Portraits d’éditeur

Pôle Europe orientale : défricheurs de scènes

|

Quand on lui demande pourquoi il s’intéresse aux théâtres des Balkans et du Caucase, Dominique Dolmieu, directeur de la compagnie l’Espace d’un instant et du pôle Europe orientale, se défend de tout exotisme. C’est d’abord « parce que ce sont des textes de qualité », plaide-t-il.

Alors qu’en France, l’intérêt pour les dramaturgies de l’Est ne s’est manifesté que tardivement avec le programme Théorème du Festival d’Avignon et le travail de la Maison Antoine-Vitez, l’Espace d’un instant s’est fait connaître depuis une dizaine d’années par son travail de traduction, d’édition et de production de pièces d’auteurs albanais, slovènes, tchétchènes ou encore géorgiens. Des auteurs souvent joués en Europe et dans le monde, mais largement méconnus en France.

Après avoir monté des pièces et des rencontres, l’association a élargi ses activités en créant le Pôle Europe orientale (d’abord appelé Pôle Balkans/Caucase) en 2001 : un centre de ressources sur les écritures théâtrales qui met à la disposition du public des œuvres en langue originale et en traduction - environ 900 à ce jour - des documents, adresses, informations pratiques sur les théâtres de ces pays. Dernières nées : les éditions théâtrales « l’Espace d’un instant », avec une dizaine de titres au catalogue. Depuis trois ans, les initiateurs du pôle Europe orientale travaillent à l’ouverture « d’un lieu de proximité » à Paris, « une maison d’Europe et d’Orient, consacrée aux cultures de l’Europe du sud-est ». Pour Céline Barcq, cofondatrice de l’association, il s’agit de proposer un travail complet : librairie, galerie, salle de spectacles…

En 2000, L’Espace d’un instant se lance dans une aventure un peu folle : traverser l’Europe du Caucase jusqu’en France avec une vingtaine de compagnies arménienne, albanaise, serbe, géorgienne, etc. en proposant un spectacle commun multilingue : ainsi naît le projet des « Petits / petits en Europe Orientale », qui permet la sortie d’un livre et d’un film et surtout la création de liens solides entre les compagnies. Suite également à la publication d’une anthologie du théâtre « De l’Adriatique à la Mer Noire », en collaboration avec Marianne Clévy, l’idée de publier fait son chemin.

« A la différence de la plupart des autres maisons d’éditions théâtrales qui ne sortent des textes que lorsqu’ils sont joués, nous essayons de précéder le mouvement, d’être en amont, de sensibiliser les créateurs à ces textes. C’est le sens des deux derniers projets : Balkanisation générale et Caucase : la Montagne des Langues », explique Dominique Dolmieu. Ainsi, à l’occasion des deux dernières éditions de « Lire en fête », l’Espace d’un instant a proposé à des compagnies françaises de s’emparer de textes théâtraux originaux pour monter des spectacles, lectures et rencontres avec des auteurs, dont certains sortaient pour la première fois de leur pays. « Pour les Balkaniques, c’est un peu plus facile, ils circulent tout de même, mais le Caucase est très isolé. Par ailleurs, les problèmes de traduction sont très complexes. Comment trouver un bon traducteur de tchétchène ou d’ossète, si on ne veut pas passer par le russe ? », souligne-t-il. La publication d’une anthologie du théâtre caucasien et des actes des rencontres sont aussi à l’ordre du jour. « Ces rencontres, ces projets collectifs sont très importants, c’est l’essence de notre travail », continue-t-il en insistant sur la valeur d’échange. « Quand les auteurs nous remercient de ce qu’ils pensent que nous faisons pour eux, je leur réponds un peu par provocation que c’est un malentendu. Ce qui m’intéresse, c’est aussi d’enrichir le répertoire théâtral de mon pays en découvrant d’autres dramaturgies ».

Au catalogue des éditions, on trouve actuellement une dizaine de titres dont quelques « classiques » de ces pays encore inconnus en France, tels « la Libération de Skopje » du slovène Dusan Jovanovic, fable universelle sur la résistance et la collaboration jouée dans le monde entier, ou encore le Roméo et Juliette du monde musulman, « Leyli et Medjnun », que la compagnie s’apprête à monter en Azerbaïdjan. Mais la plupart des auteurs sont contemporains et la ligne éditoriale se veut résolument engagée, que les auteurs nous fassent découvrir ce monde incertain du post communiste (comme l’albanais Ilirijan Bezhani dans « les Arnaqueurs » ou la jeune roumaine Saviana Stanescu avec sa pièce « Compte à rebours »), ou évoquent la tourmente de l’Histoire.

« Si on met les pieds sur scène, ce n’est pas un acte gratuit, je pense que le théâtre est un acte social important. Autant dans les pays occidentaux, il est plutôt négligé, autant dans ces pays là , il est souvent au premier plan des luttes », explique Dolmieu. Ainsi « les Loups » du tchétchène Moussa Akhmadov nous plonge dans la tourmente de 1944 et des déportations staliniennes, la « Dépouille du serpent » du grand dramaturge croate Slobodan Snajder, met en scène la lutte d’une femme pour garder son humanité face à la folie du viol utilisée comme arme de guerre.

Dans les cartons, de nombreux projets, dont l’édition d’une version bilingue romani/français de la pièce « Kosovo mon amour », celle de « Hôtel Europe » du macédonien Goran Stefanovski, une pièce du bosniaque Almir Imsirevic, un regard sur la Bosnie en guerre en forme d’exercices de style à la Queneau, mais aussi des textes grecs contemporains à l’occasion de la prochaine édition du festival Balkans-Transit à Caen ou encore la version bilingue de la pièce créée par la compagnie au Kosovo en 2003 avec de jeunes auteurs albanais et roms « Voyage en UNMIKISTAN ».

Catalogue, centre de ressources et d’informations sur le programme culturel du Pôle Europe orientale sur le site www.sildav.org.

contact@sildav.org
l’Espace d’un Instant - Pôle Europe orientale
Dominique Dolmieu et Céline Barcq
19 passage Fréquel
75020 PARIS
tel : 01 40 24 00 55
fax : 01 40 24 00 59