Andrzej Stasiuk

Sur la route de Babadag

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« J’aime ce bordel balkanique, hongrois, slovaque et polonais, cette merveilleuse pesanteur de la matière, ce sublime endormissement, ce je-m’en-foutisme face aux faits, cet esprit de suite dans la saoulerie à midi pile. »

Sur la route de Bahadag est un voyage à travers l’« Autre Europe » : en Pologne, Slovaquie, Slovénie, Albanie, Moldavie, Hongrie et Roumanie. Stasiuk parcourt cet espace par tous les moyens ; en train, en stop, en bateau, il cherche à saisir au plus près le rapport au monde des habitants de cette région. À la recherche d’indices, il scrute avec tendresse tout ce qui s’offre à son regard : paysages, lumière, animaux, odeurs, pièces de monnaie, photos... L’intensité de ses souvenirs et la chaleur de ses descriptions donnent au lecteur envie d’explorer à son tour cette Europe méconnue.

Extrait du livre

« La meilleure carte que je possède est la deux cents slovaque. Elle est si précise qu’une fois, grâce à elle, j’étais parvenu à m’extirper de l’immensité des champs de maïs au pied des monts Zemplén. Sur cette grande carte englobant le pays tout entier ont même été portés les sentiers de campagne. Elle est déchirée et effilochée. Par endroits, à travers l’image plane de la terre et des étendues d’eau, guère nombreuses par ici, transparaît le néant. Mais je l’emporte toujours avec moi bien qu’elle soit peu commode et prenne beaucoup de place. Cela fait un peu penser à de la magie car, après tout, je connais la route de Košice à Sátoraljaújhely pratiquement par coeur. Oui, mais je l’emporte parce que je suis attiré justement par sa désintégration, par sa destruction. Elle s’est d’abord élimée aux plis. Les coupures et les cassures ont formé un nouveau quadrillage, beaucoup plus net que celui, cartographique, délicatement apposé à l’aide de lignes bleu clair. Villes et villages cessent d’exister petit à petit, ils s’usent au fur et à mesure des pliages et des dépliages de la carte, au fur et à mesure des rangements dans un coin de la voiture ou dans le sac à dos. Michalovce disparaît, Stropkov disparaît, le néant troué atteint la banlieue de Uzhorod. Bientôt disparaîtra Humenné, s’élimera Vranov sur la Topla, se consumera Cigánd sur la Tisza. »