Blog • Le Pudding Théâtre en Balkanie, on avance !

|

La fatigue commence à se faire sentir. La fièvre et la grippe tournent, passent de l’un à l’autre, mais toute l’équipe est là. Bien là.

Les exercices-jeux de langue se déroulent en matinée. On s’installe dans nos habitudes, débarrassage des tables et chaises pour se créer un espace dans la courette de l’auberge. La femme de ménage assiste généralement à nos fins de sessions, avec son café et sa cigarette. Même le chien errant du quartier est à l’heure au rendez vous et après un petit tour vers chacun va prendre sa place, contre le mur, au soleil.
Malgré la concentration « détendue », on travaille bien. On pointe les cohérences, les similitudes, on corrige les défauts, on soigne la musicalité ; l’objectif commun commence doucement mais sûrement à être assimilé par tous.
Nous travaillons la fluidité de notre langue inventée, les intentions de jeu et la mise en lumière des mots-sens, qui dans la langue du pays d’accueil, permettront de baliser la compréhension de notre public et de ne surtout pas l’orienter vers la réflexion linguistique. Beaucoup d’éclats de rire et beaucoup d’avancées.

Nous avons rencontré Davio et Dobrija, qui travaillent en frontière pour les réfugiés. Davio nous raconte lui aussi sa guerre de Yougoslavie. Il était tout enfant, encore plus jeune que Tanja, de l’Institut. Il raconte son père très souvent absent, qui, quand il revient à la maison, rapporte de drôles d’objets avec lesquels Davio joue. Son père était militaire, quand il n’était pas là, il était à la guerre, les « jouets », se sont des armes à feu.
Il parle de son grand-père communiste qui a du fuir l’Allemagne nazie. De lui et sa famille qui se retrouvent eux aussi à fuir les avancées de la guerre, dans les années 90. Des barbelés actuels aux frontières, en rangées doubles, avec au milieu, des pièges à loups.

Il raconte son travail avec les réfugiés, l’approvisionnement, le manque. Ils n’ont jamais assez de nourriture, ni de vêtements à donner ; il y a trop de demandeurs. Leur voiture un jour de ravitaillement est encerclée par les gens, et sous le nombre des personnes qui la pressent, ils ont la sensation que la voiture se soulève.

Les ponts entre le passé et le présent ressortent à chaque témoignage. Dans le cas de Davio, c’est un pont à cheval sur trois époques, trois générations.
Nous avons tous, par moments, des regards hagards et une « sourde » culpabilité de français nés dans les années 70-80, à une époque où la vie allait, sans guerre, sans faim, sans fuite.

En écrivant, je constate que ce n’est pas vrai pour nous tous ; Lilia, enfant, a du quitter l’Algérie, en 89, suite aux troubles, pour venir s’installer en France, où son père a fini par les rejoindre.

Venir travailler ici, en immersion, où la langue n’a rien à voir avec le français est un processus de création multiple. Tester notre langue, avec des mots-sens sur trois nationalités différentes, être à l’écoute de tous ces gens qui ont vécu des événements « similaires » à ce qu’on veut raconter dans Géopolis ; mais aussi trouver la justesse de notre propos.
Notre vécu est ce qu’il est, nous sommes de notre époque, mais, encore une fois, nous n’avons pas souffert de la fracture de notre pays, de la séparation d’avec nos familles, de la perte de nos repères. Nous avons une vision documentée mais non ressentie… et même si nous espérons ne jamais vivre le chaos sur notre territoire français, nous le ressentons ici, avec toutes ces vies qui s’ouvrent pour nous.

Nous avons aussi la chance, de rencontrer un grand monsieur : Zelimir Zelnik. J’ai un peu honte de n’avoir jamais entendu parler de lui jusqu’à ce que Borka nous conseille de regarder son travail.
« Le cinéma travaille avec la réalité, le théâtre avec les symboles de la réalité ».
Lui aussi parle des réfugiés, lui aussi parle de la Yougoslavie. Lui aussi est debout, même si ce n’est pas de la même manière que Borka. Lui aussi témoigne du monde avec son travail, son artistique, lui aussi prend le monde en main. La question de Borka résonne de jour en jour de plus en fort « qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Nos jours sont divisés entre les rencontres et les répétitions. Nous avons résolu la plupart des mouvements publiques du plateau 1 et affiner la logique des objets guides de jauge. Le public ne rencontrera jamais en « scène intime » le personnage qui l’accueille et le déplace. Nous pourrons de cette façon varier le type d’interaction public/personnage et développer une autre sorte de relation.

Nous devons, en suivant les contraintes de la technique poser des priorités sur le choix du travail des images. C’est forcément un peu frustrant pour tout le monde. Marie Charlotte nous met aussi en garde : bien prendre le temps de travailler le rapport comédien/vidéo projecteur pour vraiment optimiser ce médium, qu’il soit une des pierres de faîte de notre spectacle et non un accessoire en plus.

Nous avons travaillé la répétition d’hier avec une mini jauge. L’arrivée du camion fonctionne, en tout cas, sur cette jauge-ci, le public se place naturellement du côté des projections. Par contre, la répartition de la jauge le long de la frontière n’était pas du tout optimum, même si la jauge était extrêmement limitée, nous avons quelque chose à réfléchir là.

Nous n’avons pas arrêté la répétition de façon à avoir une vue d’ensemble, jusqu’au début du plateau 2, au déploiement de frontière. Du coup, les comédiens ont ressenti le fameux temps dramaturgique, qui est la base de notre création. Notre spectacle dure une heure et demie, mais notre histoire s’étale sur au moins une année. Ce temps doit être perçu en continu par nos spectateurs, on utilisera évidemment les conventions théâtrales qui sont une de nos spécialités, mais le personnage doit évidemment et très clairement évoluer d’une scène à l’autre… le secret est mixte.

Les comédiens et techniciens en jeu commencent à réaliser la course que sera Géopolis en représentation.

S. Faivre.