La revue périodique

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La revue se donne pour but de donner régulièrement des nouvelles de la Bulgarie d’hier et d’aujourd’hui, en évoquant notamment les problèmes qui se posent à ce pays avant son intégration à l’Union européenne. Elle est le seul périodique non-subventionné sur la Bulgarie paraissant en français. Mais quelle est au juste la ligne éditoriale de cette revue, et pourquoi est-elle aussi peu connue ? Pour trouver une réponse à cette question, il faut retracer brièvement la trajectoire du rédacteur en chef, M. Tontcho Karaboulkov.

M. Karaboulkov est bien connu des émigrés bulgare à Paris, et les milieux intellectuels bulgares savez plus ou moins ce qu’il a publié et accompli au cours de ces 20 dernières années. Mais la carrière littéraire et journalistique de ce militant pour la démocratie commence dès la fin des années 1950, ce que presque tout le monde ignore ou feint d’ignorer. Qu’il suffise de rappeler que M. Karaboulkov a publié en 1957, aux Editions Flammarion, un roman intitulé La conscience d’Emanouïl. La presse francophone de l’époque marque un certain intérêt pour ce jeune auteur totalement inconnu de la scène littéraire parisienne, et qui est ni plus ni moins le premier écrivain bulgare francophone à avoir eu une audience considérable. Certains lecteurs ont comparé M. Karaboulkov à Arthur Koestler et à Virgil Gheorghiu. René Ristelhueber écrit pour le Monde diplomatique, à propos du livre : « Sans doute est-ce un roman, mais il a une profonde résonance politique. Sur un fond d’affabulation dramatique, c’est un sombre tableau de la vie en Bulgarie sous le régime communiste. Le comportement des fonctionnaires, terrorisés à la pensée de déplaire à leurs supérieurs, leur méfiance mutuelle, leur cynisme à l’égard de leurs administrés y sont représentés sans ménagements ».

Le quotidien prestigieux La Libre Belgique est encore plus élogieux : « Au-delà du rideau de fer, le communisme a remplacé Dieu. Le pouvoir de l’Etat est sans limites et des hommes trouvent leur joie dans « la dévotion à un parti qui mécanise les consciences ». Emanouïl fut de ceux-là. Fonctionnaire quelque peu titré, il était devenu le cobaye d’une expérience. Par dévotion envers ses dieux, il alla jusqu’au meurtre. Mais quand il vit que ceux-là même qu’il portait aux nues l’avaient abandonné, sa conscience lui joua le mauvais tour de s’éveiller. Mais cette conscience, qui n’était pas celle d’un croyant, ne fut d’abord que le réflexe d’un homme pourri jusqu’aux moelles, dont l’âme gardait un coin de ciel bleu. Avec le temps, elle finit par s’orienter vers quelque chose de plus haut et de plus beau que Lénine, Staline, Khrouchtchev et consorts. Toute l’histoire tient dans cette révolte. Elle conduit Emanouïl jusqu’au suicide, seule façon de racheter sa faute.

T. Karaboulkov s’enfuit tout jeune de son pays natal, la Bulgarie, envahie par les Soviétiques. Loin de ses tyrans, il leur lança l’anathème, rejoignant en cela Virgil Gheorghiu, qui stigmatisa les bourreaux du peuple roumain. Mais alors que Gheorghiu abordait le problème avec tout le sérieux que requiert le sujet, Karaboulkov camoufle son amertume sous une sorte d’humour noir et satirique. » Le dossier de presse est aussi riche que celui qui accompagne la parution de chacun des livres de Julia Kristeva ou de Tzvetan Todorov. Mais on trouve en sus cette remarque pertinente dans L’unité paysanne, daté du 22. 06. 1957, qui ne peut guère être appliquée qu’à un tout petit nombre d’auteurs : « Le roman de Tontcho Karaboulkov est remarquable sur plusieurs points. Ce qui étonne en premier lieu le lecteur, c’est le ton mesuré de l’écriture, l’analyse froide des sentiments et passions des personnages communistes, l’impression d’objectivité que laisse le livre une fois sa lecture terminée. Et pourtant, l’auteur est une des nombreuses victimes du régime communiste en Bulgarie et il a plusieurs raisons d’en garder rancune ; de plus, il est jeune, par conséquent tenté de donner libre cours à ses sympathies et à ses haines, plutôt que de les maîtriser et les garder pour soi. Et ce n’est pas un petit mérite ».

Tous ceux qui ont fréquenté M. Karaboulkov savent que ce jugement n’a jamais cessé d’être vrai. Et pourtant cet intellectuel était un « traître à la patrie » aux yeux des censeurs bulgares. En 1997, 10 000 pages d’insultes ont été remises à ce « traître » généreux et désintéressé. Mais ce n’était qu’une infime partie de son dossier des services secrets bulgares : on refuse toujours de lui remettre le reste, en dépit de la loi qui permet l’ouverture des dossiers individuels des services de renseignement. Les 10 00 pages de rapports secrets ont tout de même inspiré un livre en autoédition, intitulé Mon dossier de traître à la patrie - unique autobiographie dans les lettres mondiales écrite à partir des mensonges officiels sur sa propre personne. Malheureusement, l’opinion publique en Bulgarie se désintéresse totalement de cette thématique, et l’hebdomadaire prestigieux Kapital a récemment écrit que l’histoire de la répression communiste n’intéressait plus personne (sous-entendu contrairement aux répressions du pouvoir ottoman d’il y a un siècle et demie...).

Mais pourquoi M. Karaboulkov n’est-il pas devenu un auteur français à succès, lui qui avait reçu des messages d’encouragement de la part de Georges Duhamel, d’Albert Camus et de Raymond Queneau ? Pourquoi le succès ne lui est-il pas monté à la tête, pourquoi ne s’est-il pas fondu dans la masse des auteurs français ? La réponse est sans doute à chercher dans un roman écrit en 1960 - Père et fils -, mais en bulgare cette fois-ci. Loin de se sentir transporté sur une autre planète en raison de son fulgurant succès, le jeune auteur a voulu perfectionner son bulgare plutôt que son français, dans l’espoir d’être lu un jour par ses compatriotes, à une époque où la censure ne permettait pas de traduire certains ouvrages et publications paraissant à l’Ouest. M. Karaboulkov poursuit sa carrière littéraire et journalistique jusque dans les années 1990 exclusivement dans sa langue natale, même si l’autoédition ne lui a jamais rien rapporté financièrement parlant. En dépit de la censure idéologique, qui s’est muée en autocensure à partir du 10 novembre 1989 (date de la chute de Todor Zhivkov), certains critiques littéraires bulgares furent autorisés à lire la littérature bulgare d’émigration. Un nommé Iskeur Shumanov consacre ainsi une magnifique recension en juin 1960, dans un journal littéraire de Sofia, au roman Père et fils (toujours inédit à Sofia). On y apprend que M. Karaboulkov raille l’idéal cosmopolite de la perte des racines. L’un des personnages-caricature du livre prétendrait combattre « pour [se doter d’]un appartement et [d’]une salle de bains », en raison de l’inanité de tout combat « pour des idées », et parce que la patrie et l’amour du pays natal seraient « des conceptions éculées ». Autrement dit, avant d’accéder à l’ère du post-national, il faudrait, pour M. Karaboulkov, régler certains problèmes politiques au pays natal. Si les gens qui sont nés en Bulgarie se désintéressent de leur pays, il n’y aura personne d’autre pour lui venir en aide.

M. Karaboulkov s’est marginalisé de lui-même pendant des décennies en prenant une part éminemment active à tous les mouvements de libération de la Bulgarie de la tutelle soviétique. Il est devenu le cofondateur et le co-rédacteur en chef de la revue bulgarophone L’avenir (Beudeshte), organe de la lutte antitotalitaire ayant cessé de paraître en 1991, et qui comptait pas moins de 3 000 abonnés, rien que des émigrés. Ce combat vient tout juste d’inspirer un groupe de pression ( HYPERLINK "http://www.budeshte.org" www.budeshte.org) qui estime que la Bulgarie ne saurait se passer d’une lustration des élites, sauf à instaurer un climat de confrontation entre le pouvoir de Sofia et une partie substantielle de l’émigration. Or, ce genre de revendications choquent et inspirent de la méfiance en Bulgarie, pays qui a éliminé physiquement ou chassé du pays la majeure partie de son élite intellectuelle entre 1944 et 1950. De ce fait, l’entrée en politique du cercle d’émigrés tels que M. Karaboulkov a été rendue impossible entre 1990 et 1992.

La Revue périodique, financée par des fonds propres, existe depuis 1997 et constitue une façon de rattraper le temps perdu pendant lequel le rédacteur n’a pas voulu écrire en français. Elle s’adresse désormais à un public francophone le plus large possible, et consacre de nombreux articles à la littérature, l’histoire et la culture bulgares, mais aussi des études académiques sur le système politique bulgare, tels les articles et entretiens de M. François Frison-Roche, chercheur en droit constitutionnel comparé et en sciences politiques. On retrouve aussi des traces de l’ancien combat qui n’a toujours pas abouti. Ainsi, dans un éditorial de novembre-décembre 2004, la Rédaction s’indigne-t-elle de ce qu’ « aucun tribunal international n’a[it] sanctionné le plus grand crime de l’humanité », à savoir les « camps d’extermination organisés dans les pays anciennement gouvernés par les régimes communistes ».

Soutenez la publication de cette revue indépendante ! La souscription annuelle est de 75 euros, à envoyer à T. Karaboulkov, Directeur de la Revue Périodique, 1, rue Jules Michelet, 92 700 Colombes, tel/fax : 01 42 76 96, e-mail : karaboulkov.tontcho@wanadoo.fr