Blog • Au Grand Bazar du Nouveau Monde : la France, la Serbie et la violence des manifestants

|

Le mensonge, c’est la liberté, la guerre c’est la paix, la Serbie c’est l’Europe, et l’opposition est violente. L’opposition est violente ! Voilà ce que clamait encore vendredi la Première ministre serbe Ana Brnabić dans les colonnes du quotidien Politika, tandis que son collègue ministre de la Défense, Aleksandar Vulin, a entrepris une grève de la faim pour dénoncer ces mêmes violences.

Aleksandar Vulin (avant-dernier sur la droite, en manteau noir), homme de paix et apôtre de la non-violence
© RFE-RL / Vesna Andjic

La Serbie est non seulement le pays le plus démocratique d’Europe, mais même celui où le pouvoir s’assume dans une pure dimension sacrificielle, comme une offrande gratuite au service du bien commun. Un ministre, nous rappelle l’étymologie du mot, un ministre comme M.Vulin, est celui qui sert, qui se met au service de quelqu’un d’autre, par exemple du Seigneur ou bien encore d’Aleksandar Vučić. Or, ce pouvoir, ces ministres, alors même qu’ils disposent d’une très large majorité au Parlement, qu’ils dominent toutes les communes du pays à l’exception de trois ou quatre, mais également l’Assemblée de Voïvodine, qu’ils contrôlent non seulement la télévision publique RTS mais aussi la plupart des chaînes privées de télévision et de radio ainsi que les plus grands opérateurs du câble et de l’Internet, qu’ils dominent sans partage la justice et les nominations dans la haute fonction publique, eh bien, oui, malgré tout cela, ce pouvoir et ces ministres font le choix de laisser la violence à l’opposition.

À ces violences de l’opposition, à ces indignes rassemblements où l’on court, siffle et crie dans les rues, la si moderne Ana Brnabić et le bientôt saint, martyr et thaumaturge Aleksandar Vulin font le choix de répondre par le jeune et la prière. Vestale de l’ultra-libéralisme autoritaire, Ana Brnabić dénonce « les ennemis de la liberté et de la démocratie » en la personne des journalistes indépendants, tandis que les anciens cadres du Parti radical serbe (extrême droite raciste et belliqueuse) crient au danger « fasciste ». La propagande, c’est la vérité, l’antifascisme, c’est le fascisme, nous avons toujours raison et l’opposition est violente.

Il est vrai que les autorités serbes savent que, malgré ces violences de quelques uns, elles peuvent compter sur le soutien fidèle de l’immense masse, de cette majorité silencieuse qui n’hésite jamais à descendre dans la rue contre la promesse d’un petit billet, voire d’un simple repas chaud. Ce samedi 13 avril, nous risquons de voir à nouveau le déplorable spectacle de la violence d’opposition dans les rues de Belgrade, mais que l’on se rassure, le meeting du 19 avril sera, nous le savons déjà, l’un des plus massifs de l’histoire moderne de la Serbie. Aleksandar Vučić parlera au peuple et le peuple l’acclamera. Sans violence.

C’est toute la différence entre la Serbie et la France, où les partisans du président Macron n’ont jamais pu réunir plus de trois douzaines de « foulards rouge » et où l’ineffable ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, en est donc réduit à expliquer depuis des mois que ces très violents gilets jaunes se jettent délibérément sur les grenades de désencerclement, qu’ils se font volontairement éborgner, dans le seul et unique but de discréditer les forces de l’ordre. A une manifestante de 73 ans qui a failli se faire tuer par une charge de la police, le Président de la République en personne a même été obligé de rappeler qu’il n’était « pas bien sage » de se rendre, à son âge, à une manifestation si violente.

En Serbie, rien de tel ne serait arrivé. Une grève de la faim du ministre de la Défense suffit à chasser au loin ce spectre menaçant de la violence, et le président Vučić n’a pas besoin d’appeler à la sagesse les centaines de milliers de retraité.e.s qui survivent avec des pensions de 15 000 dinars (environ 125 euros) par mois. La Serbie est un pays bien plus démocratique, bien plus stable, bien plus avancé que la malheureuse France.

En France, l’épouse du chef des députés du parti au pouvoir a été nommée à la direction d’une grande entreprise aussitôt privatisée, la Française des Jeux, appellation locale de la Loterie nationale. Ce schéma s’était très souvent produit lors des privatisations, parfois contestées, du début des années 1990 dans la Croatie de Franjo Tuđman ou la Serbie de Slobodan Milošević. Et il se reproduit donc à la fin des années 2010 dans la France d’Emmanuel Macron, qui accuse ainsi un flagrant retard d’un bon quart de siècle... Seul le Monténégro, au vrai, échappe à un tel découpage chronologique, car dans ce pays, le plus stable d’Europe (encore plus stable et démocratique que la Serbie), c’est le même dirigeant avisé et sa famille qui contrôlent toutes les privatisations depuis trois décennies. D’ailleurs, il n’y a plus rien à privatiser, puisque l’Etat lui-même a déjà été privatisé, avec tous ses attributs, la police, la justice, le service public de télévision, la Banque nationale, les douanes et bien sûr la Loterie nationale.

La Serbie, c’est l’Europe, l’Europe, c’est la Serbie !

En France, où s’impose non seulement le règne aveugle de la violence des contestataires, mais où de néfastes relents de populisme collectiviste continuent d’empuantir l’air, des députés veulent s’opposer à la privatisation d’Aéroports de Paris, société publique pourtant promise à la philanthropique et si compétente gestion de Vinci Airport. Il n’est pas impossible que ce projet échoue en raison de ces violentes oppositions « populistes »... Heureusement, Vinci Airport trouvera toujours moyen de se consoler dans un vrai pays libéral, moderne et développé, la Serbie, qui lui a cédé l’aéroport de Belgrade et lui fera peut-être même cadeau de celui de Niš.

Lors du fameux débat télévisé de la campagne des élections européennes, tandis que la ci-devant ministre française des Affaires européennes et désormais candidate du parti présidentiel votait sans hésitations ni état d’âme contre l’intégration de la Serbie en 2015, le candidat d’un obscur groupuscule nommé Place publique clamait : « la Serbie, c’est l’Europe ! » Raphaël Glucksmann a parfaitement raison. La Serbie, c’est l’Europe, l’Europe, c’est la Serbie. Nous sommes tous dans la même galère. Sur le point de sombrer.

PS : Après l’arrestation de Julian Assange dans l’ambassade d’Equateur à Londres, certains ont cru bon d’ironiser sur la ressemblance physique et capillaire entre le lanceur d’alerte et Radovan Karadzic, lorsque ce dernier fut arrêté à Belgrade, en juillet 2008, sous l’identité factice de Dragan Dabić. Les idiots, ceux qui regardent toujours le doigt et jamais la lune, oublient que ce sont, chaque jour un peu plus, nos libertés communes qui partent en fumée.

PS bis : En 1991, les Nadrealisti de Sarajevo, toujours visionnaires, annonçaient déjà une grève de la faim du gouvernement...