Croatie : comment la ministre de la Culture prive les médias indépendants d’aides européennes

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Les médias à but non lucratif, rudement éprouvés sous le règne du précédent ministre de la Culture Zlatko Hasanbegović, devraient bénéficier de quatre millions d’euros d’aides européennes. Sauf si l’actuelle ministre de la Culture Nina Obuljen Koržinek parvient, avec l’aide d’un mystérieux groupe de travail, à réorienter ces fonds au profit des médias commerciaux.

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© publicdomainpictures.net

(Avec Novosti) — La ministre croate de la Culture Nina Obuljen Koržinek a annoncé mi-octobre, dans un entretien avec la Société des journalistes croates (HND), la reprise prochaine du financement du « tiers-secteur médiatique » ni public, ni privé à but lucratif. Il s’agit d’environ 3,5 millions d’euros que la Croatie demande au Fonds social européen depuis le mandat du précédent gouvernement social-démocrate, assortis de 600 000 euros que l’État croate doit débloquer si les fonds européens sont versés.

Ces quatre millions d’euros devraient venir revitaliser, d’ici à 2020-2022, des médias qui peinent à survivre avec des subventions publiques de 400 000 à 660 000 euros par an en vertu de la politique adoptée en 2015 pour tenter de corriger les effets dévastateurs du marché sur la qualité de la production médiatique ces dix dernières années.

Pour Nina Obuljen Koržinek, cette politique met trop l’accent sur les médias à but non lucratif, au détriment des médias commerciaux. La ministre a donc annoncé l’élaboration d’une nouvelle stratégie et l’organisation d’un appel à subventions, le tout assorti de débats publics.

Un an plus tard, pas la moindre expertise n’a été menée, aucune nouvelle stratégie en vue, sans parler de consultations avec le public. Pire, surtout pour une ministre soi-disant « technocrate », ces bouleversements s’avèrent contraires à l’acquis européen. Un groupe de travail censé organiser les appels à subventions a été formé, mais sans règlement intérieur ni critères connus de sélection de ses membres. Suite aux objections du président de la Société indépendante des journalistes croates (HND), Saša Lesković, ce groupe de travail a été dissous après deux sessions, sans laisser même de procès-verbal.

Des politiques publiques à huis clos

Qui va donc décider du cadre d’appel aux subventions du FSE que la ministre annonce pour fin 2017 ? Sans doute la ministre elle-même, avec l’aide de la présidente du département Médias du ministère, Nives Zvonarić, de l’Agence pour les médias électroniques (AEM). Cette nouvelle politique médiatique, contrairement à la précédente, est élaborée à huis-clos : « J’ai téléphoné à la ministre pour lui reposer mes questions sur le fonctionnement du groupe de travail, on m’a rétorqué que tout serait réglé en interne », explique Saša Lesković. « J’ai aussi signalé un autre problème : il est expressément interdit de distribuer l’argent du Fonds social européen à des médias publics ou commerciaux. Si ces fonds sont mal dépensés, les citoyens croates devront-ils un jour rembourser quatre millions d’euros de leur poche ? »

Mais les fonds du FSE peuvent également financer des médias communautaires, catégorie dans laquelle la ministre Obuljen Koržinek va sans doute essayer de faire entrer diverses télévisions et radios locales, bien qu’elles ne soient ni particulièrement démocratiques ni participatives. Cela n’aurait rien de nouveau : en 2015 déjà, 130 chaînes de télévision et radio locales, dont 90 privées, avaient reçu 4,8 millions d’euros du Fonds pour le pluralisme des médias, par l’intermédiaire de l’AEM, des sommes en principe destinées aux médias indépendants.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.