Lynchage médiatique

Grèce : les médias contre le gouvernement Syriza

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Les grands médias grecs ont déclaré la guerre au gouvernement Syriza, inventant « scandale » sur « scandale ». Ces médias appartiennent tous à des grands groupes économiques qui les utilisent comme des moyens de pression et se préoccupent bien peu de l’information. L’analyse de Dimosthenis Papadatos.

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Propos recueillis par Pavlos Kapantais

Dimosthenis Papadatos est politologue, membre du Comité central de Syriza, et rédacteur en chef du magazine quotidien du Red Notebook.

Le Courrier des Balkans (CdB) :Comment jugez-vous la couverture médiatique de Syriza en Grèce depuis son arrivée au pouvoir ?

Dimosthenis Papadatos (D.P.) : Jamais un gouvernement grec n’a eu en face de lui une couverture médiatique aussi hostile, dès son arrivée au pouvoir. Au-delà de ça, il faut comprendre qu’en Grèce, depuis 25 ans, les propriétaires des grandes chaines de télévision comme ceux des grands titres de presse écrite sont des hommes d’affaires, également présents dans la construction, les grands chantiers, le transport maritime, etc. Il s’agit donc de personnes « intéressées », mais dont l’information demeure le dernier des soucis. Les médias ne les intéressent qu’en tant que moyens de pression contre n’importe quel gouvernement, pour mieux pouvoir faire affaires…


Cet article est publié dans le cadre du projet Press and Media Freedom, dont le Courrier des Balkans est partenaire.


CdB : Il n’y a même pas eu de mini-période de grâce les premiers temps du gouvernement ?

D.P. : Si, et ce fut assez drôle. Ta Nea, par exemple, les premiers jours du gouvernement, a même changé la couleur de sa bordure la faisant passer du bleu au rouge (!) pour marquer son « soutien » au nouveau gouvernement.. Mais comme ils ont vite compris que le gouvernement n’allait pas leur faire de faveurs pour s’assurer de leur soutien et continuer à jouer la partition classique de la collusion entre gouvernants et grands médias qui a toujours été la norme jusqu’ici, ils sont très vite montés au créneau contre quasiment toutes les actions du gouvernement.

CdB : De manière générale, qu’est-ce qui « coince » entre les grands groupes médiatiques et le gouvernement ?

D.P. : Tour d’abord, le gouvernement a mis en œuvre la réouverture de l’ERT, la télévision publique grecque fermée du jour au lendemain par le gouvernement Samaras en juin 2013. Deuxièmement, le gouvernement compte faire payer à toutes les chaines de télévision des droits pour l’utilisation des fréquences publiques. Les chaines privées qui fonctionnaient depuis le début des années 1990 sans licence tout en utilisant les fréquences publiques se sont fait des milliards sur le dos de l’État. Bien évidemment, ceci est très loin de plaire aux propriétaires des grands groupes médiatiques, et c’est pourquoi on assiste désormais à une guerre sale et sans pitié contre le gouvernement dans les médias.

CdB : Les attaques les plus violentes concernent les « scandales » impliquant des ministres.

D.P. : Tout à fait. Le premier de ces « scandale » concerne le ministre de la Réforme administrative, George Katrougalos. Du temps où il exerçait son métier d’avocat, l’actuel ministre représentait toute une série de fonctionnaires qui ont perdu leur emploi à cause des mesures d’austérité. Le quotidien allemand Bild l’a accusé de conflit d’intérêts, mais non seulement il n’a plus rien à voir avec son ancien cabinet d’avocats depuis mai 2014, quand il a été élu député européen, mais surtout, il ne fait qu’appliquer le programme électoral sur lequel le gouvernement a été élu. Or, tandis que Bild a du s’excuser sous la menace d’un procès en diffamation que le ministre était sûr de gagner, certains médias grecs continuent de parler de scandale !

CdB : Autre « affaire » dénoncée par certains médias, une série de nominations présentées comme des cas de népotisme.

D.P. : Oui, et c’est ridicule. Par exemple, Tassia Christodoulopoulou a été nommé ministre de la Politique migratoire. Elle milite pour les droits des immigrés depuis des décennies. Par ailleurs, son mari, Thodoris Dritsas est un fin connaisseur de la marine marchande, et il est présent depuis des décennies dans tous les mouvements sociaux et syndicaux du port du Pirée. Il a été donc nommé ministre de la Marine marchande. Il se fait que ces deux personnes sont mariées, mais certains veulent y voir un problème.

Le gouvernement conserve non seulement une cote de popularité immense, et sa légitimité va bien au-delà de l’électorat de gauche

Cdb : Si toutes ses attaques ne tiennent pas la route, à quelle nécessité répondent-elles ?

D.P. : Le but de toutes ses attaques est en fait de créer l’impression que « les politiques sont tous les mêmes ». Nouvelle Démocratie, n’ayant aucun argument politique pour contrer Syriza, use toute son influence pour que Syriza perde son avantage moral dans l’opinion publique. Pourtant, le gouvernement conserve non seulement une cote de popularité immense, et sa légitimité va bien au-delà de l’électorat de gauche. Nouvelle démocratie essaie donc de salir son image... Malheureusement, ce jeu est tellement coutumier des médias grecs que l’opération est, somme toute, assez facile et la recette fort simple : au lieu d’analyser et de contredire un gouvernement sur le terrain politique, ils commencent a s’attaquer a ceux qui les dérangent sur un terrain « moral », à tort ou à raison… Cela permet ensuite aux médias non seulement d’influencer la population par des informations vraies ou fausses, mais aussi de s’ériger en juges impartiaux de la moralité publique.

Notre politique est en fait la seule réaliste pour mener le projet européen à bon port

CdB : Comment jugez-vous l’attitude européenne envers le gouvernement grec ?

D.P. : Ce que les dirigeants européens essaient de faire avec Syriza est clair : on le met en quarantaine pour éviter que le « virus » se propage dans le reste de l’Europe. Sur la scène européenne, le gouvernement grec doit être écrasé et, à l’intérieur de la Grèce, la gauche doit être ridiculisée. Les autorités en place en Europe voient comme un ennemi quiconque veut modifier ne serait-ce que d’un iota les politiques d’austérité. Mais nous ne céderons pas. Pour le moment, le gouvernement grec est donc, par conséquent, contraint de trouver un chemin par lui-même, un chemin qui n’existe pas encore. Pour ce faire, il essaie de jouer avec les infimes divergences d’opinion qui existe au sein de l’Europe, au sein de la Commission, entre la BCE et la Commission, entre les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates, entre le bloc de la stabilité, c’est à dire l’Allemagne et ses alliés, et les pays qui semblent vouloir s’en détacher. Notre politique est en fait la seule réaliste pour mener le projet européen à bon port, au moment même où le rôle géopolitique de l’Europe est en train de s’affaiblir au niveau mondial. Mais au final une chose est claire : si à un moment ou un autre le gouvernement doit choisir entre payer les salariés et les retraites ou bien payer ses créanciers, le choix est déjà fait : l’argent ira au peuple…


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.