Serbie : le grand retour de Milorad Vučelić, chantre éternel du régime Milošević

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Il a dirigé la RTS, la télévision publique serbe, du temps de Milošević, il a passé 18 jours en prison après l’assassinat de Zoran Đinđić, le TPIY a failli l’inculper... Mais l’insubmersible Milorad Vučelić, cadre émérite du SPS et patron du club de foot du Partizan, fait son retour dans les médias, en prenant la direction du quotidien Večernje novosti. Avec la bénédiction du régime d’Aleksandar Vučić.

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Par Milan Nešić et Zoran Glavonjić

Milorad Vučelić.
D.R.

« Il a l’entière confiance du pouvoir », estime Dragan Janjić, vice-président de l’Association indépendante des journalistes de Serbie (NUNS). « Il existe une proximité, politique et générale, entre les structures politiques actuelles et celles des années 1990. À l’époque, c’était le Parti socialiste de Serbie (SPS) qui était au pouvoir avec le soutien du Parti radical serbe (SRS). Aujourd’hui, nous avons toujours le SPS, tandis que le Parti progressiste serbe (SNS) est issu du SRS. Cette nomination s’inscrit donc dans la suite logique des choses. »

Ce poste à haut niveau à la tête du quotidien Večernje novosti n’est-il qu’une histoire interne au sein de cette société par actions, ou les causes de cette nomination plongent-elles leurs racines dans la politique ? Pour l’écrivain Filip David, la question ne se pose même pas. « C’est le pouvoir qui est derrière tout ça. Maintenant, par l’intermédiaire de Vučelić, ils sont sûrs que Večernje novosti leur appartient, que c’est bien leur journal. Qui maîtrise les médias a le pouvoir politique. Si les médias sont de votre côté, si vous pouvez faire passer n’importe quel message, jusqu’aux mensonges les plus éhontés, et convaincre un grand nombre de Serbes que ces mensonges sont la vérité, alors vous avez la paix, vous êtes en sécurité. »

Večernje novosti, les « Nouvelles du soir », un quotidien fondé en 1953, qui tirait à 400 000 exemplaires à la fin des années 1980, a perdu pendant la transition des années 2000 un grand nombre de lecteurs. Aujourd’hui, c’est devenu une société par actions avec une participation de l’État, croulant sous une dette de onze millions d’euros et qui, depuis 2009, doit plus de 2,5 millions d’euros au fisc.

Pour Dragan Janjić, la consolidation financière du journal sera la première mission de Milorad Vučelić. « Manifestement, quelqu’un au pouvoir a grand intérêt à essayer de sauver Večernje novosti, qui est dans une situation financière critique. On ne sait pas très bien qui a l’argent et comment tout cela s’organise. Vučelić ne va certainement pas changer la politique éditoriale. Je pense qu’elle sera à peu près la même que quand il travaillait dans le service public serbe, alors la télévision d’État. On peut s’attendre à ce que Večernje novosti continue sa course à la surenchère avec les tabloïds. »

S’il y avait une justice, sa place serait au tribunal de La Haye pour qu’il y réponde de sa propagande guerrière

Sa politique éditoriale, c’est-à-dire la manière dont il a dirigé la radio-télévision serbe (RTS) sous le règne de Milošević, est le point le plus noir de la biographie pour le moins controversée de Milorad Vučelić. « Tout le monde sait très bien qui est Milorad Vučelić, et ce qu’il a fait pendant les années 1990 », affirme Filip David qui, en 1991, a été licencié de la télévision de Belgrade pour avoir fondé un syndicat indépendant. « En tant que directeur général, il a mené des purges à la télévision et il a encouragé la guerre. S’il y avait une justice, sa place serait au tribunal de La Haye pour pour répondre de sa propagande guerrière. Car ce qu’il a écrit et déclaré à l’époque a en grande partie contribué à ce qui a été commis en notre nom, et dont nous avons honte aujourd’hui. »

Dans les années 1990, la propagande guerrière de la RTS que Milorad Vučelić a dirigée pendant trois ans a fait l’objet d’une étude du Parquet pour les crimes de guerre de Serbie, publiée en 2011 sous le titre : Paroles et inaction : l’appel où l’encouragement à commettre des crimes de guerre dans les médias serbes en 1991-1992.

L’homme du SPS à la tête du Partizan

Milorad Vučelić est un vétéran du SPS. Dans les années 1990, il y a occupé des fonctions importantes. Au début des années 2000, après une pause, il retourne à ses premières amours politiques et devient vice-président du Comité général du SPS. Il est élu député. Mais l’apogée de son come-back a lieu plus récemment, en octobre 2016, quand il est élu président de la Société sportive yougoslave Partizan et du prestigieux club de foot du Partizan, dans lequel les cadres du SPS jouent un rôle important depuis le début des années 1990 et l’époque de Mirko Marjanović, Premier ministre sous Milošević.

Pour le commentateur sportif Milojko Pantić, le retour des cadres qui ont façonné les années 1990 n’est pas une nouveauté : le pouvoir actuel en est rempli. « Ils placent leurs hommes à des postes de direction, là où toutes les décisions sont prises. Que signifie le retour de Milorad Vučelić ? Selon moi, la scène politique serbe est toujours dirigée depuis les années 1990 par ce que je qualifie de front politique criminel et communisto-nationaliste. »

Milorad Vučelić dispose d’un solide bagage de fonctionnaire sportif : il a présidé la Fédération de handball de Yougoslavie de 1997 à 1999, puis la Fédération de handball de Serbie de 2001 à 2003 et, à la fin des années 1990, il a dirigé pendant deux ans le Conseil d’administration des télécoms serbes.

Autre ligne au CV fourni de notre homme, fondateur de l’hebdomadaire Pečat : il a été arrêté dans le cadre de l’opération Sablja (« Sabre »), menée par les autorités après l’assassinat du Premier ministre Zoran Đinđić en mars 2003, et a passé 18 jours en prison. Enfin, il reste dans les mémoires comme l’homme qui a été filmé aux côtés de Jovica Stanišić et Franko Simatović, aujourd’hui inculpés à La Haye, ainsi que d’autres personnalités des années 1990, dans un défilé de l’Unité d’opérations spéciales des Services de sécurité d’État.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.