LGBTQI+, fiertés des Balkans (1/5) | Gay et musulman, Dante Buu représente le Monténégro à la Biennale de Venise

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Dante Buu est né en 1987 au sein d’une famille bosniaque musulmane de Rožaje, dans les montagnes pauvres du nord du Monténégro. Avec ses performances audacieuses, qui rappellent celles de la star Marina Abramović, le trentenaire s’est taillé une solide réputation internationale dans le monde de l’art contemporain. Portrait.

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Par la rédaction

« If you wanna fuck me, you don’t have to pretend it’s for art », 2018.
© Dante Buu

(Avec Euronews) - « Dans les Balkans, je suis le premier artiste venant d’un milieu musulman à se dire publiquement gay », pose d’emblée Dante Buu. Né en 1987 à Rožaje, tout au nord du Monténégro, près de la frontière avec la Serbie et le Kosovo, il a grandi avec un fort sentiment de solitude. « Je viens de deux minorités, j’étais sans arrêt harcelé et humilié quand j’étais enfant. » Alors pour trouver du réconfort, le jeune homme se plonge dans la littérature et le cinéma. C’est à l’âge de 14 ans que Dante Buu dévoile à ses parents son homosexualité. Compréhensifs, ceux-ci lui offrent tout leur soutien.

Depuis, Dante Buu est devenu un artiste reconnu et en ce moment il représente le Monténégro à la Biennale de Venise. Dans ses œuvres mariant la vidéo, la performance, la photographie, le texte et la broderie, le trentenaire questionne les notions d’aliénation, de sexualité, d’intimité et d’identité.

L’une de ses performances les plus remarquées s’appelle The Winner Takes It All, présentée en 2015 au , un centre d’art contemporain à Graz, en Autriche. Dante Buu chante la célèbre chanson de ABBA sur une note monotone devant deux vidéos juxtaposée ensemble : l’une montrant des gays dansant joyeusement dans un club de New York et l’autre est une vidéo Youtube montrant un groupe d’hommes russes tabassant un homosexuel. Dans une autre performance présentée au Bethanien, à Berlin, And you—do you die happy ?, il se tient debout quatre heures par jour pendant huit jours un appareil téléphone à l’oreille et du mascara coulant sur son visage.

© Dante Buu

Mais Dante Buu expose également ses pièces de broderie. « C’est un artisanat qui est dénigré », explique-t-il. « Si tu es pauvre dans un pays comme le Monténégro, tu dois faire quelque chose et les femmes faisaient ça. Ça fait aussi partie de la dot, c’est le genre de travail des femmes qui a été invisibilisé. » Pour la Biennale, Dante Buu a invité sa mère à créer une broderie où ils commencent chacun à un bout et finissent par se rencontrer au milieu. C’est en 2014 qu’il a commencé à coudre. Son père était tombé d’un cerisier et en attendant qu’il sorte du coma, sa mère, ses tantes et sa grand-mère brodaient une pièce en noir qui a fini par mesurer deux mètres de large.

« Je suis obsédé par la question du temps et ce que cela signifie pour les œuvres d’art », avance Dante Buu. « Avec la performance, on ressent le temps qui passe, mais l’œuvre est éphémère. Avec la broderie, on voit le résultat mais on n’a qu’une idée fugitive du temps passé à la production. » La première de ses broderie lui a pris quatre ans.

Dante Buu présente cinq de ses œuvres à la Biennale de Venise, jusqu’au mois de novembre prochain. Une exposition internationale très forte pour l’artiste originaire de Rožaje. Mais pas question pour lui de céder un pouce de son identité artistique en vue de séduire le grand public. « On demande souvent aux artistes de dire qui les a influencés, souvent des artistes hommes, hétérosexuels. Mais l’histoire de l’art, ce n’est pas ça. » Avant de lâcher : « Je me défends en ayant conscience de là où je viens, face à un monde de l’art où il y a bien des abus, notamment à l’égard des artistes. »