Serbie : pour les exilés du Burundi, l’asile se paie mais ne s’obtient pas

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Depuis 2018, les ressortissants du Burundi n’ont plus besoin de visa pour venir en Serbie. Les demandes d’asile ont explosé et certains sont prêts à payer des milliers d’euros pour augmenter leurs chances. Mais c’est une escroquerie : une fois à l’aéroport, ils sont renvoyés chez eux sans grand espoir de revoir leur argent, révèle une enquête de Balkan Insight.

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Par la rédaction

L’aéroport Nikola Tesla de Belgrade
Wikimedia commons

« On a payé des milliers d’euros via Western Union, mais à l’aéroport, mes frères et sœurs n’ont pas pu entrer en Serbie et ont été expulsés vers Istanbul. » Des témoignages comme celui-ci, Balkan Insight en a recueilli plusieurs ces derniers mois. Les quatre frères et sœurs, tous majeurs, avaient quitté leur famille au Burundi en décembre dernier pour s’envoler à Belgrade, sur les conseils d’une ancienne collègue de leur mère.

Pour obtenir un visa et accélérer la procédure de demande d’asile, ils avaient envoyé de l’argent à des « personnes influentes » originaires du Burundi et déjà installées en Serbie. Ces personnes étaient censées veiller « à ce que tout se passe bien ». Les tarifs varient selon le client. Ils s’élèvent en moyenne à 2000€ par personne, 2500 si l’adulte est accompagné d’un enfant. Pour cette somme, on promet « une lettre d’invitation » pour venir en Serbie et une aide logistique une fois sur place.

Les demandes d’asile ont explosé

Ce que les frères et sœurs ne savaient pas, c’est qu’ils n’avaient théoriquement rien à payer pour venir en Serbie. En 2018, Belgrade a supprimé l’obligation de visa pour les ressortissants burundais. Désormais, ils peuvent rester jusqu’à 30 jours sur le territoire serbe. La mesure fait suite à la décision du Burundi de ne plus reconnaître le Kosovo. L’annonce a fait exploser le nombre de voyages et de demandes d’asile en provenance du Burundi. Selon les données officielles du gouvernement serbe, 134 demandes ont été déposées l’an dernier contre deux en 2018. Ce pays d’Afrique de l’Est, frontalier du Rwanda, est désormais dans le top 5 des demandeurs d’asile en Serbie après la Syrie et l’Afghanistan.

Avec ses douze millions d’habitants, le Burundi est l’un des pays les plus pauvres du monde. Sa situation politique et économique s’est encore aggravée après les élections contestées de 2015, poussant des centaines de milliers de personnes à l’exil. Certains vendent tout pour se payer le voyage et ceux qui tentent d’aller en Serbie y voient une chance de se rapprocher de l’Union européenne et de trouver un travail.

Or, en arrivant à Belgrade, beaucoup de Burundais sont arrêtés par la police sans pouvoir exercer leur droit à rester 30 jours et à demander l’asile. Selon l’avocat Nikola Kovačević, des dizaines de personnes seraient ainsi détenues chaque jour par les policiers serbes à l’aéroport Nikola Tesla, sans téléphone ni accès à un traducteur, en attendant d’être renvoyées vers la Turquie ou l’Éthiopie. « Ces personnes sont souvent détenues de manière arbitraire, sans motif légal et dans des conditions inhumaines », explique l’avocat spécialisé dans la défense des réfugiés.

Système frauduleux

Les quatre frères et sœurs interrogés par Balkan Insight rapportent avoir été victimes de violences physiques. Ce n’est qu’une fois dans l’avion pour Istanbul qu’ils ont découvert qu’ils n’avaient pas besoin de visa et avaient payé pour rien. Les bénéficiaires de l’argent envoyé à distance ne font qu’encaisser l’argent, sans intervenir dans aucune des étapes de la demande d’asile. Selon les journalistes qui ont mené l’enquête, trois personnes originaires du Burundi et installées depuis plusieurs années en Serbie seraient impliquées dans ce réseau d’escroquerie.

Le système fonctionne par bouche-à-oreille. Ceux qui ont réussi à venir de cette manière encouragent leurs proches à faire de même. Les personnes qui n’ont pas eu de problèmes à la frontière ne sont parfois même pas conscientes qu’elles sont impliquées dans une fraude. De leur côté, les autorités serbes ferment les yeux, préférant de plus en plus renvoyer les Burundais plutôt que de les laisser espérer obtenir l’asile en Serbie.