Crise des réfugiés dans les Balkans : agitation médiatique et propagande nationaliste

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Depuis des mois, la crise des réfugiés fait la une de la presse des Balkans et occupe l’ouverture de tous les journaux télévisés de la région. Pour autant, ces centaines de milliers de migrants n’ont été qu’un prétexte pour raviver de vieilles querelles nationales et servir les intérêts des politiques.

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Par Ilcho Cvetanoski

Les réfugiés et les migrants ont été, ces derniers mois, au centre de l’attention des médias des Balkans. Dans les pays où ils transitent, comme la Macédoine, la Serbie et la Croatie, les journaux télévisés et la presse écrite leur ont consacré tous les jours un espace important. Pour gérer cette masse d’informations, ils ont choisi deux approches différentes, qui témoignent d’orientations politiques et idéologiques particulières. La première cherche à exploiter la crise des réfugiés pour défendre des intérêts politiques bien précis. La seconde veut souligner, à travers le récit de la gestion de la crise, la supériorité morale d’un pays par rapport à ses voisins. Dans les deux cas de figure, les médias occultent leur devoir premier, celui d’informer le public.

Divisions en Macédoine

Ces derniers temps, la Macédoine a souvent été au centre de l’attention des médias, surtout pour la manière inappropriée dont les institutions de ce pays ont géré la crise. Des journalistes du monde entier ont raconté la situation tragique des réfugiés à sa frontière avec la Grèce, près de la ville de Gevgelija. Après l’incident survenu en août dernier, quand la police avait lancé des gaz lacrymogènes contre des migrants, un autre événement a défrayé la chronique : sur une vidéo de Sky News, on voit des hommes de la police des frontières en train de matraquer des réfugiés pour les aligner.

La couverture médiatique de ces événements a montré deux choses : les médias proches du gouvernement ont cherché à minimiser ces faits, ceux de l’opposition les ont présentés comme une énième preuve de l’incurie de l’actuel exécutif, dénoncé comme irresponsable et non démocratique. Les médias du gouvernement ont cité des rapports qui faisaient état de mauvais traitements infligés aux réfugiés dans d’autres pays, majoritairement membres de l’Union européenne. Ces exemples ont servi à soutenir la thèse selon laquelle même la riche Europe se laisserait aller à des abus encore plus inévitables que les pays connaissant de fortes difficultés économiques comme la Macédoine. On s’est également servi de ces rapports pour mettre l’accent sur l’hypocrisie et l’ambiguïté morale de l’Union européenne et des médias occidentaux. Dans les pays voisins, en revanche, la Macédoine a vite été cataloguée dans le rôle du « méchant ».

En général, le niveau d’information est plutôt médiocre dans les médias macédoniens. Le cas le plus patent de désinformation concerne un policier qui aurait été « attaqué et roué de coups » par un groupe de réfugiés, après les premiers incidents survenus à Gevgelija. Comme souvent ces dernières années, la nouvelle a été publié par un obscur site Internet avant d’être rediffusée par les médias de masse. Le lendemain, il a bien fallu admettre qu’il s’agissait d’une rumeur.


Cet article est publié dans le cadre du projet Press and Media Freedom, dont le Courrier des Balkans est partenaire.


En plus de cette guerre entre les médias acquis au gouvernement et ceux proches de l’opposition, la scène médiatique macédonienne est aussi divisée par des barrières communautaires : « nous » sommes les bons et « eux » sont les méchants. Mais si les médias internationaux ont relayé les incidents entre la police et les migrants à la frontière, beaucoup de simples citoyens ont, au contraire, posté sur les réseaux sociaux des histoires illustrant l’attitude positive de certains policiers envers les réfugiés. Une photo montre ainsi un homme en arme en train de donner à boire à un enfant. Après sa publication, certains médias ont immédiatement cherché à connaitre l’affiliation ethnico-religieuse du policier. Conclusion : les médias en Macédoine sont bien souvent utilisés pour nourrir les stéréotypes et la xénophobie.

Querelles entre la Croatie et la Serbie

Dans ces deux pays, la crise des réfugiés a servi à raviver de vieilles blessures datant des années 1990, des conflits latents masqués par la rhétorique de la perspective européenne et par les politiques de bon voisinage. On s’attendant bien sûr à une utilisation politique de la crise des réfugiés, puisque des élections ont lieu le 8 novembre prochain en Croatie. Moins à des accrochages entre Zagreb et Belgrade.

Après la fermeture des frontières entre la Serbie et la Hongrie, au milieu du mois de septembre, la Croatie a dû faire face à un flux croissant de réfugiés, et a brièvement bloqué ses frontières orientales. Les médias des deux pays se sont immédiatement lancés des accusations, la Serbie s’est indignée de ce blocage, par crainte d’éventuels répercussions économiques. Rapidement est revenu à la surface la rhétorique nationaliste des années 1990. Les journaux croates et serbes se sont tour à tour accusés d’exploiter la crise des réfugiés pour faire pression sur son voisin. Les tabloïdes se sont déchaînés, publiant des titres insultants. C’est l’intervention des « internationaux » et de l’Union européenne qui a permis de calmer la situation.

Au cours de ces douloureux événements, les réfugiés ont été relégués au second plan. Plutôt que se préoccuper des migrants, l’attention des médias des Balkans s’est focalisée sur les pays que ces gens traversaient. Ces États ont donc utilisé les réfugiés comme des pions pour leur partie d’échec. Et pour leurs dirigeants, ils n’ont représenté qu’une simple opportunité pour se faire de la publicité et s’assurer du même coup la victoire aux prochaines élections.