Blog • Un conte de la solitude et de la peur de l’autre

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La peur des barbares, de Petar ANDONOVSKI, traduit du macédonien par Maria Béjanovska, éditions Flora, 2023.

La solitude des êtres amplifiée par la crainte de l’autre, de l’étranger, celui venu d’ailleurs, du « barbare » comme l’entendaient les anciens Grecs, celui qui ne parlait pas grec ; l’écrivain macédonien Petar Andonovski signe avec La peur des barbares un court roman à l’atmosphère oppressante entre réalité et imaginaire.

L’action du livre Strav od varvari, traduit par Maria Béjanovska, à laquelle on doit déjà plusieurs traductions d’auteurs serbes et macédoniens, comme le remarqué Cheval rouge de Tasko Georgievski, se passe sur la petite île désolée de Gavdos, « oubliée de tous » au large des côtes méridionales de la Crète.

On imagine un endroit inondé de lumière avec ses maisons aux murs blancs ou bleus, au milieu des oliveraies et des citronniers. Mais on est loin ici de cette image solaire du monde méditerranéen, tant la tragédie paraît inévitable dès les premières pages.

Deux femmes, Oxana l’Ukrainienne et Pinelopi la Grecque, sont voisines mais ne se connaissent pas. Elles sont toutes deux plongées dans leurs souvenirs, chacune dans un huis-clos douloureux et sans espoir. Oxana s’est réfugiée sur la petite île grecque avec Evgueni et Igor après le drame de Tchernobyl et Pinelopi est hantée par une amie d’adolescence avec laquelle elle avait imaginé une autre vie, en Espagne ou ailleurs.

La mer, le danger et l’échappée

Autour d’eux, règnent la méfiance, puis l’hostilité des locaux. Oxana et ses deux compagnons sont appelés les « Russes », ces étrangers venus de la mer, qui est bien souvent pour les habitants des îles synonyme de dangers et de menaces.

Mais la mer qui isole, coupe du monde, signifie aussi l’ouverture, l’échappée vers un autre destin et Petar Andonovski exprime admirablement cette ambivalence en évoquant ces deux femmes regardant les côtes crétoises au loin.

La mort d’Evgueni ne fait qu’exacerber les rumeurs les plus extravagantes de ce petit monde clos, avec Spiro, l’inquiétant berger fou toujours accompagné de sa brebis ou Stella, qui a perdu définitivement la raison, errant du côté du phare. Le pope lui-même a bien du mal à calmer ses ouailles et est tenté progressivement par les mesures radicales pour se débarrasser de ces inconnus qui s’expriment dans « une langue incompréhensible, la langue des barbares ».

Le récit bascule progressivement dans une dimension fantastique et imaginaire. « Je ne savais plus ce qui était vrai et ce qui était imaginaire, confie Oxana... J’ai été étonnée en voyant mon visage dans la vitre. J’avais oublié mon apparence... Est-ce moi ? Est-ce que j’existe ? ».

Petar Andonovski glisse cette phrase un peu plus loin. Il est difficile de penser qu’il n’expose pas là une dimension de son écriture. « Inventer les histoires est un acte de solitude, un besoin de dialogue, celui qui a inventé l’histoire devait être très seul ».

L’avertissement qui ouvre La peur des barbares est également une façon pour l’auteur de brouiller les cartes et d’inviter le lecteur à se forger son opinion sur ce récit à forte connotation philosophique sur la solitude humaine et la tentation des êtres vers le repli, le rejet de l’autre : « certains des personnages de ce roman existent vraiment. Leurs histoires ainsi que certains événements historiques sont inventés ».

Petar Andonovski est né en 1987 à Kumanovo (Macédoine du Nord). Il est l’auteur de quatre romans et d’un recueil de poèmes. Son dernier roman est Un été sans toi (2020). La peur des barbares (2018) lui a valu une réputation internationale.