Blog • Il y a 50 ans, la bombe L’Archipel du goulag

|

L’archipel du Goulag, cinquante ans après (1973-2023), Alexandre Soljenitsyne, sous la direction de Georges Nivat, morceaux choisis, édition Fayard

L’archipel du Goulag, la fameuse œuvre monumentale d’Alexandre Soljenitsyne sur l’univers pénitentiaire soviétique, a 50 ans, et les Editeurs réunis, le Centre culturel Alexandre Soljenitsyne, ont profité de l’occasion pour rappeler comment cette « bombe » littéraire et politique, née dans les locaux mêmes de cette petite librairie de la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, a ébranlé l’URSS en profondeur et résonne toujours aujourd’hui.

« Tant qu’il n’y aura pas de Nuremberg du Goulag, le Goulag a été, est et sera », a lancé lors d’une réunion publique l’ancien ministre et connaisseur de la Russie Hervé Mariton, dans une allusion aux développements actuels de la Russie et à la guerre en Ukraine.

L’Archipel du Goulag éclaire « encore aujourd’hui les infamies que d’autres régimes qui lui ont succédé font courir à la surface d’un monde transformé, mais où les bagnes sont toujours là, et les prisonniers politiques de retour en Russie », écrit l’universitaire Georges Nivat qui présente des morceaux choisis du travail colossal d’Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) pour cette édition de L’Archipel..., cinquante ans après" chez Fayard.

28 décembre 1973. C’est ce jour-là que l’Archipel paraît en exclusivité mondiale et en russe aux éditions YMCA-Press, fondées en 1925 par des exilés russes à Paris. C’était le choix d’Alexandre Soljenitsyne lui-même qui s’était lié d’amitié avec son directeur littéraire, Nikita Struve. YMCA-Press avait déjà publié plusieurs ouvrages de l’écrivain soviétique, comme La Maison de Matriona, le Pavillon des cancéreux ou Le Premier cercle.

Narguer les autorités

Avec son odeur si particulière de vieilles éditions russes, la librairie au charme profond, appréciée de fidèles visiteurs, rappelle de nombreuses déambulations dans les librairies moscovites d’autrefois.

Une petite exposition à l’étage, que sa modestie rend d’autant plus touchante (ouverte jusqu’au 30 avril 2024), relate comment Alexandre Soljetnitsyne a veillé de près à la publication de L’Archipel avec la minutie et l’invraisemblable puissance de travail qui le caractérisaient. Dans un message adressé à Nikita Struve, il précise que cela lui « conviendrait parfaitement que la BBC donne l’information (sur la parution de l’Archipel) en russe, surtout à 17H45, quand j’écoute habituellement ».
Il demande aussi que trois exemplaires du livre lui soient adressés par colis postal et à son nom « pour narguer les autorités ».

Alexandre Soljenitsyne avait établi des liens avec YMCA-Press dès la deuxième moitié des années soixante. Des détails très émouvants évoquent l’entreprise considérable que fut la rédaction de l’Archipel, rendue possible grâce à la mobilisation et au courage de tous ces anonymes qu’Alexandre Soljenitsyne appelait « les invisibles » et auxquels il a rendu hommage dans un livre du même nom.

Ne pas vivre dans le mensonge

Plusieurs citations célèbres de l’écrivain rappellent la dimension spirituelle et morale qui l’habitait, entièrement tendu dans sa tâche. « Ne pas vivre dans le mensonge ». Pour lui, « le cri d’un seul individu suffit comme l’écho qui résonne dans la montagne et provoque des avalanches ».

C’est une « œuvre cathédrale », estime Georges Nivat qui confie avoir lu « trois fois » l’Archipel, s’enchantant d’y trouver toujours de nouvelles merveilles, d’autres pistes de recherches. Il recense sept niveaux de lecture : poétique, sarcastique, violent, mystique, etc.

Tout comme pour Primo Levi et Elie Wiesel, L’Archipel conduit à « une réflexion.
Qu’est-ce qui fait qu’on est un homme et quand on cesse de l’être ? Il nous regarde et nous demande ce que nous en pensons. Il ne fournit pas de réponses. Il nous fournit une question », poursuit le spécialiste de la Russie.

Bientôt traduit en français puis dans le monde entier, L’Archipel du Goulag a connu un retentissement international énorme. Certains considèrent même qu’il a contribué à ébranler de façon fatale le système soviétique et à anéantir en tout cas pour de bon les croyances de ceux et celles qui continuaient de voir un modèle à l’Est.

Les autorités soviétiques le déchoient de sa nationalité soviétique et l’expulsent en 1974, quelques mois après la parution du livre. Il vivra vingt ans en exil, essentiellement dans le Vermont, aux Etats-Unis, convaincu qu’il reviendrait vivant dans son pays, ce qui relevait de l’illusion à l’époque.

En quittant la librairie de la rue de la montagne Sainte-Geneviève, on remarque, le coeur serré, sur la porte d’entrée cette petite affiche dénonçant l’invasion de la Russie en Ukraine, accompagnée de l’extrait de cette lettre de Soljenitsyne, datée d’avril 1981, où il semblait pressentir, une fois de plus incroyablement prémonitoire, les conflits à venir.

« Dans le sentiment de mon coeur, il n’y a pas de place pour un conflit russo-ukrainien et si, Dieu nous en préserve, nous arrivons à cette extrémité, je pense que jamais, en aucune circonstance, je n’irai moi-même participer à un affrontement russo-ukrainien, ni ne laisserai mes fils y prendre part, quels que soient les efforts déployés par des têtes démentes pour nous y entraîner ».