Gojko Subotic

Terre sacrée du Kosovo. L’art médiéval du Kosovo

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Ce livre, heureusement réédité par les éditions Thalia, représente sans aucun doute l’approche la plus complète et la plus sérieuse du patrimoine médiéval du Kosovo. Il combine la splendeur d’un livre d’art au sérieux d’une étude historique et esthétique.

Par Jean-Arnault Dérens

Sans négliger les centaines de vestiges laissés au Kosovo par les siècles, le livre s’attarde tout particulièrement sur quelques monuments emblématiques : l’ermitage de Saint-Pierre de Korisa, près de Prizren, pour les commencements ; l’église de Hvosno, celle de la Bogorodica Ljevisa de Prizren, et les Saints-Apôtres de Pec.

Pour « l’épanouissement » du XIVe siècle, il étudie notamment les grands monastères de Visoki Decani, Gracanica, le patriarcat de Pec, et le monastère des Saints-Archanges de Prizren, sans oublier d’autres réalisations, comme celui de Banjska.

Outre l’étude des plus grandes œuvres médiévales serbes, cet ouvrage propose un index lexicologique des autres monuments religieux du Kosovo et de Metohija.

Les magnifiques photographies en couleurs sont le résultat d’une campagne spécifique menée par Nikola Dudic et Dragomir Todorovic. Le livre compte 87 planches en couleurs. Elles sont complétées par de nombreux dessins et plans en noir et blanc, réalisés par Jovan Stankovic et Branimir Strugar.

À la lecture de ce livre, il est bien sûr difficile d’oublier que les Saints-Archanges ou la Bogorodica Ljevisa ont encore été incendiés lors des émeutes de mars 2004. Ces chefs-d’oeuvre de l’art européen et mondial ont été gravement endommagés et sont toujours en grand péril. On en vient même à regretter que le livre ne fasse pas une part plus grande à des églises et des monastères plus modestes, mais tout aussi anciens, et désormais à jamais perdus, comme les monastères de Musutiste ou de Zociste.

Toutes les guerres balkaniques ont été des guerres menées contre le patrimoine, car ces guerres s’attaquaient à la mémoire, essayant de faire disparaître toutes les traces de la présence historique du peuple perçu comme « ennemi ». Dans ces processus, le nationalisme serbe a de lourdes responsabilités : que l’on pense au siège de Sarajevo et aux innombrables mosquées détruites en Bosnie comme au Kosovo. Les Croates, qui ont bombardé le fameux pont de Mostar, ne sont pas en reste. Au Kosovo, c’est cependant le patrimoine serbe qui a le plus souffert.

Les responsables des destructions sont connus : ce sont à la fois les extrémistes albanais et les forces internationales présentes depuis 1999, coupables de « non-assistance à patrimoine en danger », notamment lors des événements de mars 2004. Aux violences physiques (plus de 120 sanctuaires orthodoxes serbes ont été détruits, pillés ou vandalisés) s’ajoutent une grave violence idéologique. Ainsi, lorsque certains théoriciens prétendent que les monastères du Kosovo ne seraient pas serbes ou « auraient été construits sur les ruines de monastères catholiques (albanais) plus anciens ».

Cette guerre de la mémoire, qui ne repose sur aucune donnée archéologique, hypothèque lourdement l’avenir du Kosovo. Il faut certes reconnaître que tous les vestiges archéologiques, historiques et artistiques du Kosovo - depuis les ruines d’Ulpiana jusqu’au patrimoine serbe et au patrimoine ottoman - représentent la richesse et l’héritage commun à tous les peuples qui vivent au Kosovo. Mais cela n’implique pas, bien au contraire, qu’il faille nier l’identité de ce patrimoine, en l’occurrence celle du patrimoine serbe.

Ce n’est qu’au prix de cette double reconnaissance, la reconnaissance du commun et du spécifique, que tous les peuples du Kosovo pourront se réconcilier avec leur passé, et donc envisager leur avenir.

Le Kosovo est non seulement un lieu central et majeur de l’histoire et de la spiritualité serbe - le reconnaître n’ôte rien aux droits des Albanais qui sont aujourd’hui très largement majoritaires sur ce territoire -, c’est aussi un point d’ancrage et de référence majeur de la culture européenne.

Quand des soldats allemands, français ou britanniques ont failli à leur devoir de protection, c’est une part essentielle du patrimoine européen qu’ils ont laissé brûler.

Puisse ce livre contribuer à rappeler l’extraordinaire richesse historique et artistique de la terre du Kosovo !