Constanţa, Roumanie

Blog • Solidarité avec les Tatars de Crimée, 71 ans après leur déportation par Staline

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Empêchés par les nouvelles autorités russes de la Crimée de se rendre à Simferopol pour les commémorations du 71 anniversaire de la déportation des Tatars de Crimée par Staline, les Tatars de Roumanie ont organisé plusieurs manifestations à Constanţa. Quelque 2 000 ont protesté devant le consulat de Russie samedi 16 mars.

« Le mufti de Crimée n’a plus le droit de nous contacter, ils sont tous effarouchés, ils vivent dans une atmosphère de terreur et de menace qui les empêchent de maintenir le contact avec nous », ont notamment déclaré les organisateurs, rapporte l’édition régionale d’Adevărul.Un autre rassemblement est prévu pour lundi 18 mai devant le consulat, fermé le week-end.

En effet, nombre des ancêtres des Tatars de la Dobroudja roumaine sont arrivés par vagues successives de Crimée après l’annexion de cette région par Catherine II en 1783 et les guerres russo-turques qui se sont succédé et les ont obligés de quitter leur terre natale. Longtemps, la Dobroudja elle-même, partagée de nos jours entre la Roumanie au nord et la Bulgarie au sud, a été considérée d’ailleurs comme une terre turco-tatare. Sa « roumanisation » et « bulgarisation » effectives commencent à la fin du XIXe siècle.http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/histoire-la-dobroudja-chasse-croise-roumano-bulgare-sur-fond-d-heritage-ottoman.html En Crimée, après les persécutions tzaristes, les Tatars restés sur place auront des épreuves autrement plus difficiles à surmonter en plein milieu du XXe siècle. Dans la nuit du 18 mai 1944 quelque 200 000 Tatars furent entassés dans des wagons à bestiaux et déportés en Asie centrale, en Ouzbékistan surtout, sous l’accusation de collaboration avec les nazis, ce qui accélérera la russification de la région, les traces de la présence tatare ayant été progressivement effacées. En 1967, un décret soviétique a annulé les accusations portées contre les Tatars de Crimée, et d’autres peuples. Cependant, ce n’est qu’après le démantèlement de l’URSS en 1991, que les Tatars auront le droit revenir en Crimée, partie intégrante de l’Ukraine depuis 1954. Environ 250 000 aujourd’hui, ils représentent 12 % de la population contre 1 % dans les années 1980 et 20 % en 1938. La prise de contrôle de la péninsule par les autorités russes l’année dernière s’est traduite sur le champ par des pressions et des exactions à l’encontre les responsables culturels, politiques et religieux tatars qui, contrairement à d’autres, ont refusé pour la plupart de quitter les lieux et de se soumettre aux exigences des nouvelles autorités.

Décidément, avec l’administration Poutine, on assiste à un « retour aux sources » pour le moins inquiétant, qu’il s’agisse de l’expansionnisme pratiqué au temps des tzars au nom de la protection des chrétiens soumis à l’Islam ottoman ou des mensonges d’Etat tout aussi farfelus que criminels qui ont ponctué l’époque communiste. La chasse aux « éléments hostiles » de ce peuple décrété naguère « hostile » est désormais ouverte, et les prétextes invoqués risquent d’être aussi excentriques et fallacieux qu’au temps de Staline. Pour éviter toute confusion, il faut donc rappeler que l’accusation collective de collaboration avec les nazis proférée contre les Tatars de Crimée relevait de la calomnie la plus grossière, ne serait-ce qu’en raison de la participation de tant de Tatars dans l’Armée rouge au cours de la guerre. A l’heure où les Ukrainiens aspirant à la démocratie sont traités d’héritiers des nazis, tout devient possible. C’est à Simferopol, justement, au lendemain de la prise de contrôle de la Crimée par Moscou, que fut arrêté Alexander Koltchenko, militant anarchiste et antifasciste ukrainien, sous l’accusation de… fascisme. Avec d’autres compagnons, qui seront arrêtés eux aussi sous des accusations similaires, il venait de participer à un meeting de protestation en solidarité avec les Tatars.

Les Tatars de Roumanie, après la chute du régime communiste en décembre 1989, avaient pris l’habitude de se rendre par centaines tous les ans à la commémoration de ce que certains appellent le génocide du 18 mai 1944. Depuis l’année dernière, ce n’est plus possible. « La Roumanie ne ferait jamais des abus comme ceux perpétrés par la Russie en Crimée. Ici les Tatars sont privilégiés », tel est le titre de l’article du quotidien roumain qui reprend d’ailleurs la déclaration d’un dirigeant de l’Union démocrate de Tatars turco-musulmans de Roumanie. En vérité, si cette prise de position solidaire des Tatares de Roumanie et du parti qui les représente est à saluer, il n’y a pas d’illusion à se faire, il n’y a pas grand-chose à attendre pour les Tatars de Crimée de la part des Etats de la région, à commencer par la Turquie mais aussi de la Roumanie peut-être à en juger par la sollicitude que semble manifester la presse roumaine pour les Tatars de Crimée. Seule l’avancée de la démocratie et la mobilisation internationale contre les injustices et les abus chaque fois qu’ils sont repérés peut permettre l’amorce d’une solution aux problèmes que soulèvent les Tatars en Crimée en raison de leur passé tragique, de leur présent précaire et des perspectives peu réjouissantes auxquelles ils sont confrontés.