Blog • Pudding Théâtre : sortie publique à Podgorica

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Nous accueillons le public, une bonne trentaine de personnes, sous le pont du bar Karver. A nos côtés une jeune ado bilingue, toute fraîche, toute jolie, toute volontaire, qui assure la traduction en Monténégrin.

Explicatif du Pudding, de notre séjour de création en Balkanie, mais aussi du début du spectacle. Puisque dans ce format de secours face aux conditions météo déplorables, il est parfaitement impossible de montrer l’arrivée du camion, ni même le déploiement de frontière et encore moins la visite de notre pays imaginaire l’Oxméé.

Les comédiens arrivent, chacun portant à bout de bras leur objet-jauge éclairé ; qui une cage à oiseaux, qui un bidon d’eau, qui un jerrican… Le travail de Sylvain et de Christophe S. est très poétique, pertinent.

Nos spectateurs divisés en 7 jauges au milieu du bar extérieur se faufilent entre les tables. Les personnages les escortent jusqu’au parking sous le pont. Notre espace normalement plat, uni, est ici un espace d’escaliers, de détours, d’angles… J’essaie de visualiser : difficile. Mais les images sont belles, les comédiens généreux, le public curieux… c’est un bon début.

Les premières scènes commencent, elles ont un peu du mal à décoller. Il manque bien sûr l’énergie du public ; ce n’est pas très simple de faire monter la sauce pour 5 spectateurs alors que les scènes sont écrites pour 80 personnes !
L’intention de base doit encore être assimilée. Nous devons assumer le fait que les publics ne comprennent pas notre langue. Que les personnages ont préparés leur intervention à destination de ces gens-là, de cette nationalité-ci. Si on fait comme si la présence des spectateurs était spontanée, imprévue ; si on joue l’improvisation, si on triche à faire semblant de parler leur langue et ceux celle d’Oxméé… le système ne peut pas fonctionner. Laissons du temps au temps.

Les comédiens défendent leur morceau et passent en scène-chorus, chorégraphie à grande échelle servie par le collectif et vue par l’ensemble de nos publics. Dans la nouvelle version Rascalounienne, ça a bien évolué. Les mouvements ont du sens, ça raconte quelque chose. On est content du résultat. Content de cette complicité artistique.

Le public est à la fois déstabilisé, interrogatif, mais aussi très présent. Il se prête au jeu. Hoche la tête, sourit et escalade même de bon cœur le talus qui mène à la scénographie du personnage de Laurent ! On est, oui, vraiment, totalement, hors format !

Je pense aussi qu’on peut être plus intrépide théâtralement sur les dernières scènes intimes du plateau 1. Test avec le personnage de Charlotte. Aucune information à part l’image cachée ; le public lit le personnage dans son intention et plus du tout dans sa tchatch explicative. C’est peut-être périlleux mais ça constituera un vrai pont pour la suite.

Aux retours public à la fin de la présentation une dame me déstabilise. Elle demande si elle a bien compris : « Tout le spectacle est une fiction, sauf nos flash info projetés en XXL sur le bâti de la ville. Ces flashs disent la réalité, n’est ce pas ? Ils sont une sorte de message du Pudding pour dire « voyez l’état actuel du monde ! »
Je me demande comment elle pu lire une chose pareille ; et en même temps, oui- évidemment- tout est trop théâtralisé. Il nous faut retrouver l’état dans lequel on a pu être, nous, dans nos vies, face à l’actualité. Les regards qui s’échangent, l’incompréhension face aux images télévisées, les respirations qui s’accélèrent.

Nous montrons aussi le passage au plateau 2. Le coupage de notre espace par la frontière, le partage des jauges et le placement du public en bi-frontal. Les personnages de Sami et Lilia, en pivot de cette bascule commencent à être très forts. Le choeur de militaires aussi. En regardant Rascalou travailler, je me fais la remarque : à l’endroit où moi, je parle intention, où je raconte une histoire possible, lui parle positionnement de corps, d’avancée, de reculée. 2 langages pour un même résultat.

On tente aussi la proposition de coupage d’une jauge en 2, puis passage de la frontière avec notre personnage de trafiquant-passeur. C’est encore trop frais, mais c’est un module très intéressant pour le spectacle, pour notre manipulation publique. Pour donner à voir… la vie, la subtilité du destin, injustement arbitraire. Pourquoi, toi, tu es choisi, et pas ton voisin ? Quelquefois il n’y a aucune réponse.

On teste aussi, la transformation d’espace, imaginée par Christof, qui va nous amener à la révélation du personnage du trafiquant. Pour l’instant, nous n’avons que le début du commencement, mais ça va être beau, c’est sûr !

Encore beaucoup de questionnements, de précisions à trouver, de flash de mise en scène, de prise en compte dramaturgique… les sorties servent à ça ; s’interroger, se reposer des questions, en imaginer d’autres, sentir, ressentir, douter, avancer…

Après la discussion publique, toujours en 2 langues, après les au revoir à nos deux amis vidéastes Martz et Amel, qui pour la première fois nous prennent dans leurs bras, après le chargement des camions, après la première bière, Rascal fait ses retours. Il parle de corps, de maturité, d’hommes, de femmes, de détente, d’investissement. On est tous assis sur un muret en face de lui. On écoute. Il repart demain.