Miljenko Jergovic

Le jardinier de Sarajevo

|

Ce premier recueil de nouvelles de Miljenko Jergovic’, publié il y a exactement dix ans (Croatie, 1994), a pour titre original La Marlboro de Sarajevo : il s’agissait des cigarettes que Philip Morris avait adaptées au goût des fumeurs bosniaques en s’inspirant des saveurs de la cuisine locale. C’est ce parfum si particulier que l’on retrouve donc dans LeJardinier de Sarajevo, déjà devenu un classique, chaleureusement accueilli un peu partout dans le monde et couronné de prix. Ce succès s’explique par ses personnages, ses situations, ses paysages qui s’animent devant nous : on a l’impression de déjà les connaître, de comprendre leurs drames, qu’ils soient tristes, mélancoliques ou absurdes.

Narrateur, Jergovic est partout : il promène avec calme son regard sur les familles, les amants, les victimes, les bourreaux, les animaux, les plantes, les objets. Souvent, ses brèves esquisses se terminent par des renversements où la dimension pathétique se voit contrebalancée par une légère ironie décalée. « La photographie » en est un parfait exemple : on restitue à Senka le porte-monnaie de son mari mort au combat et elle y retrouve, à côté du sien, le portrait d’une autre femme ; malgré les moqueries des voisins, elle s’obstine à croire qu’on voulait perfidement lui imposer une version « officielle » des faits. Bien qu’elle (et Jergovic avec elle) sache que cela ne peut rien lui rapporter, pas plus qu’aux autres d’ailleurs, elle tente désespérément de préserver l’image éparpillée du monde.