Grèce : Migratory Birds, le journal qui donne la parole aux réfugiés

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Depuis le début de la crise des réfugiés en 2015, une ONG d’Athènes a créé un journal pour les exilés où ils peuvent s’exprimer librement dans leur langue natale. Les impacts positifs de ce projet sont nombreux, mais trouver des fonds pour assurer sa pérennité reste difficile.

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Par Romain Chauvet

Fridoon
© Romain Chauvet / CdB

« Les médias ne parlent pas vraiment de la vie des réfugiés ou des défis auxquels nous sommes confrontés. » Tel est le constat de Fridoon Joinda, un réfugié afghan arrivé à Lesbos, en Grèce, durant l’été de 2016. Comme d’autres exilés, il s’implique au sein du projet Migratory Birds, un journal créé par l’ONG Network for Children’s Rights. Fridoon y écrit différents articles, un véritable espace de liberté d’expression pour lui.

« Nous pouvons avoir une voix avec ce journal. Je peux exprimer mes émotions ou mes pensées par rapport à la situation des réfugiés, par exemple. C’est un bon moyen de toucher les gens et de les informer de notre réalité », explique celui qui était journaliste dans son pays.

© Romain Chauvet / CdB

L’idée de ce journal remonte à 2015, au début de ce que l’on a qualifié de « crise des réfugiés ». L’ONG Network for Children’s Rights rencontre alors des jeunes réfugiées afghanes qui cherchaient une façon de s’exprimer, alors qu’elles déploraient la couverture médiatique entourant les réfugiés. « Elles n’étaient pas satisfaites de leur représentation dans les médias, alors nous les avons aidées à écrire et raconter leurs histoires », se rappelle Panos Christodoulou, directeur de l’ONG.

Depuis 2016, ce journal papier est distribué plusieurs fois par an et a un site Internet. On peut y lire de nombreux articles dans différentes langues, du farsi à l’arabe, en passant par l’ourdou ou parfois même le français. Dans l’édition papier, que l’on peut notamment retrouver en supplément du quotidien grec Efsyn, les articles sont publiés dans la langue d’origine de l’auteur, suivis d’une traduction en anglais.

Les articles sont variés et le projet s’est élargi au fil des ans, en incluant désormais des immigrants de plusieurs générations, ainsi que des jeunes Grecs. Tous sont âgés de 14 à 23 ans et sont bénévoles. « Nous facilitons le processus d’intégration des réfugiés dans la société, notamment avec cette collaboration entre ces différentes personnes. Cela permet d’éviter des réactions négatives et de lutter contre la xénophobie », estime Panos Christodoulou.

Un projet menacé ?

Le financement reste un problème majeur, posant la question de la pérennité du journal Migratory Birds. Seule l’Agence des Nations-unies pour les réfugiés (HCR) soutient ce projet cette année, ce qui rend l’avenir incertain. « Nous essayons de trouver plus de soutiens, mais ça reste toujours un défi, comme pour bien d’autres projets. Mais je pense que pour Migratory Birds, c’est encore plus difficile, car beaucoup de donneurs ne veulent pas être associés à un projet pour les réfugiés », déplore Panos Christodoulou.

Panos Christodoulou.
© Romain Chauvet / CdB

L’invasion russe en Ukraine rend la recherche de financements encore un peu plus compliquée, alors que beaucoup d’aides sont dorénavant dirigées vers les réfugiés ukrainiens. Malgré les défis, le directeur de l’ONG veut surtout se concentrer sur le positif, soit les nombreux impacts de ce projet sur les réfugiés qui s’y impliquent. « Nous avons eu des jeunes qui au début ne savaient pas comment écrire leur prénom. Avec ce projet, ils ont gagné en confiance. Ils se sont sentis inclus et compris. C’est essentiel de leur donner un espace pour qu’ils puissent s’exprimer. »

Le journal Migratory Birds veut aussi pallier la sous-représentation et une couverture parfois stéréotypée des réfugiés dans les médias. Un rapport du Conseil de l’Europe avait d’ailleurs conclu en 2017 que « les réfugiés et les migrants ont des occasions limitées de parler directement de leurs expériences et de leurs souffrances. Le plus souvent, ils sont évoqués et représentés dans les images comme des acteurs silencieux et des victimes ».

Pour Fridoon, écrire des articles est aussi un moyen de dénoncer la situation des réfugiés en Grèce et surtout, dit-il, les conditions dans les camps, notamment sur les îles grecques. Mais même s’il avance et poursuit des études à Athènes, les souvenirs de son parcours et de sa traversée en bateau de la Turquie vers la Grèce ne peuvent pas s’effacer. « Tout ce processus a été très dur. Je travaille tellement fort, mais même si j’essaie de me détacher de cette réalité et d’être rationnel émotionnellement, je ne peux juste pas, c’est juste triste. »

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.