Blog • Sarajevo, d’un monde à l’autre

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Sarajevo c’est vous, c’est nous, c’est eux. Se promener à Sarajevo c’est changer presqu’insensiblement de temps et d’espace. Leurs frontières permettent les échanges, et s’il n’est a priori pas question de circonscrire mais plutôt de définir, la période de transition qui débuta après la dernière guerre n’est pas terminée.

Sarajevo, le Pont Latin
© Common Wikipedia

Déjà vingt ans que furent signés les accords de Dayton mettant fin aux combats qui ravagèrent la Bosnie-Herzégovine. Après la guerre, la grande majorité des Serbes ont passé la frontière pour se retrouver en République serbe, l’autre région, limitrophe de Sarajevo, d’un État bicéphale qui ne dit pas son nom. Mais la ville raconte encore que les peuples et les cultures s’y sont souvent retrouvés, sans fixer avec certitude leur prochain rendez-vous. La capitale bosniaque fut l’un des symboles des guerres balkaniques et ses murs portent toujours les stigmates de la guerre. Traces de balles et d’obus comme bâtiments en ruines côtoient murs fraîchement refaits et chaussée en cours de réfection près de la fontaine Sebilj. La pierre force à voir les marques de cette dramatique fin de XXe siècle, mais laisse aussi percevoir, au travers de la coexistence des mosquées, des églises et des synagogues, l’écho dans le temps d’un équilibre entre communautés. Lieux de cultes et architecture témoignent de la présence passée des empires comme de la marque laissée par les mouvements de population. Car Sarajevo est multiple et prouve que l’on peut être un et plusieurs. On passe d’une rue à l’autre de l’Empire ottoman à l’Empire austro-hongrois, des cafés turcs aux cafés viennois. D’un quartier à l’autre cloches et muezzins semblent se répondre. Et s’il en reste aujourd’hui relativement peu, les superbes synagogues de Sarajevo rappellent que, dès le XVIe siècle, des Juifs purent y trouver asile. Chassés d’Andalousie, la Sarajevo ottomane leur offrit le droit de vivre leur judéité en paix. La présence de tous les grands monothéismes lui valut ainsi le nom de Jérusalem de l’Est. Sur le vieux continent, Sarajevo est à la croisée des mondes, presqu’à égale distance de Rome, Vienne, Athènes et Istanbul. Hasard de la géographie ou explication topographique de son histoire ?

Cette diversité s’offre également au niveau linguistique. Ici l’alphabet cyrillique partage l’espace avec le latin. On fait de la place aux deux mais on tient à bien les distinguer, à l’écrit comme à l’oral. Un Serbe parle le serbe, un Croate le croate, et un Bosniaque le bosniaque. Les différences sont infimes mais le fait met en exergue l’importance qu’on attache à être soi. Le rapport à la langue se double du rapport à l’histoire. Car il est des sujets sur lesquels ceux qui ont connu la guerre ne se retrouvent pas, et dont ceux qui ne l’ont pas connue semblent se méfier. Preuve en est, le conflit qui ensanglanta la région n’y est toujours pas enseigné aux jeunes générations, signe de l’impossibilité de parvenir à un consensus. De simples habitants vous racontent parfois spontanément le siège de la ville, la faim, les difficultés à nourrir ses enfants et le sentiment d’être enfermé, les rumeurs sur les cadavres qui disparaissaient... avant de vous impressionner par leur connaissance de la géographie des grands clubs de foot européens ! Car on finit toujours une conversation par une note positive ou un sourire.

À l’image des nombreux cimetières dont on a une vision d’ensemble dès lors qu’on gagne les hauteurs de la ville, Sarajevo vit paisiblement avec ses morts, à condition qu’on ne les remue pas trop. On se préoccupe d’ailleurs du statu quo au-delà même des frontières du pays. Véhicules de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (l’OSCE vise à favoriser le dialogue et la négociation entre l’Est et l’Ouest) et petits groupes en treillis vont et viennent en ville. Grâce à cet équilibre que l’on surveille en permanence, des flots continus de touristes peuvent y déambuler, curieux. Le calme retrouvé en ce début de XXIe siècle permet à cette économie de se mouvoir timidement aux portes de l’Union européenne et témoigne d’une volonté commune d’aller de l’avant.

Car c’est bien de ça qu’il s’agit à Sarajevo, avancer, d’un monde à l’autre, ensemble mais sans trop regarder derrière soi.