Jacques Debs

Musulmans d’Europe, chrétiens d’Orient

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Par Jean-Arnault Dérens

Ce livre est en réalité constitué par les carnets de repérage et de tournage d’un film documentaire réalisé (pour Arte, en 2006) par Jacques Debs, et coécrit avec Mesut Tufan. De Sarajevo à Jérusalem, en passant par Prizren, Skopje, Tirana, Istanbul et Beyrouth, il recherche les traces de ces identités religieuses.

Le questionnement sur l’islam est au centre du livre, mais de longs entretiens avec le patriarche oecuménique de Constantinople, Bartholomeos Ier (auquel Jacques Debs avait consacré un précédent film) font écho au dialogue avec le reisu-l-ulema de Bosnie-Herzégovine, Mustafa ef.Ceric.

De manière intéressante, de longs passages sont consacrés aux bektashis, à travers les figures de baba Tahiri, de Tetovo, récemment disparu et du « kryededë » de Tirana, Haxhi Dede Reshat Bardhi.

L’empathie manifeste de l’auteur est bien compréhensible mais, en ces temps d’islamophobie galopante, suffit-il de trouver des figures de « héros positifs » de l’islam ? Opposer les « gentils derviches » aux « méchants salafistes » est une manière, pas forcément très productive, de réduire la complexité du problème. Fortement sollicités par Téhéran, les Bektashis traversent eux aussi une période complexe et contradictoires, tandis que les positions du reis Ceric sont également parfois fort contradictoires. Il est vrai que l’homme est passé maître dans l’art d’adapter son discours à ses interlocuteurs...

Au registre des critiques qu’il convient de faire à cet ouvrage qui demeure tout à fait passionnant, il est impossible de passer sous silence ses innombrables imperfections techniques : pratiquement TOUS les noms de lieux et de personnes des Balkans sont mal orthographiés, et parfois même incompréhensibles (« Priznen » au lieu de Prizren, par exemple) ; le reis Ceric est affublé du titre de mufti qui n’est pas le sien ; la route de Struga à Tirana serpenterait « à 3000 mètres d’altitude », ce qui est une manière de compter triple...

Malgré ces petits défauts, ce livre vaut avant tout par la fresque dynamique qu’il dévoile peu à peu. Au fil des rencontres, c’est tout un espace de civilisation en crise qui se dévoile, celui de « l’Ottomanie ». Et le point de vue, la subjectivité de Jacques Debs, chrétien du Liban, se révèlent ici particulièrement précieux et éclairants.

Ce livre est à la fois une excellente introduction à ces univers, dont certains sont aujourd’hui menacés de disparition, et un vibrant plaidoyer en faveur d’un « espace civilisationnel » dont l’identité et l’originalité sont évidentes.