétique et commun à tous les Balkans, la christianisation et l’islamisation réelles des populations est en réalité un phénomène récent, concomitant du développement des identités nationales, qui se basent souvent - mais pas toujours - sur le « moule » confessionnel. Analysant exemples et contre-exemples (comme l’Albanie), Thierry Mudry se demande ainsi si le confessionnalisme représente « une voie balkanique vers la nation ».

D’autres modèles ont pourtant été expérimentés rappelle l’auteur ; ainsi celui du « droit historique », surtout promu en Croatie et en Bosnie et qui visait, originellement à dépasser les divisions ethno-confessionnel. Ou bien encore le modèle « ethnique » dépassant les barrières confessionnelles, comme celui que voulait prévaloir Vuk Karadzic, qui fut battu en brèche par l’Église orthodoxe serbe.

L’ouvrage se compose de trois parties : « conflits inter-confessionnels ou intra-confessionnels ? » ; « L’islam balkanique » ; « Le nationalisme confessionnel », qui multiplient les exemples et les développements comparatifs.

Thierry Mudry a le grand mérite de rappeler combien beaucoup d’identités confessionnelles sont longtemps restées fluctuantes, ainsi de la dynastie serbe des Nemanjici ou de la Dioclée / Zeta, hésitants entre catholicisme et orthodoxie.

Néanmoins, l’auteur prend peut-être des risques excessifs en demandant trop de choses à des sources rares et douteuses. Il accorde ainsi un crédit probablement exagéré à la fameuse Chronique du prêtre de Dioclée, qui a pourtant toute chance d’être une invention de la Renaissance ragusaine ! Du coup, certains développements sur la « Croatie rouge » (c’est-à-dire le Monténégro) paraissent bien incertains, d’autant plus qu’ils aboutissent à longuement évoquer un personnage aussi peu représentatif et moralement douteux que Jevrem Brkovic ! On peut donc ne pas suivre l’auteur sur toutes ses hypothèses, ce livre n’en ouvre pas moins les débats essentiels pour comprendre les enjeux toujours actuels de la région.