Roman • Dubravka Ugrešić • Baba Yaga a pondu un oeuf

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Par Jacqueline Dérens

La couverture vous fait un clin d’œil. C’est quoi cet œuf d’où sort une langue avec un grumeau ? Vous approchez et cela ne vous dit vraiment rien. Vous ne connaissez pas l’auteur, vous ne connaissez rien à la langue croate, jamais entendu parler des Baba Yaga. Enfin, un tout petit peu dans des contes russes que vous avez lu il y a bien longtemps… Mais pourquoi celle-là a-t-elle donc pondu un œuf, décoré comme un œuf de Pâques ?

Au lieu de tourner l’ouvrage dans tous les sens comme une poule qui découvre un couteau, une seule solution pour résoudre l’énigme : acheter et lire le livre le plus vite possible. D’abord parce que la folle virée de trois vieilles, plus moches l’une que l’autre, dans une station thermale, transformée en luxueux spa extravagant, va vous faire rire aux larmes. Avez-vous jamais rêvé d’un bain au chocolat chaud ? D’être massée par un eunuque turc de carnaval ? De faire sauter la banque au casino ? De claquer du fric sans compter ? De jurer comme un charretier sans retenue ? Vous en avez rêvé ? Pupa, Beba et Kukla l’ont fait.

L’autrice Dubravka Ugrešić, qui n’en est pas à son coup d’essai, a la plume acerbe et tendre à la fois. Pas de quartier pour les salopards, pas de pitié pour les profiteurs de la « transition », pas d’excuses à la consommation qui nous gave comme des oies. Tout cela est estourbi dans une langue plus coupante que la lame d’un yatagan.

Mais quelle tendresse pour ces trois babas qui pourraient être sa mère ou la vôtre, ou même si vous vous projetez dans l’avenir vous-mêmes quand les ans auront alourdi votre corps, ravagé votre peau, embué votre cerveau. Cette folle virée est l’apothéose de Pupa qui rentre au pays dans un cercueil insolite, accompagnée de ses deux acolytes à qui elle a refilé avant de mourir la mission d’élever Wawa, la petite fille chinoise de Beba. Ainsi va le tourbillon de la vie.

Et la couverture alors ? Pour avoir une réponse, consultez la troisième partie du livre qui n’est rien d’autre qu’un manuel de babayagalogie pour les nuls. Après lecture vous saurez reconnaître la vraie de la fausse, parce qu’il y a sorcière et sorcière et vous ne les mettrez plus jamais toutes dans le même chaudron, même si toutes nous accompagnent du berceau à la tombe, bien contentes de nous jouer mille et un tour pour ajouter du piment à la vie.

Le mot de l’éditeur

Trois vieilles dames zagreboises s’offrent des vacances luxueuses dans un spa. Beba, une ancienne infirmière aux cheveux blonds et aux seins énormes, cite constamment des poèmes dont elle mélange les phrases. Il est possible qu’elle gagne des milliers de dollars au casino du spa. Kukla, autrice anonyme d’un vif succès littéraire, a été veuve plus souvent qu’à son tour. Pupa, ancienne gynécologue acerbe au corps tout fripé, est poussée en chaise roulante – ses jambes déformées coincées dans une botte géante. Elle rentrera chez elle dans un oeuf en bois géant.

Ce trio rocambolesque de vieilles sorcières vivra des aventures folles pendant ce séjour à Prague. Dubravka Ugrešić explore le mythe de Baba Yaga pour évoquer un sujet peu traité dans la littérature contemporaine : le devenir des femmes âgées. Cette figure du folklore, de la mythologie et des contes russes (et plus largement slaves) est l’une de ses créatures les plus omniprésentes et les plus puissantes.