Radu Anton Roman

Savoureuse Roumanie

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Si c’était un livre de cuisine, il révolutionnerait le genre. S’il avait vocation anthropologique, il aurait l’avantage d’être accessible aux néophytes. Si c’était un livre de voyage, il nous donnerait envie de prendre notre sac à dos pour aller déguster des sarmale arrosés d’une tsuica (eau de vie) dans le mystérieux Maramures, de traverser les Carpates de bergeries en bergeries et surtout de se faire inviter à une fête roumaine (n’importe laquelle : mariage, fête du printemps, baptême, repas de Pâques), mélange de plaisirs terrestres et de ferveur sacrée.

En fait, le très beau livre de Radu Anton Roman est un peu tout ça à la fois. Chaque recette (plus de 350) donne lieu à des anecdotes vécues ou à des épisodes de l’histoire roumaine, voire balkanique, le tout avec humour et fantaisie, car « ce livre cherche à vous séduire, la cuisine n’était en fait qu’un prétexte pour l’imprudent voyageur ».

On découvre alors que les vins roumains portent des noms de femmes (« feteasca », la jeune fille, « babeasca », la vieille), il existe là-bas « des crus archaïques bien antérieurs à ces siècles malheureux de guerres et de phylloxéra », un « véritable musée des valeurs perdues ». Sur ce territoire aux frontières incertaines et mouvantes, la cuisine porte la marque des nombreux envahisseurs : après les Daces et les Romains, vinrent les Tatars, les Hongrois, les Allemands, les Russes, les Grecs, les Turcs, etc. Et le résultat est une étonnante richesse de goût. Dans les campagnes et les villes, on prépare toutes sortes de borsch, moussakas, caviars d’aubergines, soupes (ciorba). Des plats les plus simples (les fameuses mamaliga, « polenta des bergers », au « goût de fumée et de faim ») aux ratatouilles et ragoûts les plus élaborées, mêmes les périodes de jeûne (très suivis selon la tradition orthodoxe) donnent lieu à l’élaboration de plats les plus étonnants.

Encore aujourd’hui, alors que presque la moitié des Roumains vit à la campagne, les produits et les rites alimentaires sont des liens vivants entre les individus et marquent toutes les étapes de la vie : pas de mariage sans « pain de noce » et au cimetière, on mangera les « Coliva pour les errants » (gâteaux de blé aux fruits). Dans certaines régions, on confectionne des poupées de fromage, vieux rite de fécondité. Quant aux fêtes de Pâques, elles sont l’occasion d’assaisonner l’agneau de multiples façons et chaque région possède sa gamme d’œufs peints.

Du coup, ne vous étonnez pas si, après la lecture du livre de Radu Roman, vous vous interrogez sur la composition de votre caddie Leclerc et regardez avec circonspection les packs de lait « aux normes européennes ». Et sans être réactionnaire et nostalgique, il n’est peut-être pas si malsain de se demander si l’uniformisation de nos assiettes soumises à la normalisation du goût et aux règlements sanitaires n’est pas en train de tuer définitivement la culture au quotidien. Faites donc votre sac, direction la Transylvanie. On en reparlera après.