Marko Sosič

Une enfance slovène à Trieste - Tito, amor mijo

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Tito, amor mijo, paru en 2005, est tout à la fois un roman d’apprentissage, un roman d’amour et un roman d’histoire.

Les personnages, confrontés dans leur quotidien aux mouvements douloureux de l’histoire — communisme d’un côté de la frontière, capitalisme de l’autre, interdiction de parler le slovène, traumastismes de la guerre sur les corps et dans les cœurs... — posent la question de l’identité — qui sommes-nous ? des Slovènes ? des Yougoslaves ? des Italiens ? des Triestins ?

Entouré d’adultes dont il essaie de comprendre les contradictions, imprégné de noirs récits liés à la Seconde Guerre mondiale encore très proche — nous sommes à Trieste à la fin des années 1960—, le jeune narrateur pose des questions qui ne sont jamais innocentes. Son regard, parfois cruel, est cependant toujours empreint d’une grande poésie.

"Cher ange gardien, fais que toutes les pharmacies manquent de vicks, parce que maman m’en badigeonne le dos et la poitrine tous les soirs. Elle croit que le vicks va chasser l’ombre qui est sur mes poumons. Je veux que l’ombre qui est sur mes poumons reste dessus parce que comme ça je verrai de nouveau Alina à Laze, près de la rivière qu’on appelle tout bas Nediza. Fais que madame Slapnik m’apprenne à bien parler le slovène. Elle, elle sait, parce qu’elle est arrivée avec son mari de Yougoslavie. J’ai peur de son mari, parce que oncle Albert dit qu’il a du sang sur les mains. Fais que je comprenne pourquoi il a du sang sur les mains et que je n’en aie plus peur. Fais que je puisse participer à l’excursion qu’organise l’école pour que je puisse voir la République de Slovénie, dont tout le monde dit que c’est ma patrie. Une petite patrie dans la grande patrie de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Fais que je comprenne ce qu’est la patrie parce que oncle Albert dit que notre patrie, c’est toute la Yougoslavie, alors que madame Slapnik dit que notre patrie, c’est seulement la Slovénie, et maman dit que nous sommes des Slovènes qui vivons en Italie et que nous avons deux présidents, monsieur Saragat et le maréchal Tito, qui n’est pas un monsieur mais un camarade. Oh, que je n’oublie pas : fais que je comprenne qui est ce monsieur avec un grand chapeau de paille que je n’avais jamais vu avant et qui se tient toujours près du kiosque à journaux. Pourquoi ? Amen. J’éteins la lampe et, dans mes pensées, je vois la mer, qui est là-bas, de l’autre côté de la colline. Bleue et profonde."

Marko Sosič, Tito amor mijo, Paris, Editions franco-slovènes & Cie, 2016, 190 pages.

  • Prix : 15,00 
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