Blog • La Roumanie, terre d’asile ?

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Une fois de plus, la Roumanie s’en sort à peu près bien. Aux fanfaronnades de l’ancien Président Traian Băsescu appelant à la fermeture immédiate des frontières face aux réfugiés qui « ne sont pas un problème de la Roumanie mais des dirigeants de l’Europe occidentale qui n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes », ont suivi de près les déclarations rassurantes du Premier ministre Victor Ponta annonçant que la Roumanie va bien accueillir 1705 personnes, décision confirmée par le Président Klaus Iohannis.

Jeunes Roumains en Allemagne
© Deutsche Welle

Malgré cela, les effets du traitement nauséabond de la question par la plupart des médias roumains ne sauraient être perdus de vue et, dans ce pays, les médias c’est avant tout la télévision roumaine. Elle est gratuite, pour l’essentiel, car les canaux payants transmettent des matches de foot, des dessins animés, des programmes culturels, des films. La politique c’est gratuit. Puis il y a les journaux dans les kiosques mais ils sont chers par rapport au salaire moyen et assez « maigres » côté contenu : Adevărul, România liberă, etc., sont vite lus, pas de comparaison avec les titres de la presse écrite nationale en France mais aussi en Pologne par exemple. Tant les tirages des périodiques que la part du contenu rédactionnel proposé ont beaucoup diminué par rapport aux premières années qui ont suivi la chute de Ceauşescu. Assez nombreux sont en revanche les lecteurs qui en consultent la version numérique. Les « branchés » sont nombreux de nos jours et ont droit à un assez large éventail de sites d’information. Inutile de préciser que ce ne sont pas les plus fiables qui sont les plus suivis.

La place accordée à l’information internationale est très réduite, ce qui pose un problème autrement épineux. Qui plus est, son traitement est du même ordre que celui de la politique interne, c’est-à-dire axé sur le fait divers. Enfin, dans la plupart des cas, les informations sur l’étranger sont en rapport avec la Roumanie : cela va de l’intérêt que tel événement peut éventuellement représenter pour la Roumanie aux exploits des Roumains aux quatre coins du monde. C’est dire les limites de la vision que se font tant de Roumains du monde actuel au-delà des frontières de leur pays tel qu’il lui est présenté par les médias. Certes, les exceptions ne manquent pas, les gens circulent de plus en plus, mais ces limites concernent également bien des personnes d’un niveau d’éducation assez élevé et qui sont a priori ouvertes sur l’extérieur. Autant dire que le provincialisme en matière d’information (et de politique) internationale est plutôt la règle dans ce pays.

En matière d’ignominie et de bêtise, le traitement par les médias en Roumanie des problèmes entraînés par le passage par la Grèce, la République de Macédoine, la Serbie et la Hongrie (mais pas par la Roumanie) des demandeurs d’asile du Proche Orient ces dernières semaines nous a fourni un nouvel exemple édifiant.

Dan Ionescu : Ne serait-il pas plus simple de les fusiller tous ?

La réaction de Dan Ionescu postée le 1er septembre sur son blog hébergé par Adevărul sous le titre « Ne serait-il pas plus simple de les fusiller tous ? », dont nous proposons la traduction des principaux passages, permet de se faire une idée plus précise de la situation.

« La situation est assez claire : les Russes avec les musulmans fondamentalistes du Daesh ont mis au point un complot qui va faire s’écrouler l’Union européenne comme un château de cartes. Les Américains, grands amateurs d’antiquités et de classicisme, leur donnent un coup de main en prenant comme modèle l’Empire romain. Tout cela est mis sur le compte des exagérations du libéralisme et des tendances en faveur du politiquement correct de la politique européenne. N’ayant aucun doute sur une telle théorie, il ne nous reste qu’à nous demander ce que nous pouvons faire en bons Européens que nous sommes. Quelles seraient les contre-mesures efficaces que nous pouvons prendre afin que le plan diabolique conspirationniste mondial ne nous balaie pas des manuels d’histoire ? Je dirais que c’est très simple : nous fermons nos frontières, nous mettons fin à toutes ces bêtises du politiquement correct qui nous explique comment nous comporter et penser, nous laissons de côté pour une certaine période - le temps de la crise, puis on verra - les libertés et la démocratie, et nous pointons les canons sur les immigrants. Les canons, c’est un peu dur, mais comment faire le tri parmi ces dizaines de milliers d’hommes désespérés, affamés et sans papiers ? Et, pour ne pas risquer d’être contaminé par eux, on élimine d’emblée le danger en les liquidant : pan ! pan ! Pourquoi tant de bavardage ? Vous ne voyez pas les têtes qu’ils ont ? Et qu’ils ont des portables, et qu’ils veulent détruire l’Europe ? Ce serait même amusant si ce n’était pas dramatique.

Tiens, mon voisin...

Le niveau du discours public est tombé dans des profondeurs inimaginables. Des hommes qui semblaient sains d’esprit se comportent comme des brutes sociales et demandent l’extermination de certains immigrants, ils entrent dans une sorte de transe qui me rappelle certaines perplexités que j’ai ressenties lors des cours d’histoire : comment les hommes ont-ils été capables de commettre des atrocités aussi inexplicables au siècle dernier ? Tiens, mon voisin, celui avec lequel je pourrais des fois sortir boire une bière, il n’a aucun sursaut de conscience quand il parle du sort de dizaines de milliers de personnes avec lesquelles il n’est jamais entré en contact. Où, quand et comment est-il devenu acceptable de t’exprimer en public comme un délirant mystique, un faible d’esprit aux tendances criminelles et qui incite à des faits abominables. C’est cela que signifie le fait de lancer des théories conspirationnistes démentes, sans aucune preuve, qui prétendent que les Syriens et autres immigrants font partie d’un complot qui veut détruire la civilisation européenne. Plus grave, même parmi nous, certaines personnes respectables lancent aussi de telles théories. »

Et les Roumains arrivés ces dernières années en Occident ?

Les théories conspirationnistes ne sont cependant qu’un aspect des manifestations hostiles à ceux qui fuient les zones de conflit du Proche Orient et la misère. Il y a aussi les mesquineries qui en disent long sur l’état d’esprit entretenu pas les médias. Voici à titre d’exemple la Une que l’on peut lire sur Ia Toile de plusieurs éditions récentes d’Adevărul, le même journal qui publie le blog de Dan Ionescu :

« La crise des immigrants nous aide-t-elle pour adhérer à Schengen ? » (le 4 septembre) « La gare de Keleti, images d’une Europe sous le siège (le 3 septembre) « La vague des réfugiés a ravagé une ville de frontière en Macédoine » (le 31 août) « La crise de l’immigration, un épisode d’une guerre atypique » (le 29 août).

Parmi les « personnes respectables » citées par Dan Ionescu figure Sanda Pralog, fraîchement nommée conseillère d’Etat au Département pour les relations avec les Roumains d’au-delà des frontières auprès de la présidence roumaine. Il serait intéressant de savoir ce que représentent à ses yeux ces 2 millions sinon plus de Roumains qui ont quitté la Roumanie depuis la chute du communisme et qui travaillent (ou non) en Italie, Espagne, France, Allemagne ou Portugal ? Ne le sachant pas, osons une réponse réaliste : un gagne-pain !

Décidément, la Roumanie, terre d’asile, ce n’est pas pour demain.