Blog • Réfugiés : l’accord de la honte avec la Turquie signe la mort de l’Union européenne

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En passant un pacte avec la Turquie, l’Union européenne a bafoué le droit international, renoncé aux principes qu’elle prétend défendre. Et sûrement signé son propre arrêt de mort.

© Simon Rico / CdB

On a souvent dit que l’Union européenne avait manqué son entrée dans le monde durant la guerre de Bosnie-Herzégovine, il y a un petit quart de siècle, faisant publiquement étalage de ses divisions, de sa pusillanimité. Pourtant, lorsque les guerres des Balkans ont pris fin, au tournant du siècle, cette Union a cru son heure venue : non seulement, elle allait assurer la reconstruction de la région, mais elle représentait « la seule perspective réaliste et crédible ». Depuis, les promesses d’élargissement se sont enlisées dans les sables mouvants d’une bureaucratie bruxelloise médiocre, hypocrite et corrompue, tandis que l’Europe a encore la prétention de se croire garante d’un projet politique tout en donnant blanc-seing sur blanc-seing aux autocrates locaux, les Milo Đukanović, Hashim Thaçi et autres Aleksandar Vučić, pour peu que ces derniers aient la rouerie de se prétendre « pro-européens ». Elle a sacrifié la Grèce sur l’autel de l’austérité permanente, mais elle croyait encore que le temps jouait pour elle : la crise finirait bien par passer, et le « projet européen » finirait bien par revenir à l’ordre du jour, faute d’alternatives.

En se mettant en marche, un million de réfugiés fuyant les guerres ont pris l’Europe au piège de ses propres discours, des principes qu’elle prétend défendre, des « valeurs » qu’elle entend inculquer au monde.

Autrefois, cette Union européenne avait un « moteur », de fabrication franco-allemande. Il est tombé en panne depuis bien longtemps, et ce sont désormais les pays ultra-conservateurs du « groupe de Visegrad » qui donnent le ton des politiques européennes. Ces pays du groupe de Visegrad et leurs nouveaux alliés, l’Autriche, la Croatie, la France.

Plus les barrières seront difficiles à franchir, plus les réseaux criminels de passeurs feront de bonnes affaires

Cette « nouvelle Europe » a décidé de fermer ses frontières. Elle a décidé de traiter les réfugiés non pas comme des victimes, mais comme une menace, comme un danger, de Calais aux frontières hongroises. Ces nouveaux dirigeants européens — les démagogues Viktor Orban ou Manuel Valls — ont décidé de se soustraire aux obligations du droit international, et notamment des conventions, pourtant ratifiées depuis bien longtemps par leurs propres pays, qui régissent le droit d’asile et la protection due aux réfugiés.

Sous leur pression, l’Union européenne a franchi un pas de plus en signant, ce triste 18 mars, un accord avec la Turquie qui est à la fois immoral et inapplicable. Il est immoral car il acte ce renoncement aux principes du droit international tel qu’il s’est élaboré au cours du siècle dernier, mais il est également inapplicable, car quelles frontières ont jamais empêché les gens d’avancer, de fuir, de se réfugier ? Plus les barrières seront difficiles à franchir, plus les réseaux criminels de passeurs feront de bonnes affaires. Ces réseaux ont bien sûr été les premiers à se réjouir de l’accord signé à Bruxelles.

L’accord représente enfin un scandale politique, car l’Europe fait le choix de se rapprocher de la Turquie au moment même où celle-ci achève de se transformer en dictature guerrière. Le régime de Recep Tayyip Erdoğan met, à nouveau, depuis des mois, le Kurdistan à feu et à sang, il arrête les journalistes et les universitaires, s’attaque à toutes les libertés publiques. Il y a quelques années, un débat « byzantin » agitait certains bons esprits occidentaux : la Turquie est-elle européenne ? Le Bosphore n’a pas changé de place, mais c’est maintenant que la Turquie se transforme de manière très évidente en dictature que l’Union européenne décide de se rapprocher d’elle. De la sorte, c’est un monstrueux bras d’honneur qu’elle fait à tous les démocrates de Turquie.

L’Europe est morte une première fois sous les bombardements de Sarajevo. Elle achève aujourd’hui, dans le déshonneur, l’agonie de sa seconde mort dans la boue d’Idomeni

Cette Turquie d’Erdoğan finance et soutient l’Etat islamique — comme du reste l’autre « grand allié stratégique » de la France de Hollande et Valls, l’Arabie saoudite. C’est-à-dire qu’elle entretient les feu des conflits qui vont continuer à chasser des centaines de milliers de personnes de leurs foyers, à les jeter sur les routes.

L’Union européenne n’a pas neuf vies comme les chats. Elle est sûrement morte une première fois sous les bombardements de Sarajevo. Elle achève aujourd’hui, dans le déshonneur, l’agonie de sa seconde mort dans la boue d’Idomeni. Cependant, rassurons-nous, le monde continue de tourner : des femmes enceintes continuent d’accoucher à l’hôpital de Kilkis, à quelques kilomètres des frontières fermées de la Macédoine, les réfugiés continueront d’avancer, portés par un inextinguible espoir. Mais il ne sera vraiment plus nécessaire de leur parler des « valeurs européennes ».