Blog • Croatie : cinq nouvelles, entre espoir et blessures mal refermées

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Le collectionneur de serpents, de Jurica Pavičić, traduit du croate par Olivier Lannuzel, éditions Agullo, 2023.

Le talent narratif de Jurica Pavičić, l’auteur croate remarqué de L’eau rouge et de La femme du deuxième étage, nous revient intact, avec Le collectionneur de serpents (ed. Agullo), cinq nouvelles splendides sur la Croatie où plane le souvenir de la guerre dans des familles désunies à tout jamais.

Il s’agit du premier recueil de nouvelles de l’écrivain traduit en français, comme toujours par son fidèle et talentueux traducteur, Olivier Lannuzel. Et comme pour ses textes précédents, qui ont bénéficié d’un vrai écho en France, on retrouve le singulier sens du récit de Pavičić, mais aussi la région de Split qu’il connaît si bien et la société croate dans toutes ses composantes et ses mutations depuis le conflit de 1991-1995.

On avait déjà remarqué dans L’eau rouge et La femme du deuxième étage le talent de l’auteur à situer sa fiction dans une époque donnée, grâce à ces détails qui ne trompent pas sur l’évolution d’une ville, son urbanisme, ses nouveaux quartiers et ceux qui y habitent, les mentalités, les nouvelles valeurs, l’affairisme florissant du tourisme de masse dans la Croatie d’aujourd’hui, bref, tout le chemin parcouru depuis la Yougoslavie titiste. Pavičić, qui est également journaliste, n’a pas son pareil pour retracer les bouleversements de son pays depuis bientôt trente ans. Quelle matière romanesque n’a-t-il pas là, comme c’est le cas pour les autres pays des Balkans et de l’Europe orientale, ce que l’on ne réalise peut-être pas suffisamment à l’ouest du continent !

Une histoire de guerre toute simple

Mis à part la splendide nouvelle qui donne le titre au recueil, Le collectionneur de serpents, une histoire de guerre toute simple, terrifiante et qui dit tout, les autres textes se situent dans la Croatie actuelle, dans les années qui ont suivi le conflit.
Le collectionneur de serpents raconte l’histoire d’un jeune gamin passionné de jeux vidéo recruté par l’armée pour manier un lance-roquettes particulièrement sensible et meurtrier, la malioutka. « Plus ils étaient soudés à leur console, occupés à dégommer des bombes violettes, à exterminer des extraterrestres à coup de rafales, meilleurs ils étaient pour ce boulot. » Le jeune garçon fait merveille jusqu’au jour où il doit abattre trois prisonniers monténégrins. La guerre n’est plus un jeu abstrait. Je laisse le lecteur lire les dernières pages de ce récit poignant.
Dans « Le tabernacle », le lecteur doit attendre les dernières pages pour savoir ce qui se cache dans une pièce mystérieusement fermée à clé par un colocataire impossible à déloger depuis son installation, en 1973, dans un logement que le propriétaire souhaite aménager pour le louer aux touristes.

Cette nouvelle, comme les autres, recèle de jolies phrases ciselées qui résument en quelques mots tout un environnement, un passé, campent un individu. Remarquable esprit synthétique de l’auteur dans les descriptions, aidé par son traducteur. « La façade n’était pas encore décrépite, l’ascenseur ne craquait pas comme des amarres qui se tendent, il n’y avait pas de coeurs transpercés, pas de croix gammées ni de bites stylisées sur les murs. Vide et blanc, ce nouveau logement avait tout l’air du paradis. » Ou bien : « c’était les années quatre-vingt et c’était encore le communisme, mais on sentait que les communistes allaient bientôt dégager. » Ou encore : « elle était grande et maigre, avec un air impersonnel, un de ces visages qu’on oublie aussitôt vus. »

Les espoirs et les blessures mal refermées

Chaque nouvelle, c’est bien simple, est un enchantement, depuis « La patrouille sur la route », le récit de deux frères dont les destins vont diverger de plus en plus, ou è La soeur », deux femmes séparées par la guerre et qui ne parviennent pas à s’entendre sur la vente de la maison du grand-père, dans ce village déserté par ses habitants partis pour l’Amérique ou l’Australie et où ne restent plus que « les crétins, les cossards et les feignants ». « Le héros », également, quel texte splendide ! L’arrestation d’un ancien « petit voyou » devenu un « héros national ».

Plusieurs nouvelles du recueil évoquent immanquablement, bien sûr, certaines pages de l’actualité de ces dernières années dans les Balkans. Mais c’est encore une fois tout un pays qui revit à travers ces pages avec ses espoirs et ses illusions, ses blessures mal refermées.

Il faut suivre attentivement cet écrivain. Nul doute que Jurica Pavičić nous réservera encore des surprises magnifiques.