Boris Pahor

Le jardin des plantes

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Le vieux maître des lettres slovènes, né à Trieste en 1913, où il vit toujours, poursuit son travail subtil sur la mémoire générale du XXe siècle, notamment celle de la Seconde Guerre mondiale et des camps, et celle du peuple slovène, particulièrement des Slovènes de la région de Trieste, victimes du fascisme italien et d’un long oubli.

Le héros de ce dernier roman traduit en français ressemble par certains aspects à un double de l’auteur. Igor Sevken, écrivain slovène d’une soixantaine d’années, partage son existence entre Trieste et Duino, Devin en slovène. Dans ses écrits, il se bat pour faire reconnaître la langue et la littérature slovènes comme des éléments à part entière de la culture et de l’histoire italiennes. Il effectue régulièrement de courts séjours à Paris afin d’y retrouver Lucie Huet, une jeune femme d’une trentaine d’années. Ils se sont connus autour d’un texte écrit par Igor Sevken sur l’expérience qui a été la sienne dans les camps de la mort, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ces rencontres amoureuses, à la fois sensibles et intellectuelles, sont celles de deux êtres que l’existence a meurtris. En effet, si Igor Sevken a livré le récit de ce qu’il a vécu en déportation, Lucie, de son côté, reste à jamais marquée par la relation incestueuse à laquelle son père l’a contrainte autrefois. C’est grâce à leur amour que Lucie trouve, peu à peu, l’apaisement et l’épanouissement de son corps de jeune femme.

Cependant, ressentie vivement par elle comme un obstacle à leur amour, leur différence d’âge s’impose bientôt comme un thème récurrent, au point de brouiller parfois la tendre atmosphère de leurs rendez-vous. En lisant ce roman, on pense au magnifique Au-delà du fleuve et sous les arbres d’Hemingway, d’ailleurs évoqué.

Une fois de plus, Boris Pahor aborde les grands thèmes de la littérature, l’amour, le temps et l’histoire. Il le fait de cette voix si personnelle que les lecteurs ont appris, au fil de son oeuvre, à reconnaître entre toutes : douce et tendre quand il parle des relations humaines, lucide et rageuse quand il évoque les combats de l’histoire. C’est cette capacité à juxtaposer ces deux registres sans en renier aucun qu’on retrouve ici de façon magistrale.